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La fin du Strasbourg-Port Bou, symbole de l’abandon du train

Le train de nuit entre Strasbourg et Port Bou pourrait n’être bientôt plus qu’un souvenir d’une époque révolue. Après avoir vu ses horaires se réduire, son existence est menacée dans un rapport sur les trains français, au profit des avions low-cost et des trajets en bus.

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La fin du Strasbourg-Port Bou, symbole de l’abandon du train

Le train de nuit entre Strasbourg et Port Bou est menacé (Photo Flickr / kishjar? /cc)
Le train de nuit entre Strasbourg et Port Bou est menacé (Photo Flickr / kishjar /cc)

Note de la rédaction : le 19 février 2016, le gouvernement annonce qu’il arrête de financer toutes les lignes de nuit (sauf Paris-Briançon et Paris-Rodez-Latour de Carol) dès le 1er juillet 2016, conformément aux préconisations du rapport Duron. Un transporteur privé peut en reprendre l’exploitation s’il le souhaite. 

C’est un train de 11h qui circule sur plus de 1 000 kilomètres. Départ 20h14 à Strasbourg et arrivée à 9h22 de l’autre côté de la frontière espagnole, dans la petite ville de Port Bou, 1 214 habitants. Sur le trajet, 20 gares de France sont desservies. À Besançon, il se sépare en deux. L’autre partie se rend à Nice via Marseille et arrive à 9h37. Les horaires sont similaires dans le sens inverse.

En décembre 2014, les horaires de desserte vers Port-Bou ont été réduits. En dehors des vacances, la ligne ne fonctionne plus que les vendredis, samedis et dimanches. En juillet et en août, le service est disponible du jeudi soir au lundi soir. Ces réductions de service avaient été justifiées en par un nombre de passager trop faible, bien que la SNCF ne communique pas de chiffre.

Publié le 25 mai, le rapport sur l’avenir des trains du député Philippe Duron (PS), remet en cause l’existence totale de cette ligne, comme pour huit des douze trains de nuit français. Le député lui reproche d’être déficitaire, comme toutes les lignes de « Trains d’équilibre du territoire » (TET), aussi appelés Intercités, qui relient les grandes et moyennes villes à travers plusieurs régions.

Un parcours rallongé, des tarifs en hausse

François Giordani, président de la section Alsace de la Fédération nationale des usagers des transports (FNAUT) a le sentiment que tout a été fait pour que cette ligne ne soit plus attractive :

« Avant la suppression de certaines journées, le trajet avait déjà été rallongé de 100 kilomètres, car un secteur ferroviaire est désormais inaccessible la nuit. Ce détour fait perdre plus d’une heure, ce qui fait arriver les voyageurs après 9h et non plus vers 8h. Puis, avec la tarification au nombre de kilomètres, c’est devenu plus cher. Il y a aussi eu les sièges inclinables qui ont été supprimés. Ils n’étaient pas très confortables mais c’était moins cher. Pour les étudiants avec peu de moyens c’était une bonne solution.

Mais il y a aussi des familles et des personnes âgées modestes qui préfèrent ce train. On explique qu’il y a désormais les TGV, plus rapides, mais ils circulent le jour et ils sont beaucoup plus chers. L’intérêt de ce train, c’est justement d’économiser une nuit d’hôtel, et de rentrer chez soi pendant la nuit pour profiter de l’ensemble du week-end, plutôt que d’y passer le dimanche après-midi.

La SNCF indique qu’il n’y a pas assez de passagers, mais son système de comptage est en-deçà de la réalité. Nous n’avons jamais eu accès à une étude et aucun chiffre n’est communiqué. »

François Giordani propose que la ligne soit déclarée d’utilité publique et que la concurrence soit testée sur cette ligne, avant l’ouverture générale, programmée aux alentours de 2019/2020.

La plage de Port Bou, en Espagne à quelques centaines de mètres de la frontière française (Photo Flickr / MONTIGNON Francis / cc)
La plage de Port Bou, en Espagne à quelques centaines de mètres de la frontière française (Photo Flickr / MONTIGNON Francis / cc)

Lundi 25 mai, 300 passagers sont restés bloqués toute la nuit à Montpellier, témoin d’une fréquentation importante avec le pont de la Pentecôte pour François Giordani.

Le TGV et les filiales comblent le déficit des Intercités

Autre date importante, la suppression des “auto-couchettes”. Vincent Schaller, secrétaire régional du syndicat SUD Rail de Strasbourg, qui a conduit pendant des années sur cette ligne :

« Depuis une dizaine d’année, il n’est plus possible d’emmener sa voiture sur le train. C’était très pratique lorsque l’on arrive sur la côte. Avant, c’était un train bondé dès Belfort. L’offre a été réduite, avec moins de voitures. On n’a jamais investi, c’est pour ça qu’en 2010 un petit incident a bloqué les passagers 24h. On explique qu’il y a la dette qui pèse sur les comptes de l’entreprise. Elle est passée de 27 milliards à 42 milliards d’euros entre 1996 et 2015. Rien que ses intérêts coûtent 1,5 milliards d’euros par an.

Mais cette dette, c’est à cause de travaux qu’a demandé l’Etat, mais qui ne les finance pas. Avec la direction que prennent les choses, on risque d’avoir les riches en TGV, les travailleurs en TER et les pauvres en bus. Et puis une fois que les transporteurs de bus auront pris les parts de marchés du train, ils pourront augmenter leurs prix à leur aise. »

La société SNCF a réalisé 605 millions d’euros de bénéfices en 2014, après 180 millions de pertes l’année précédente, mais ce sont certains TGV (dont le Paris-Strasbourg) et les filiales comme Thalys qui assurent les profits. Les TET sont déficitaires et l’Etat doit subventionner une partie des frais de fonctionnement.

Le débat idéologique demeure : des lignes peu utilisées doivent-elles être maintenues, à perte, pour que certains usagers, parfois modestes, puissent continuer à les utiliser ?

Fabienne Keller veut mobiliser Strasbourg, Roland Ries temporise

Le rapport Duron met en avant la concurrence des avions low-cost et des bus pour remplacer les trajets des trains. La sénatrice de droite, ex-maire de Strasbourg, Fabienne Keller a pourtant voté au Sénat la loi Macron, qui facilitera l’ouverture de nouvelles lignes de bus. Mais pas pour remplacer des trains plaide-t-elle :

« La loi Macron devait permettre de créer des dessertes en plus, là où les trains ne vont pas. Il n’était pas question de remplacer les trajets existants par des “bus de nuits”, qui ne figurent pas dans le texte. Ce n’est pas écologique et beaucoup plus dangereux sur les routes. La France a une tradition d’industrie ferroviaire avec Alstom. Cette orientation, c’est faire fi de nos atouts.

On paie l’abandon de l’Ecotaxe qui devait financer des infrastructures. Et croire que les personnes âgées prendront le bus est une erreur, le confort est le critère numéro 1 pour ces passagers En juin, je proposerai une motion au maire de Strasbourg pour que le conseil municipal affirme l’importance de cette ligne. »

Maire de Strasbourg, Roland Ries (PS), qui siège au conseil d’administration de la SNCF, est réservé sur cette motion :

« Le matériel des Intercités est vieux, ce qui porte atteinte à son attractivité. Ces lignes sont lourdement déficitaires, un peu plus chaque année, notamment à cause de la concurrence du covoiturage. J’ai toujours été un partisan du ferroviaire et ce rapport amène à prendre des décisions concrètes. Soit on investi, soit on laisse le marché à d’autres opérateurs, avec bientôt les bus, mais aussi les avions low-cost. Pour la ligne Strasbourg- Port Bou, je souhaite que la SNCF communique des chiffres sur cette ligne en particulier pour avoir une opinion sur son utilité. »

La logique économique semble en effet avoir pris le pas sur les autres considérations, écologiques ou sociétales. En janvier, le président de la République François Hollande affirmait au micro de France Inter qu’un Paris-Lyon en bus ne polluait pas plus qu’un train, malgré les études qui indiquent l’inverse. Une approximation curieuse alors que la sauvegarde du climat a été proclamée « grande cause nationale », avant d’accueillir une conférence mondiale en décembre, la COP 21.

À l’aéroport de Strasbourg, les compagnies low cost reviennent. Volotea et Hop! proposent des vols vers Biarritz, Toulouse, Montpellier, Marseille et Nice, soit vers certaines destinations du train de nuit Strasbourg – Port Bou. Et à la SNCF, la concurrence de la route semble être anticipée. La filiale de la SNCF, ID Bus, propose des voyages en car, tandis que ID Vroum veut concurrencer Blablacar pour le covoiturage. On remarque que le sigle SNCF n’apparaît pas dans ces marques.

Premiers arbitrages dès juin

Mais les rapports parlementaires provoquent souvent des remous, sans pour autant être suivis d’effets sauf lorsqu’ils servent d’annonciateurs pour une politique déjà décidée par le gouvernement. Les premiers arbitrages du secrétaire d’Etat aux transports, Alain Vidalies, sont attendus dès le mois de juin. L’ensemble des décisions doivent être prises pour mi-2016.

Xavier Ulrich, du syndicat UNSA à la SNCF d’Alsace, pense que les lignes strasbourgeoises seront peu menacées, grâce à la position géographique de la capitale alsacienne. Il remarque en revanche qu’avec les grandes régions, des lignes Intercités seront sûrement abandonnées pour être reprises par le service TER, ce qui « sera un nouveau moyen pour la SNCF de transférer ces dépenses vers les collectivités régionales ».

Vincent Schaller, de SUD Rail, craint des changements avec le TGV qui doit rapprocher Strasbourg de Paris (1h50 an avril 2016) :

« Avec la nouvelle ligne LGV-Est, les horaires de tout le réseau vont êtres modifiés. C’est à ce moment que des réorganisations vont se faire sur toutes les lignes de l’Est de la France. Nous serons vigilants sur la ligne de nuit, les organisations syndicales ont toujours été pour le maintien du service. »

Malgré cette vigilance, la diminution des trains semble être programmée depuis des années. Là où le réseau ferré comptait 62 000 kilomètres en 1930, il ne fait plus que 29 000 kms aujourd’hui d’après les cartes de Reporterre.


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