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« Et si le Code de la route s’appliquait aussi aux cyclistes ? »

Effectuant chaque jour le trajet du quartier de la Meinau à Strasbourg vers Schiltigheim, Jérémie Moussay n’est guère étonné par l’augmentation des accidents cyclistes constaté par la police. Pour lui, l’augmentation du nombre de vélos en ville doit s’accompagner d’une meilleure formation des cyclistes.

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« Et si le Code de la route s’appliquait aussi aux cyclistes ? »

Récemment, la police a pris conscience d’un certain malaise sur les pistes cyclables de Strasbourg. Elle a relevé une hausse sensible des accidents impliquant les cyclistes, liés à des comportements à risques. Pour n’importe quel usager du vélo de la ville un peu responsable, cela n’a rien d’étonnant.

J’effectue quotidiennement 15 kilomètres, de la Meinau à Schiltigheim, sur un trajet qui m’amène à emprunter la chaussée, des pistes cyclables, des « zones de rencontre » et, parfois il faut le reconnaître, des trottoirs.

Il ne se passe pas une journée sans que je me retrouve en danger, alors que j’applique avec une rigueur de plus en plus stricte les prescriptions du Code de la route. Mon vélo est équipé de lampes allumées en permanence, de freins efficaces et j’ai, depuis quelques années, un casque. En dépit de cela, je continue de me faire surprendre par des cyclistes au comportement erratique, qui n’ont pas tous l’excuse de l’inconscience. Certains adoptent délibérément un comportement à risque.

Paradoxalement, les ennuis commencent souvent dès qu’on emprunte une piste cyclable. Le lieu qui devrait être un sanctuaire pour les deux roues est parfois un piège.

Passage à risques sous le pont Suchard (photo Jérémie Moussay)
Passage à risques sous le pont Suchard (photo Jérémie Moussay)

Le piège du pont Suchard

Sur mon trajet, tout commence par le passage sous le pont Suchard, à proximité de l’arrêt Krimmeri. Sous le pont, la piste est à sens unique, bordée à gauche par des poteaux, à droite par un trottoir. En bon cycliste, je reste sur la piste, suivant le sens des flèches. De manière surprenante, je vois régulièrement arriver sur cette même piste des cyclistes à contresens. Parfois, je les interpelle en leur expliquant qu’ils devraient rouler de l’autre côté. Si certains admettent leur tort, d’autres ont un argument étonnant : « tout le monde fait comme ça. » Le panurgisme a de beaux jours devant lui. Le mépris du Code de la route également.

Plus loin, vient le moment où j’arrive sur la place de l’Etoile. Là s’ouvrent les plus belles pistes à double sens de la ville, placées stratégiquement sous les fenêtres de la mairie. Là, hélas, je dois encore me méfier de ceux qui doublent par la droite ou forcent le passage alors que d’autres arrivent en face. Attention aussi aux piétons qui traversent cette piste sans daigner s’assurer qu’ils peuvent le faire sans couper la trajectoire d’un vélo. À l’inverse, des cyclistes foncent sans porter la moindre attention aux piétons qui traversent sur le passage piéton. Plusieurs fois, j’ai vu des cyclistes incapables de freiner raser les passants, quand ils ne les ont pas heurtés.

Seul endroit avec des policiers : parc de l’Étoile

L’attente au feu du carrefour quai du général Koenig – rue de la Brigade Alsace-Lorraine est aussi un moment édifiant. A l’heure de pointe, entre 8h et 9h, des dizaines de vélos s’installent sous les feux, bloquant le passage pour ceux qui arrivent de la médiathèque Malraux. Une belle illustration de la vieille maxime « la nature a horreur du vide ». Au lieu de laisser un espace pour circuler, tout le monde s’entasse, bloquant tout le croisement. C’est aussi, il faut le noter, le seul endroit de tout mon parcours où j’ai pu voir de temps en temps des policiers procéder à des verbalisations. Ils arrêtaient ceux qui passaient au rouge. Sur le reste de mon trajet, je n’ai jamais vu un seul cycliste se faire arrêter de toute l’année 2016.

De la place d’Austerlitz à l’avenue de la Paix, je circule majoritairement sur la route. Je dois alors me méfier des automobilistes qui estiment être seuls maîtres de la chaussée et ne respectent pas les distances de sécurité lors des dépassements. L’un des meilleurs endroits pour se faire surprendre est à proximité du lycée des Pontonniers, le long du quai Lezay-Marnesia.

C'est une piste cyclable, ce n'est pas grave alors... (Photo Jérémie Moussay)
C’est une piste cyclable, ce n’est pas grave alors… (Photo Jérémie Moussay)

Accident rue de la Marseillaise

J’ai renoncé à passer devant la poste de la Marseillaise depuis que j’y ai été victime d’un accident, causé par un cycliste roulant à contresens, qui m’a valu une opération du bras. C’est l’un des endroits les plus traîtres de Strasbourg, à mon avis : pistes étroites bordées par le tram, des arbres, et des pistes à sens unique prises régulièrement à rebours par des groupes de cyclistes. Plus loin, passer près du TNS oblige à une cohabitation délicate avec les piétons et les passagers du tram. Certains cyclistes s’y engagent sans aucune délicatesse.

La situation est à peu près calme le long de l’avenue de la Paix. Bien sûr, je continue de croiser parfois des cyclistes à contresens, mais le trafic y est moins dense. Sur cette portion, c’est plutôt la nature qui joue des tours. En automne ou en hiver, ce sont les amas de feuilles mortes ou les plaques de neige qui rendent la progression délicate. Les riverains ont tendance à dégager leurs trottoirs en repoussant tout ce qui les encombrait sur la piste cyclable. La route, elle, bénéficie du nettoyage des services de la ville.

Les choses se compliquent à nouveau aux abords du lycée Kléber. La piste passant entre deux belles rangées d’arbres est le refuge des collégiens et lycéens. Certains confondent passage piéton et stationnement, d’autres trouvent que c’est un lieu idéal pour jouer au football (c’est là que mon casque m’a un jour rendu un fier service). Tous semblent totalement hermétiques aux remarques concernant la destination première d’une piste cyclable.

À Schiltigheim, j’abandonne les pistes pour la chaussée

J’entame ensuite la dernière étape de mon trajet, juste avant Schiltigheim. La plupart du temps, pas de gros souci, hormis les inévitables adeptes du contresens. Il n’y a qu’en septembre, quand la Foire européenne transforme les trottoirs en parkings annexes, que la situation se corse un peu.

Une fois à Schiltigheim, j’abandonne les pistes pour retourner sur la chaussée, retrouver les automobilistes qui estiment que la masse prime le droit et, considérant qu’ils pèsent 20 fois plus lourd que moi, se moquent pas mal de respecter les priorités.

Et cela, ce n’est que l’aller. Il faudra, le soir venu, effectuer le même trajet dans l’autre sens, affrontant les mêmes dangers. Puis recommencer le lendemain, cela toute l’année.

Un passage pour vélo à Paris (Photo Dustin Gaffke / FlickR / cc)
Un passage pour vélo à Paris (Photo Dustin Gaffke / FlickR / cc)

Il y a des règles, il faut les respecter

On objectera que c’est mon choix et qu’il me serait facile de prendre une voiture ou le tram afin de ne plus subir ces désagréments. C’est vrai. Je pourrais renoncer au vélo. Je pourrais aussi changer de métier, déménager, quitter la ville ou le pays. Non. Je vis dans une société qui offre des droits et je compte les exercer. J’ai le droit de faire du vélo comme je le souhaite, dans le respect du code de la route. J’ai le droit de circuler dans devoir craindre les autres usagers. J’ai le droit de pouvoir utiliser un moyen de transport que j’estime économique, sain et bénéfique pour l’environnement et donc, in fine, pour la société. La seule chose que je demande est l’application et le respect de règles permettant à tous de se déplacer en sécurité. Heureusement, cela existe : c’est le code de la route.

Ce que je dénonce, c’est le comportement de trop nombreux cyclistes qui prennent à la légère ce code de la route. Ils oublient que le vélo est, dans le cadre urbain, un moyen de transport, pas un loisir, et que les infractions peuvent avoir des conséquences graves.

On ne devrait pas…

On ne devrait pas voir des cyclistes rouler à contresens sur des pistes à sens unique. L’espace y est conçu pour circuler en sécurité dans une direction. Il n’y a pas la place pour des vélos qui se croisent, sauf à empiéter sur les trottoirs, et il n’y aucune raison pour que ce soit les piétons qui pâtissent de l’inconséquence des cyclistes.

On ne devrait pas voir circuler de vélos qui n’ont pas d’éclairage, pas de freins ou les deux. Combien de fois ai-je vu des cyclistes freiner avec leurs pieds pour éviter de percuter un piéton.

On ne devrait pas s’engager dans un feu vert pour se faire couper la route par un autre cycliste qui a grillé le feu rouge.

On ne devrait pas réaliser, trop tard, que le cycliste ou le piéton qu’on avertissait avec sa sonnette n’a rien entendu car il a le volume de son casque audio à fond.

On ne devrait pas voir des vélos s’engouffrer à pleine vitesse dans les zones piétonnes, où circulent à pieds enfants et personnes âgées.

On ne devrait pas avoir peur de se faire surprendre par des cyclistes qui changent brusquement de trajectoire, parce qu’ils omettent de signaler leur virage, qu’ils sont en train d’envoyer un texto ou qu’ils louvoient au milieu des pistes.

Un peu plus de policiers au bord des pistes

Si les agents de police se plaçaient à certains des endroits que j’ai cité plus haut et verbalisaient, ne serait-ce que la moitié des cyclistes que je décris ici, il y aurait moyen de renflouer les caisses de l’Etat en quelques semaines.

Surtout, je dénonce l’indifférence des responsables de la ville de Strasbourg. Rien n’est fait par la municipalité pour rappeler qu’il faut respecter le Code de la route en toute circonstance. Aucun travail éducatif n’est entrepris de manière continue, aucune mesure préventive n’est en place et aucune répression ne vient mettre un frein à ces comportements dangereux.

C’est bien beau de dessiner des couloirs pour vélo, de mettre en place des pistes cyclables y compris dans des endroits obligeant à pratiquer le vélo acrobatique pour les suivre, d’installer des « tourne à droite » ou des arceaux à vélo nouvelle génération d’un usage malaisé… Si ce n’est pas accompagné d’un processus éducatif, cela ne sert à rien.

À vélo, pas besoin de permis

Je le constate chaque jour, le déficit éducatif en matière d’usage du vélo est énorme. Circuler à vélo peut se faire sans permis, cela ne devrait pas se faire sans avoir pris connaissance des règles élémentaires de circulation.

Il faudrait commencer par utiliser le superbe organe d’auto-valorisation municipal, Strasbourg Magazine, pour diffuser quelques pages d’information sur le bon usage du vélo en ville, en insistant sur la responsabilité de chacun pour améliorer la sécurité et le confort de tous.

Il serait de bon ton, également, d’éditer une plaquette qui serait distribuée aux grands points de passage des cyclistes, expliquant que le respect du code de la route n’est pas une option, mais un devoir. Je suis persuadé qu’on trouvera des graphistes de talent pour concevoir de superbes schémas explicatifs. Pourquoi pas, également, mettre à disposition un tel document chez les nombreux marchands de vélo de la ville.

Enfin, il conviendrait, une fois les gens avertis, de mettre en place des patrouilles de police dans toute la ville pour dresser des contraventions car il est évident que la prévention et l’information ne touchent pas tous les usagers du vélo. Les responsables de la Ville, qui passent leur temps à communiquer sur « Strasbourg capitale du vélo » et à mettre en ligne des vidéos de propagande où des cyclistes souriants empruntent des pistes parfaitement dégagées, devraient se confronter avec la réalité du terrain, ce qui risque de leur donner des sueurs froides.

Il n’est pas normal qu’une ville comme Strasbourg, qui prétend être une métropole moderne et une capitale européenne, se montre aussi médiocre pour appliquer une véritable politique du vélo.

Peut-être est-elle trop occupée à choyer les touristes qui visitent le marché de Noël et qui, eux, il est vrai, n’utilisent pas de vélo ?


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