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Adoption pour les homosexuels, la discrimination à plusieurs étages
Maître Chat
Chroniques d'un avocat strasbourgeois presque ordinaire. Miaou.
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Adoption pour les homosexuels, la discrimination à plusieurs étages

par Maître Chat.
Publié le 20 mars 2012.
Imprimé le 29 mai 2023 à 18:39
1 612 visites. 5 commentaires.

La Cour européenne des Droits de l'Homme (DR)

Strasbourgeoises, Strasbourgeois, cette nouvelle n’a pu vous échapper. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a jugé que le refus d’accorder à une femme le droit d’adopter l’enfant de sa compagne n’était pas discriminatoire. Mais je dis qu’il y a bien discrimination, sauf qu’elle est cachée.

Une fois que ceci est dit, il faut quand même expliquer cette décision sans verser dans un débat purement politique ou au minimum partisan. Mais, j’y songe. Combien d’entre vous savent ce qu’est la Cour Européenne des Droits de l’Homme et en quoi ses décisions sont d’une importance capitale ?

Miaou. Je vois d’ici les regards gênés et vides.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme est basée à Strasbourg et examine les cas présentés à elles par les citoyens des pays membres du Conseil de l’Europe (et pas seulement de l’Union Européenne). Pour ce faire, elle dispose d’un texte, la Convention Européenne des Droits de l’Homme (pdf) et opère ainsi un contrôle de « conventionnalité » ou de conformité plus simplement dit, des décisions prises par les tribunaux nationaux avec ladite Convention. Tout le monde suit ? La Cour Européenne des droits de l’Homme ne peut être saisie, en principe, que lorsque tous les recours nationaux ont été épuisés.

Ce qui est intéressant est la force de ses décisions. Une fois rendue définitivement, la décision de la Cour s’impose à l’Etat du requérant. C’est ainsi, grâce à des décisions de la Cour de Strasbourg, que les dispositions sur la garde à vue ont été changées. Les citoyens français ont désormais le droit, comme dans ces bonnes vieilles séries américaines, de dire « je ne parlerai qu’en présence de mon avocat » puisque que la présence d’un avocat lors des auditions est désormais de droit.

La Cour européenne peut forcer les Etats à changer de législation

Tout ça pour dire que les décisions rendues par la Cour Européenne des Droits de l’Homme sont toujours à regarder avec beaucoup d’intérêt car elles peuvent obliger les Etats à changer leur législation.

Mais revenons à nos moutons. Le cas présenté ici pouvait avoir une incidence certaine en ce que la décision rendue pouvait amener à une obligation pour l’Etat français de reconnaître le droit à l’adoption pour des couples homosexuels.

L’affaire est la suivante. Nathalie Dubois et Valérie Gas, ressortissantes françaises, vivent en concubinage depuis 1989. En 2000, Nathalie Dubois donne naissance en France à une fille, conçue en Belgique par procréation médicalement assistée, de telle sorte que la fillette n’a pas de filiation établie juridiquement à l’égard du père. En 2002, les concubines décident de se pacser.

Quatre ans plus tard, Valérie Gas, qui n’est pas la mère biologique, forme devant un tribunal français une requête d’adoption simple de la fillette. Le tribunal refuse aux motifs que l’adoption demandée aurait des conséquences légales contraires à l’intérêt de l’enfant. La mère biologique de la fillette aurait été privée, du fait de l’adoption, de tout droit sur son enfant car seuls peuvent bénéficier du partage de l’autorité parentale prévu par l’article 365 du code civil, l’époux ou l’épouse du parent biologique.

Pas de mariage, pas de droits parentaux

Il convient de rappeler à ce stade que nos deux requérantes sont pacsées et non mariées. D’où le refus du tribunal. La même conclusion est retenue par la Cour d’Appel de Versailles. Parce qu’elles étaient pacsées et non mariées, l’autorité parentale aurait été totalement retirée à la mère biologique.

Les deux femmes se pourvoient en cassation, puis se désistent finalement suite à un arrêt dit de principe dans une affaire similaire. La Cour de Cassation affirme l’impossibilité d’adoption de l’enfant de la compagne ou du compagnon du parent biologique lorsque le couple n’est pas marié.

Or, et vous l’aurez maintenant compris, pour bénéficier des mêmes droits que les couples mariés en matière d’adoption, il suffirait que nos deux requérantes se marient mais il leur est interdit de se marier puisqu’elles sont un couple homosexuel. Kafka, si tu nous écoutes !

Les deux françaises saisissent alors la Cour Européenne des Droits de l’Homme en se prévalant du fait que les décisions de justice françaises  portent atteinte à leur droit à une vie privée et familiale de façon discriminatoire (article 8 et 14 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme).

Lorqu’elle est amenée à se prononcer sur des situations alléguées comme discriminatoires, la Cour de Strasbourg regarde si tous les citoyens de l’Etat considéré, placés dans la même situation, bénéficient exactement des mêmes droits.

Pas de mariage, pas d’adoption

Or, sur un plan purement juridique et à ce stade du raisonnement, force est de constater, qu’en France, c’est le cas. S’agissant de l’interdiction d’adopter l’enfant de sa compagne ou de son compagnon, la loi française ne distingue pas entre couple hétérosexuel et couple homosexuel mais entre couple marié et couple pacsé. L’interdiction d’adoption de l’enfant du compagnon ou de la compagne vaut pour tous les couples pacsés. Que ces derniers soient des couples hétérosexuels ou des couples homosexuels. Ainsi, du point de vue de la Cour de Strasbourg, aucune discrimination n’est à relever puisque l’homosexualité du couple formé par Nathalie Dubois et Valérie Gas n’a pas été le critère de refus de l’adoption. Seul le fait qu’elles soient pacsées et donc non mariées a fondé la décision des magistrats français. Il n’y a donc pas discrimination basée sur l’orientation sexuelle puisque le refus d’adoption vaut aussi pour les couples pacsés hétérosexuels.

Le raisonnement juridique tient parfaitement la route. Mais. Quand même. La Cour n’a-t-elle pas oublié de considérer le fait que les couples pacsés hétérosexuels peuvent avoir accès à l’adoption en se mariant tandis que cela est strictement impossible pour les couples homosexuels?

Où va se nicher la discrimination…

Pourquoi la Cour de Strasbourg n’a pas estimé que le fait de ne pouvoir se marier pour les couples homosexuels ne constituait pas une discrimination ? Tout simplement parce qu’elle considère de façon constante que la Convention Européenne des Droits de l’Homme n’impose pas aux Etats d’ouvrir le mariage aux couples homosexuels lorsqu’ils décident de leur offrir un autre mode de reconnaissance juridique. En l’occurrence, en France, les couples homosexuels se voient offrir un mode de reconnaissance juridique par le pacs. Les Etats disposent alors d’un droit à légaliser ou pas le mariage pour les couples homosexuels et la Cour de Strasbourg ne peut leur imposer.

N’empêche. Cour Européenne des Droits de l’Homme, Maître Chat trouve que tu as sérieusement botté en touche. Parce que discrimination il y a. Un couple pacsé hétérosexuel se voyant refuser l’adoption a le droit de se marier et ainsi permettre l’adoption de l’enfant du conjoint. Ce que ne peut faire un couple homosexuel. Tu vois bien, Cour de Strasbourg, que des citoyens placés dans la même situation n’ont pas exactement les mêmes droits. Et, que, oui, par conséquent, discrimination fondée sur l’orientation sexuelle il y a.

Avec tout le respect que je dois à Kafka, à Molière et son célèbre Tartuffe, et tout Maître Chat que je suis, je ne peux m’empêcher de me dire qu’ils auraient, tous deux, adoré cette histoire.

Miaou.

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Avocat strasbourgeois, j'ai quelques coups de pattes à donner sur la justice et l'univers judiciaire. Miaou.

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