

La Cour européenne des Droits de l'Homme (DR)
Strasbourgeoises, Strasbourgeois, cette nouvelle n’a pu vous échapper. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a jugé que le refus d’accorder à une femme le droit d’adopter l’enfant de sa compagne n’était pas discriminatoire. Mais je dis qu’il y a bien discrimination, sauf qu’elle est cachée.
Une fois que ceci est dit, il faut quand même expliquer cette décision sans verser dans un débat purement politique ou au minimum partisan. Mais, j’y songe. Combien d’entre vous savent ce qu’est la Cour Européenne des Droits de l’Homme et en quoi ses décisions sont d’une importance capitale ?
Miaou. Je vois d’ici les regards gênés et vides.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme est basée à Strasbourg et examine les cas présentés à elles par les citoyens des pays membres du Conseil de l’Europe (et pas seulement de l’Union Européenne). Pour ce faire, elle dispose d’un texte, la Convention Européenne des Droits de l’Homme (pdf) et opère ainsi un contrôle de « conventionnalité » ou de conformité plus simplement dit, des décisions prises par les tribunaux nationaux avec ladite Convention. Tout le monde suit ? La Cour Européenne des droits de l’Homme ne peut être saisie, en principe, que lorsque tous les recours nationaux ont été épuisés.
Ce qui est intéressant est la force de ses décisions. Une fois rendue définitivement, la décision de la Cour s’impose à l’Etat du requérant. C’est ainsi, grâce à des décisions de la Cour de Strasbourg, que les dispositions sur la garde à vue ont été changées. Les citoyens français ont désormais le droit, comme dans ces bonnes vieilles séries américaines, de dire « je ne parlerai qu’en présence de mon avocat » puisque que la présence d’un avocat lors des auditions est désormais de droit.
La Cour européenne peut forcer les Etats à changer de législation
Tout ça pour dire que les décisions rendues par la Cour Européenne des Droits de l’Homme sont toujours à regarder avec beaucoup d’intérêt car elles peuvent obliger les Etats à changer leur législation.
Mais revenons à nos moutons. Le cas présenté ici pouvait avoir une incidence certaine en ce que la décision rendue pouvait amener à une obligation pour l’Etat français de reconnaître le droit à l’adoption pour des couples homosexuels.
L’affaire est la suivante. Nathalie Dubois et Valérie Gas, ressortissantes françaises, vivent en concubinage depuis 1989. En 2000, Nathalie Dubois donne naissance en France à une fille, conçue en Belgique par procréation médicalement assistée, de telle sorte que la fillette n’a pas de filiation établie juridiquement à l’égard du père. En 2002, les concubines décident de se pacser.
Quatre ans plus tard, Valérie Gas, qui n’est pas la mère biologique, forme devant un tribunal français une requête d’adoption simple de la fillette. Le tribunal refuse aux motifs que l’adoption demandée aurait des conséquences légales contraires à l’intérêt de l’enfant. La mère biologique de la fillette aurait été privée, du fait de l’adoption, de tout droit sur son enfant car seuls peuvent bénéficier du partage de l’autorité parentale prévu par l’article 365 du code civil, l’époux ou l’épouse du parent biologique.
Pas de mariage, pas de droits parentaux
Il convient de rappeler à ce stade que nos deux requérantes sont pacsées et non mariées. D’où le refus du tribunal. La même conclusion est retenue par la Cour d’Appel de Versailles. Parce qu’elles étaient pacsées et non mariées, l’autorité parentale aurait été totalement retirée à la mère biologique.
Les deux femmes se pourvoient en cassation, puis se désistent finalement suite à un arrêt dit de principe dans une affaire similaire. La Cour de Cassation affirme l’impossibilité d’adoption de l’enfant de la compagne ou du compagnon du parent biologique lorsque le couple n’est pas marié.
Or, et vous l’aurez maintenant compris, pour bénéficier des mêmes droits que les couples mariés en matière d’adoption, il suffirait que nos deux requérantes se marient mais il leur est interdit de se marier puisqu’elles sont un couple homosexuel. Kafka, si tu nous écoutes !
Les deux françaises saisissent alors la Cour Européenne des Droits de l’Homme en se prévalant du fait que les décisions de justice françaises portent atteinte à leur droit à une vie privée et familiale de façon discriminatoire (article 8 et 14 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme).
Lorqu’elle est amenée à se prononcer sur des situations alléguées comme discriminatoires, la Cour de Strasbourg regarde si tous les citoyens de l’Etat considéré, placés dans la même situation, bénéficient exactement des mêmes droits.
Pas de mariage, pas d’adoption
Or, sur un plan purement juridique et à ce stade du raisonnement, force est de constater, qu’en France, c’est le cas. S’agissant de l’interdiction d’adopter l’enfant de sa compagne ou de son compagnon, la loi française ne distingue pas entre couple hétérosexuel et couple homosexuel mais entre couple marié et couple pacsé. L’interdiction d’adoption de l’enfant du compagnon ou de la compagne vaut pour tous les couples pacsés. Que ces derniers soient des couples hétérosexuels ou des couples homosexuels. Ainsi, du point de vue de la Cour de Strasbourg, aucune discrimination n’est à relever puisque l’homosexualité du couple formé par Nathalie Dubois et Valérie Gas n’a pas été le critère de refus de l’adoption. Seul le fait qu’elles soient pacsées et donc non mariées a fondé la décision des magistrats français. Il n’y a donc pas discrimination basée sur l’orientation sexuelle puisque le refus d’adoption vaut aussi pour les couples pacsés hétérosexuels.
Le raisonnement juridique tient parfaitement la route. Mais. Quand même. La Cour n’a-t-elle pas oublié de considérer le fait que les couples pacsés hétérosexuels peuvent avoir accès à l’adoption en se mariant tandis que cela est strictement impossible pour les couples homosexuels?
Où va se nicher la discrimination…
Pourquoi la Cour de Strasbourg n’a pas estimé que le fait de ne pouvoir se marier pour les couples homosexuels ne constituait pas une discrimination ? Tout simplement parce qu’elle considère de façon constante que la Convention Européenne des Droits de l’Homme n’impose pas aux Etats d’ouvrir le mariage aux couples homosexuels lorsqu’ils décident de leur offrir un autre mode de reconnaissance juridique. En l’occurrence, en France, les couples homosexuels se voient offrir un mode de reconnaissance juridique par le pacs. Les Etats disposent alors d’un droit à légaliser ou pas le mariage pour les couples homosexuels et la Cour de Strasbourg ne peut leur imposer.
N’empêche. Cour Européenne des Droits de l’Homme, Maître Chat trouve que tu as sérieusement botté en touche. Parce que discrimination il y a. Un couple pacsé hétérosexuel se voyant refuser l’adoption a le droit de se marier et ainsi permettre l’adoption de l’enfant du conjoint. Ce que ne peut faire un couple homosexuel. Tu vois bien, Cour de Strasbourg, que des citoyens placés dans la même situation n’ont pas exactement les mêmes droits. Et, que, oui, par conséquent, discrimination fondée sur l’orientation sexuelle il y a.
Avec tout le respect que je dois à Kafka, à Molière et son célèbre Tartuffe, et tout Maître Chat que je suis, je ne peux m’empêcher de me dire qu’ils auraient, tous deux, adoré cette histoire.
Miaou.
Un couple hétérosexuel peut se marier parce que lui seul remplie les conditions requises par la loi. Le droit de se marier se fonde sur la différence sexuelle. C'est grâce à cette différence sexuelle qu'un couple peut fonder une famille. D'après la science il y a fécondation seulement entre un homme et une femme. Et c'est pour cela que l'article 12 de la Convention garantie dans un seul et même "droit le droit de se marier et de fonder une famille". Et c'est pour cela qu'un "couple" homosexuel n'a pas le droit de se marier, mais seulement de se pacser. Vous voyez, on n'est pas du point de vue objectif dans la même situation, le "couple" homosexuel. Les gamètes d'un homme et d'une femme peuvent procréer, tandis que ceux de deux femmes ou deux hommes non. Et si vous pensez m'indiquer qu'il y a des couples hétérosexuels qui ne peuvent pas avoir des enfants, eh bien, cela relève du pathologique et on peut pas mettre sur le même pied une situation pathologique (couple hétérosexuel infertile) avec une situation d’impossibilité par nature de procréer ("couple" homosexuel). C'est une injustice de ne pas tenir compte des différences. Et c'est discriminer justement de ne pas tenir compte de la situation de chaqu'un.
Quand je dis "ce n'est pas la même chose" je veux dire que chaque situation est objectivement différente (marié, pacsé, hétérosexuel, homosexuel...), c'est une toute autre réalité qui est appréhendée par le droit telle qu'elle est. Ce qui est juste.
L'utilisation des guillemets est pour bien montrer que le mot couple n'a pas de sens dans ce cas. Le mot couple vient du latin "copula" qui veut dire copuler, vous voyer, un autre argument à l'appui de l'existence de la différence de la situation...
Il n'y a pas de contradiction entre le rôle subsidiaire de la Cour et le caractère obligatoire de ses arrêts pour les pays membres. Pour cela je vous renvoi au site de la Cour pour regarder de près la question, car ce n'est pas la place ici de s'attarder sur cela. Je vais juste vous indiquer les articles 1 et 19 de la Convention et le fait que la Cour ne peut pas imposer aux États des nouveaux obligations auxquelles ils n'ont pas consenti au moment de la ratification de la Convention. En plus, l'exemple que vous donnez sur la garde à vue- droit garantit par la Convention- n'est pas approprié, car si droit à la liberté et sureté dans la Convention il y a, il n'y a pas de droit au mariage pour un "couple" homosexuel dans la Convention, et donc les États sont libre sur ce terrain, aucune obligation ressortant de la Convention ne peut leur être opposée.
Tout d'abord, je ne miaoune pas. je miaule. Cette précision d'importance étant faite, je reprends votre argumentation point par point
- "discriminer c’est « traiter de manière différente, sans justification raisonnable, des personnes se trouvant dans la même situation »
Nous sommes au moins d'accord sur ce point. Vous avez tout à fait raison et vous raisonnez ici comme la Cour. En l'espèce, un couple hétérosexuel pacsé peut, pour bénéficier des dispositions de l'article 365 du code civil, se marier. Ce couple hétérosexuel pacsé a donc le droit de se marier et cela lui permet l'adoption de l'enfant du conjoint. Droit que n'a pas un couple homosexuel. C'est en ce sens que la discrimination existe. Le droit au mariage permet de bénéficier de droits que ne permet pas le pacs dont celui d'adopter l'enfant de sa compagne ou de son compagnon.
- "Or, il est tellement évident (sauf pour les aveugles ), tant du point de vue de la réalité que du point de vu juridique, qu’un couple marié n’est pas la même chose qu’un couple pacsé, un couple hétérosexuel n’est pas la même chose qu’un « couple » homosexuel."
Qu'appelez-vous ne pas "être la même chose"? Et pourquoi l'utilisation de guillemets pour le terme couple s'agissant des homosexuels? Est-ce en vue de faire avancer notre raisonnement juridique?
- "Secundo, la Cour a un rôle subsidiaire, elle ne peut pas se comporter en Parlement. Ses arrêts sont obligatoires pour tous les 47 pays membres, donc attention, elle ne peut pas forcer les États qui restent souveraines"
Vous ne pouvez pas dire une chose et son contraire, cher Europe. Ou les arrêts de la Cour s'imposent aux Etats signataires de la convention ou ces Etats restent souverains. En l'occurrence, les arrêts de la Cour s'imposent aux Etats Membres et ne sont pas subsidiaires. Comme je l'explique dans mon billet, c'est parce que la Cour de Strasbourg a jugé que la garde à vue en France n'était pas conforme à la Convention Européenne des Droits de l'Homme que la France, perdant par là-même sa souveraineté, a du modifier les dispositions sur la garde à vue. De telle sorte, cher Europe, que si vous êtes un jour placé en garde à vue, vous aurez le droit à l'assistance d'un avocat pendant vos auditions. Et allez savoir, cela sera peut-être moi. Miaou.
De façon incidente mais sans doute nécessaire, sachez que les traités internationaux et particulièrement les traités européens ont de principe une force supérieure à la loi. Seule la constitution a une force juridique supérieure aux traités européens. Ainsi, en matière de droit de l'homme, la convention Européenne a une force supérieure à la loi française. Ne vous en déplaise.
Enfin,
- "Par conséquent, je pense que vous arguments sont fallacieux…".
Je vous accorde bien volontiers le droit de le penser sans même en discuter. Miauleur je suis, certes, mais élégant je demeurerai. C'est le comportement qui de plus sied le mieux d'un salon littéraire.
Je vous chalut. Miaou.
Primo, il n'y a pas de discrimination, parce que, selon la jurisprudence de la CEDH, discriminer c'est "traiter de manière différente, sans justification raisonnable, des personnes se trouvant dans la même situation". Or, il est tellement évident (sauf pour les aveugles :-) ), tant du point de vue de la réalité que du point de vu juridique, qu'un couple marié n'est pas la même chose qu'un couple pacsé, un couple hétérosexuel n'est pas la même chose qu'un "couple" homosexuel. Si s'était la même chose, on n'aura pas besoin des mots et institutions différents.
Secundo, la Cour a un rôle subsidiaire, elle ne peut pas se comporter en Parlement. Ses arrêts sont obligatoires pour tous les 47 pays membres, donc attention, elle ne peut pas forcer les États qui restent souveraines...
Par conséquent, je pense que vous arguments sont fallacieux...
Quant à Kafka et Molière, je vous invite à les relire sérieusement. L'un pour sa dénonciation de l'isolement, l'autre pour celle de toutes les hypocrisies de son époque.
Je vous chalue. Miaou.