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Entre boulevards et autoroute, le quartier Laiterie au défi de sa rénovation

Les engins de chantier vont débarquer à la Laiterie, entre la gare et l’autoroute. Les éléments en débat de ces travaux attendus depuis longtemps donnent l’occasion à ce quartier populaire proche du centre de Strasbourg de s’interroger sur son identité.

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Le TGV qui passe au dessus de la rue du Hohwald... (photo Myriam Niss)

La municipalité va entamer la rénovation des rues de la Broque, du Ban de la Roche et du Hohwald, au cœur du quartier de la Laiterie à Strasbourg. L’adjoint au maire de quartier, Paul Meyer (La Coopérative), a présenté mardi 21 novembre les premières orientations, elles-mêmes issues d’un premier diagnostic avec des habitants et associations au Molodoï, fraîchement rénové.

Comme pour toute concertation, la mobilisation des habitants s’annonce difficile. Une vingtaine de personnes étaient présentes en fin d’après-midi, alors que près de 2 000 personnes ont été invitées par des invitations, courriers, e-mails ou affiches.

Un immeuble détruit, la Semencerie vers la sortie

La réunion commence par quelques annonces : la barre d’immeubles des 12-14-16 rue du Hohwald va être détruite et reconstruite avec autant de logements sociaux, car selon Paul Meyer, une rénovation serait chère, complexe et inefficace. Le terrain de la Semencerie a été requalifié en zone industrielle et commerciale pour faciliter une éventuelle vente de cet ancien hangar, qui pourrait aussi abriter une promotion immobilière. Cette requalification a été faite à la demande des artistes actuellement occupants du hangar, qui estiment avoir été très bien traités par la famille Nungesser depuis 2008 (la belle histoire ici) et voient d’autres possibilités se dessiner pour eux à la Coop au Port-du-Rhin.

D’autres projets, sont présentés mais à l’état de propositions. On évoque par exemple de piétonniser la rue du Hohwald pour en faire « une cour urbaine », plus agréable.

Travaux attendus

Ces travaux très attendus, qui coïncident avec l’extension du tram vers Kœnigshoffen, font office d’introspection pour le petit quartier. Qualifié par le sigle de QPV (« quartier prioritaire de la Ville« ), pour ne pas dire « pauvre », il est le plus proche du centre-ville des 18 QPV strasbourgeois.

Dans la salle, on fait par exemple le constat que le jardin partagé n’est plus entretenu après quelques années de bonnes volontés. On remarque aussi qu’il manque une structure sportive, que le City stade, éteint la nuit, a du mal à compenser.

Dans la salle, des panneaux listent les constats effectués sur le terrain avec des forces vives et habitants. L’un d’eux localise sur une carte les lieux de trafics, tags, agressions,. Il a été réalisé à l’aide des informations des forces de police, bailleurs sociaux et autres institutions du secteurs, apprend-t-on par la suite.

Pas très dur de savoir où se déroulent les incivilités (Photo Pierre France / Rue89 Strasbourg)

Quid de l’embourgeoisement ?

Après des échanges, il est décidé de constituer trois ateliers, un par rue, plutôt que par thématiques (circulation, vivre-ensemble ou vie quotidienne « qu’on ne voulait pas appeler sécurité ») comme proposé initialement par la Ville. En toute fin de séance, on ajoute un quatrième atelier, celui de la « dynamique humaine ».

Néanmoins la question d’un embourgeoisement redouté du quartier génère quelques échanges vifs entre les participants à la réunion et l’adjoint de quartier. Lorsqu’il est indiqué un peu hâtivement que « les prostituées n’ont plus rien à foutre là », un habitant s’interroge sur le sens de la phrase. Paul Meyer démarre alors au quart de tour :

« Les prostituées ont toute leur place dans ce quartier. Que la police démantèle les réseaux plutôt que de s’en prendre à des femmes ou des hommes, qui sont plutôt des victimes de trafics. »

Pas de relance dans la salle.

Problèmes du quotidien

Pour d’autres, c’est l’occasion de faire remonter des problèmes du quotidien : des voitures garées n’importe comment, le bruit des fêtards le soir à la sortie des salles de spectacles. La question d’étendre le stationnement payant à ce secteur est évoqué par Paul Meyer. Des étudiants utilisent notamment le parking rue du Ban-de-la-Roche pour se garer, un report logique depuis que l’Esplanade est devenue une zone payante en 2016.

Le plan de la rénovation projetée du quartier Laiterie (doc Ville de Strasbourg)

Cette concertation vise bien les habitants, et non les habitués des lieux culturels. Car c’est aussi un des problèmes du quartier, il est divisé entre utilisateurs des structures (Laiterie, Molodoï, Espace K, Taps Gare, futur bar Saperlipopette) et des habitants, qui cohabitent peu.

Dans l’assemblée, un membre de l’association gestionnaire du Molodoï prend la parole pour dire qu’il « ne faut pas hésiter à solliciter les structures » pour y monter des projets de quartier. Dans leurs conventions avec la Ville, il est stipulé qu’elles doivent s’ouvrir au quartier. En plus d’événements ponctuels comme la fête de quartier, le Molodoï propose par exemple des cours de boxe populaire, gratuits (« et antifascistes » sic !) les lundis soirs.

La place pour des activités économiques autres que culturelles demeure floue, en dehors d’un projet de food court (voir notre article).

Amélioration ou disparition d’habitants ?

Un autre échange animé a eu lieu à propos de l’arrivée de nouveaux habitants, une nouvelle population qui trouverait attractif un quartier Laiterie rénové. Muharrem Koç, de l’ASTU (action sociale interculturelle) depuis 24 ans, fait part de ses préoccupations :

« Il y a une crainte que des personnes s’en aillent, notamment parmi les populations les plus fragiles et les plus précaires. Faisons attention, car ils ne reviendront pas et on risque de perde en mixité sociale. Il y a des exemples d’embourgeoisement dans beaucoup de quartiers à Strasbourg. »

Pour Paul Meyer, la question de l’embourgeoisement est « évoquée par quelques uns depuis 20 ans et n’a jamais eu lieu » dans le quartier, explique-t-il à l’issue de la réunion publique. Devant l’assemblée plutôt silencieuse, il a expliqué vouloir continuer à construire des logements sociaux (peut-être à la place de la Semencerie ?) dans ce secteur pour assurer que des populations à faibles revenus cohabitent avec d’autres :

« Il faut dépasser l’idée qu’une amélioration, c’est forcément une « boboïsation. » C’est une fierté que des gens avec plus de moyens et un fort capital culturel puissent choisir de vivre dans ce quartier. Cour de Rothau, il n’y a pas de mixité. »

La question devrait revenir dans le débat à l’avenir, Muharrem Koç, précise :

« L’idée ce n’est pas de dire qu’il ne faut rien faire, mais la question c’est qu’est-ce qu’on fait des populations qui sont là. Un quartier, ce n’est pas juste une rue… »

Le TGV qui passe au dessus de la rue du Hohwald... (photo Myriam Niss)
Le TGV qui passe au dessus de la rue du Hohwald… (photo Myriam Niss)

Les boulevards aussi rénovés

Peut-être que lorsque le mur anti-bruit le long de l’autoroute, aussi réclamé par les habitants et attendu de la part de l’État, sera construit, le quartier gagnera aussi en qualité de vie. À plus long terme, c’est même la disparition de l’A35, transformée en boulevard urbain, avec ses feux rouges et passages piétons, qui est promise après la mise en service du Grand contournement ouest (GCO).

Au nord du quartier, le boulevard de Nancy va aussi être considérablement transformé avec le prolongement de la ligne G du Bus à Haut Niveau de Service (BHNS) vers la place de l’Étoile. Si cette extension est actée, la place des pistes cyclables (« très demandées » dixit Paul Meyer), la place des terrasses ou du stationnement sont à discuter.


#Quartier Laiterie

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