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À Strasbourg, un besoin pressant de toilettes publiques

La fermeture des bars et des restaurants, depuis le 20 octobre, fait resurgir le manque de toilettes publiques à Strasbourg. Une situation qui n’est pas nouvelle, la ville se classant en bas du classement national en terme de toilettes publiques par habitants.

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À Strasbourg, un besoin pressant de toilettes publiques

Jeanne, étudiante à Strasbourg, patiente depuis cinq minutes dans la file d’attente des toilettes publiques place Kléber. « Tout est fermé, les bars, les restaurants et les centres commerciaux. Alors quand on vient en ville c’est très compliqué de se soulager. Quand on a une petite vessie et qu’on est pressée, on a pas envie de faire la queue », s’agace Jeanne.

Chaque jour, environ 1700 personnes descendent dans les toilettes publiques de la place Kléber, créant régulièrement de longues files d’attente (Photo LC / Rue89 Strasbourg / cc).

Derrière elle, Mélanie, accompagnée de sa fille, s’impatiente également : « Pour les enfants ce n’est pas possible d’attendre autant, ils ne peuvent pas se retenir. » Elles devront encore patienter car dix autres personnes sont devant elles dans la file d’attente.

Un besoin pressé par la fermeture des bars

Depuis octobre 2020, la fermeture des bars et des restaurants a allongé les files d’attente devant les toilettes publiques du centre-ville de Strasbourg. Amandine et Laeticia, venues pour faire les magasins, partagent aussi ce constat : « Comme les toilettes des centres commerciaux et des restaurants sont fermées, nous avons cherché des toilettes publiques dans le centre-ville pendant plusieurs heures. »

En voyant une longue file d’attente, les deux jeunes filles ne se sont pas arrêtées aux toilettes de la place Kléber. Elles ont préféré se rendre place du Château, où les sanitaires sont moins fréquentés. « Nous sommes venues à Strasbourg seulement pour la journée donc nous n’avons pas envie de perdre du temps, » explique Amandine.

D’autres toilettes publiques sont accessibles rue Quintenz à Illkirch-Graffenstaden, 7j/7 de 4h30 à minuit.

Une toilette publique pour 16 745 habitants

« Strasbourg n’est pas la ville la mieux lotie en matière de toilettes publiques », affirme Henri Smets, auteur d’une étude sur le droit d’accès aux toilettes en France. Avec ses 17 toilettes publiques, soit une pour 16 745 habitants, Strasbourg se positionne à la 9ème place parmi les 11 plus grandes villes françaises. Derrière Strasbourg, Lille compte 9 toilettes publiques, soit une toilette pour 25 865 habitants. Marseille, où l’on trouve seulement 22 sanitaires publics, dispose d’une toilette publique pour 39 241 habitants.

En tête du classement, on trouve Rennes avec 96 toilettes, soit une pour 2 243 habitants. La ville bretonne est suivie de près par Paris et ses 750 toilettes publiques. Selon Henry Smets, cette disparité s’explique par l’importance du coût de ces infrastructures :

« L’entretien d’une toilette publique sur un an en France coûte entre 20 000 et 40 000 euros. Comme chaque maire décide pour sa ville à combien s’élève les dépenses pour ce service public, il y a de grandes différences entre les villes françaises. Pour harmoniser la situation, il faudrait créer une loi imposant la création d’une toilette pour 5 000 habitants dans chaque ville. « 

En 2016, un projet similaire à cette idée, visant à rendre obligatoire la création de toilettes publiques dans les communes de plus de 3 500 habitants, avait déjà été rejeté par le Sénat français. La raison : le poids trop important du coût de ces infrastructures pour les municipalités.

Difficile accès aux toilettes pour les sans-abris

Spécialisé dans le développement du droit à l’eau, Henri Smets estime que le manque de toilettes publiques concerne toutes les strates de la population :

« De nombreuses personnes comme les femmes enceintes, les enfants, les personnes âgées et les personnes atteintes de la maladie de Crohn – une infection de l’intestin –, ont des besoins pressants toute l’année. Il est donc normal que la ville possède un nombre de toilettes publiques suffisant. »

Ce problème touche aussi les personnes sans domicile fixe, comme l’explique Buna Magalhaes, présidente de l’association d’aide aux démunis, Patates :

« Durant le mois de février, nous avons reçu plusieurs plaintes de personnes sans abri qui ne peuvent plus accéder aux toilettes publiques le soir et la nuit à cause du couvre-feu à 18 heures. Les toilettes publiques ferment à 17 heures 30 actuellement à la place de 20 heures. Nous avons donc commencé à distribuer du papier toilette et des mouchoirs pour les personnes qui devaient se soulager dehors. Mais ce n’est pas une solution, notamment pour les femmes, qui ont besoin d’un accès à l’eau plus régulier lors de leurs menstruations. »

Les toilettes publiques du Faubourg National ferment leurs portes à 17h30 pour respecter les restrictions du couvre-feu (Photo LC / Rue89 Strasbourg / cc).

La somme de 90 centimes demandée pour accéder aux toilettes publiques de la gare de Strasbourg et au centre commercial des Halles empêche aussi l’accès des sans-abris, selon Valérie Suzan, présidente de l’association Strasbourg Action Solidarité : « S’ils n’ont déjà pas d’argent pour eux, ils ne vont pas payer pour aller aux toilettes. »

Les toilettes publiques, une inégalité de genre

Pour Valérie Suzan, la situation pose surtout un problème sécuritaire pour les femmes qui doivent s’éloigner, seules, pour se soulager dans une ruelle : « Il y a un réel danger pour ces femmes qui peuvent se faire agresser lorsqu’elles font leurs besoins à l’abri des regards. »

Henri Smets constate aussi cette inégalité face au manque de toilettes publiques : « Les hommes n’ont pas de difficultés pour se soulager dans les rues, contrairement aux femmes pour qui il est plus compliqué de se cacher des autres passants. »

Les mesures sanitaires allongent les files d’attente

Agent d’entretien de l’Eurométropole, Marie-Christine observe les longues files d’attente devant ses toilettes publiques : « Avant ces restrictions sanitaires, il n’y avait pas la queue à l’extérieur des sanitaires », affirme-t-elle.

L’application d’un protocole sanitaire dès janvier a accentué la pression sur les toilettes publiques de Strasbourg, selon Mohamed Tayebi, agent de l’Eurométropole :

« Trois fois par jour, on devait fermer les toilettes publiques durant 30 minutes pour les désinfecter complètement. Les toilettes étaient donc fermées de 10h à 10h30, de 12h à 13h et de 16h à 16h30. Les gens se sont plaints car le temps d’attente était trop long. On a donc décidé d’arrêter ce protocole sanitaire. Maintenant les agents d’entretien désinfectent les toilettes tout au long de la journée. »

Une capacité d’accueil maximum de quatre femmes et de trois hommes pour chaque toilette publique a été mise en place. Pour contrôler la circulation des usagers et le respect des gestes barrières, l’Eurométropole a fait appel à des agents de sécurité postés à l’entrée des toilettes publiques les plus fréquentées, soit celles de la place Kléber et de la place du Château. « Parfois il y a tellement de monde que l’agent de sécurité n’arrive pas à suivre et il laisse trop de gens descendre dans les toilettes », s’agace Marie-Christine.

Marie Christine, agent d’entretien de l’Eurométropole, désinfecte les toilettes publiques de la place Kléber après le passage de chaque client (Photo LC / Rue89 Strasbourg / cc).

Pression sur la place Kléber et manque d’informations

Selon Abdelhakim, agent d’entretien de l’Eurométropole, 1 700 personnes descendent chaque jour dans les toilettes publiques de la place Kléber. « Les usagers sont plus nombreux à venir ici, car elles sont au centre ville et sur un lieu de passage ». « Cela crée une pression sur ces toilettes », confirme Mohamed Tayebi.

Le manque d’informations sur l’emplacement des toilettes publiques explique, en partie, la forte fréquentation de celles de la place Kléber, selon Valérie Ripepi, agent d’entretien de l’Eurométropole :

« Les gens ne savent pas où se situent les toilettes publiques alors ils vont toujours aux toilettes de la place Kléber ou à la place du Château. Pourtant, il y en a au barrage Vauban et rue du Faubourg National. Ce n’est pas très loin mais comme les gens ne le savent pas, ils continuent de faire la queue place Kléber. »

Mi-février, la conseillère municipale (LR) et sénatrice du Bas-Rhin, Elsa Schalk, a alerté la maire de Strasbourg sur cette situation :

« Il est important que les Strasbourgeois mais aussi les personnes extérieures puissent savoir où se situent les toilettes publiques. Ce n’est pas un petit sujet et cela concerne tout le monde. Si vous voulez aller en ville faire vos courses ou vous balader, il est important de savoir où il est possible de se soulager. »

« En 16 ans je n’ai pas vu le nombre de toilettes publiques augmenter »

Pour Valérie Ripepi, ce manque de toilettes publiques a toujours été une réalité :

« En 16 ans, je n’ai pas vu le nombre de toilettes publiques gardiennées (non-automatiques) augmenter à Strasbourg. L’Eurométropole a même supprimé celles de la place d’Austerlitz en 2015 malgré nos manifestations. Apparemment, il n’y avait pas assez de fréquentation, alors ces toilettes sont ouvertes seulement lors du marché de Noël. »

Valérie Ripepi est agent d’entretien pour l’Eurométropole depuis 16 ans. Pour elle, il y a toujours eu un manque de toilettes publiques à Strasbourg (Photo LC / Rue89 Strasbourg / cc).

Une décision incompréhensible pour Laurence Siry, secrétaire générale adjointe de la CFDT : « La place d’Austerlitz est très touristique, il y a beaucoup de passage et un parc pour les enfants. Pourtant, il n’y a pas de toilettes à proximité car la majorité est regroupée en centre-ville. »

Réduction des horaires d’ouverture des toilettes publiques

Pour Karim Hadi, secrétaire général de la CGT Eurométropole, l’EMS a voulu mettre en place une politique de recentrage des toilettes publiques :

« Depuis 2015, il y a eu une politique du cercle d’or. L’Eurométropole de Strasbourg a voulu créer un îlot central où les agents d’entretien de la ville continuent d’intervenir au détriment de la périphérie. Il n’y a qu’au centre-ville que les toilettes publiques sont ouvertes toute la journée ».

Cette politique s’est traduite par la réduction des horaires d’ouverture dans les toilettes publiques situées en périphérie de la ville, selon Karim Hadi. En période hivernale, les toilettes publiques du parc de la Citadelle, du parc de l’Orangerie et du jardin des deux Rives sont ouvertes uniquement les mercredi, samedi et dimanche, entre 10 heures et 17 heures. Au contraire, en été, elles sont accessibles chaque jour au public de 10 heures à 20 heures.

De même, les toilettes publiques du Neudorf et de la Marne sont ouvertes uniquement les jours de marché soit le mardi et le samedi, de 6 heures à 13 heures 30. Cette stratégie vise à adapter les horaires d’ouverture des toilettes publiques à la fréquentation du lieu.

Les toilettes publiques du jardin des deux Rives ne sont pas ouvertes toute la journée. Elles sont ouvertes le mercredi, samedi, dimanche de 10 heures à 17 heures (Photo LC / Rue89 Strasbourg / cc).

« Entre 2015 et 2020, 50% des postes d’agents d’entretien ont été supprimés »

Pour Karim Hadi, cette politique de recentrage des toilettes publiques a aussi permis à l’Eurométropole de Strasbourg de réduire le nombre de salariés chargés du nettoyage de ces toilettes : « Entre 2015 et 2020, 50% des postes d’agents d’entretien de l’Eurométropole ont été supprimés. »

La création de 4 toilettes publiques automatiques depuis 2014 explique aussi cette réduction du nombre d’agents d’entretien, selon Laurence Siry :

« Plusieurs toilettes automatiques ont été mises en place. Aucun agent ne fait le ménage dans ces toilettes quand elles sont ouvertes, ce n’est pas le même service. Dans les toilettes gardiennées, les agents passent presque après chaque client. »

Seules les toilettes automatiques de la Place de Bordeaux, mises en place le 8 mars 2021, et de la rue Quintenz à Illkirch-Graffenstaten, sont ouvertes en journée de 4 heures 30 à minuit. À l’angle de la rue Saint-Guillaume et du quai des pêcheurs, et place de l’Etoile, les cabines automatiques fonctionnent seulement la nuit, après la fermeture des toilettes gardiennées. Les toilettes publiques de la place André Maurois sont ouvertes uniquement le samedi de 6 heures à 14 heures durant le marché.

Refus des nouveaux projets de toilettes publiques

Depuis 2015, plusieurs projets de toilettes publiques ont été proposés à l’Eurométropole, selon Paul Meyer adjoint du quartier Centre-Gare sous l’ancien maire de Strasbourg :

« J’ai proposé de créer des toilettes publiques place Sainte Aurélie, place de la Porte Blanche, au square Louise Weiss et rue du Ban-de-la-Roche près de la gare. Mais à chaque fois ces projets ont été refusés lors des conseils de l’Eurométropole de Strasbourg. »

Ce « service publique de base » est méprisé par certains élus de l’Eurométropole de Strasbourg, selon Paul Meyer : « C’est un sujet moqué alors que cela concerne toutes les personnes en situation de précarité et cela touche à la dignité humaine. On rigolait de moi quand je parlais de toilettes publiques. »

10 toilettes publiques automatisées créées d’ici 2026

Pour remédier au manque de toilettes publiques, l’Eurométropole souhaite augmenter le nombre de cabines automatiques gratuites pour proposer aux usagers un service 24h/24h. Selon Jean-Paul Preve, conseiller délégué de la propreté de l’Eurométropole et maire d’Oberschaeffolsheim, 10 toilettes publiques automatisées seront créées d’ici 2026 :

« Quand on compare la ville de Strasbourg aux autres métropoles, on se rend compte qu’il y a une réelle défaillance sanitaire. En tant que ville touristique, Strasbourg a aussi une image à défendre. Depuis 2014, le projet est donc de construire 14 toilettes publiques automatiques. 4 fonctionnent déjà : place André Maurois, place de Bordeaux, rue Saint Guillaume et rue de Quintenz. Mais ce projet prend du temps car Strasbourg a beaucoup de monuments historiques et nous ne pouvons pas construire n’importe où. »

L’EMS préfère les toilettes automatiques aux toilettes gardiennées. « Si on fait des toilettes qui ne sont pas gérées par des humains, cela nous permet de les laisser ouvertes la nuit. Notre but est de couvrir les zones qui n’ont pas de toilettes publiques et pas seulement le centre-ville », affirme Jean-Paul Preve. Autre solution : géolocaliser les toilettes publiques dans la ville de Strasbourg sur l’application StrasMap.

Les toilettes publiques du parc de l’Etoile possèdent deux toilettes automatiques ouvertes durant la nuit (Photo LC / Rue89 Strasbourg / cc).

Pour le moment, l’Eurométropole a décidé de rouvrir en journée les toilettes de la place d’Austerlitz pour répondre à la demande des usagers durant la pandémie. La période d’ouverture des toilettes publiques dans les parcs devrait aussi être allongée.


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