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Âge, revenu, ésotérisme… Pourquoi le Grand Est affiche des taux de vaccination si différents ?

La campagne de vaccination contre la covid-19 a débuté au début de l’année 2021. Sa cartographie à l’échelle des intercommunalités du Grand-Est met à jour de nombreuses disparités. Ces dernières peuvent s’expliquer par des différences d’âge, de revenus ou une proximité avec une culture antivaccin.

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L’Assurance maladie fournit depuis 2021 des données de vaccination contre la covid-19 à l’échelle des Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI, souvent des communautés de communes). Rue89 Strasbourg s’en est servi pour cartographier les taux de vaccination de ces territoires de la région Grand Est jusqu’au 20 décembre 2021.

Du côté des moins vaccinés, l’ensemble du Pays Haut de Meurthe-et-Moselle et ses alentours se distinguent, mais aussi la quasi totalité du Haut-Rhin. Le département haut-rhinois compte le taux de vaccination le plus bas de la grande région, avec 71% de sa population vaccinée à la fin de l’année 2021.

À l’opposé, la communauté de communes du Kochersberg affiche un taux de vaccination de 79,60%. De même, dans plusieurs communautés de communes à l’Est de Reims, plus de 77% de la population est vaccinée.

Les plus âgés sont aussi les plus vaccinés

CoviPrev est une étude menée par Santé Publique France (SPF) afin de suivre l’évolution des comportements durant l’épidémie de covid-19. Cette étude a notamment permis de mesurer l’adhésion à la vaccination par classe d’âge. Dès la fin 2020, les plus de 65 ans y étaient favorables à plus de 60%, tandis que les autres tranches d’âge se situaient toutes en-dessous des 50%.

Dans le Grand Est, certaines communautés de communes les plus vaccinées fin 2021 sont aussi celles qui ont une forte proportion de personnes âgées. C’est le cas de l’Argonne Ardennaise, qui compte plus de 77% personnes complètement vaccinées lors de la semaine du 20 décembre 2021. En 2018, selon un recensement de l’INSEE, près de 33% de la population de ce territoire était âgée de plus de 60 ans. Au niveau de la grande région, seulement 26% de la population était âgée de plus de 60 ans en 2018.

L’Eurométropole de Strasbourg (EMS) comptait quant à elle 22% d’habitants de plus de 60 ans lors du même recensement. L’EMS figure donc sans surprise dans le groupe des intercommunalités les moins vaccinées du Grand Est, avec 70% de la population ayant un schéma de vaccination complet.

Une distinction par catégorie socio-professionnelle

L’enquête CoviPrev décrit aussi la catégorie socio-professionnelle comme un facteur déterminant dans le choix de la vaccination. En résumé, les cadres et ingénieurs sont plus enclins à se faire vacciner que les ouvriers et employés.

Ce parallèle entre vaccination et revenu s’illustre par exemple lors de la semaine du 20 décembre 2021 par deux extrêmes alsaciens : dans la communauté de communes du Kochersberg, aux revenus plutôt aisés : 79,6% de personnes complètement vaccinées, tandis que dans l’agglomération de Mulhouse, aux revenus moyens plus modestes, 65,7% de personnes complètement vaccinées.

En ce qui concerne le niveau de vie, l’INSEE a l’habitude de calculer la médiane du revenu disponible par ménage. Le revenu médian d’un territoire divise sa population en deux parts égales : le nombre d’habitants qui gagnent moins que le revenu médian est égal au nombre d’habitants qui gagnent plus. En 2018, la différence entre Kochersberg et Mulhouse était nette : le revenu médian était de 27 360 euros côté Kochersberg, contre un revenu médian de 21 040 euros au sein de l’agglomération de Mulhouse.

Les dynamiques par classe d’âge sont également intéressantes à comparer. Durant la semaine du 13 décembre 2021, 69% des 20-39 ans et 77% des 40-54 ans totalement vaccinés à Mulhouse. Ces niveaux avaient été atteints dès le début du mois d’août dans le Kochersberg. Mi-décembre, sa communauté de communes dénombrait 87% des 20-39 ans et 92% des 40 -54 ans totalement vaccinés.

L’impact de l’anthroposophie

Le paradoxe mérite d’être relevé : pour quelles raisons une zone comme celle de Mulhouse, qui a été frappée de plein fouet par la covid-19 avant le reste du pays, a boudé les vaccins contre cette maladie ? Contactées par Rue89 Strasbourg, l’Agence régionale de Santé (ARS) et Santé Publique France (SPF) Grand-Est pointent des influences locales :

« Les études de couverture vaccinale hors covid-19 montrent dans le Grand-Est une séparation Est/Ouest. Les départements de l’Est étant historiquement les plus « tièdes » à l’égard de la vaccination en général, probablement sous l’effet d’influences germaniques. »

Interrogée sur la signification des « influences germaniques », l’ARS a transmis à Rue89 Strasbourg un rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) publié en 2017. Ce document affirme qu’un quart des adeptes français de l’anthroposophie résident en Alsace. La proximité directe avec la Suisse alémanique, berceau du mouvement, expliquerait en grande partie cet engouement alsacien. Le rapport stipulait que « les parents adeptes de ce courant de pensée sont moins enclins que les autres à vacciner leurs enfants. […] L’élément le plus saillant de ces publications est la convocation par les enquêtes de leur volonté de “laisser faire la nature”. »

L’implantation ancienne d’écoles à pédagogies alternatives en général et d’écoles Steiner-Waldorf en particulier en Alsace expliquerait en partie, selon l’ARS, la frilosité de certains Alsaciens à l’égard de la vaccination contre la covid-19.

Une pression hospitalière réduite

Un peu plus d’un million d’habitants du Grand Est se sont fait complètement vaccinés contre la covid-19 entre février et juin 2021. Une importante accélération s’est opérée dès la fin du printemps, avec presque 2 millions de vaccinations supplémentaires entre juin et août 2021. Mais à partir de la rentrée, la courbe commence à se tasser : entre septembre et fin décembre 2021, seulement 500 000 personnes ont terminé un cycle vaccinal complet.

En parallèle de cette campagne de vaccination, une accalmie est visible au niveau des hospitalisations, entrées en réanimation et décès à l’hôpital. Les établissements hospitaliers connaissent un regain d’activité liée au covid entre la mi-juillet et la fin septembre 2021. Mais dès la mi-octobre, une hausse plus significative s’amorce, sans atteindre pour l’instant les niveaux de la longue vague s’étirant de l’automne 2020 au printemps 2021. L’ARS Grand-Est détaille :

« La quatrième vague (entre juillet et septembre 2021, NDLR) a été moins importante dans le Grand-Est que dans d’autres régions métropolitaines très touristiques comme la PACA ou la Corse. Elle s’est caractérisée par une circulation virale essentiellement chez les plus jeunes, moins exposés au risque de faire une forme grave de covid-19, et aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

Contrairement à la vague précédente, celle que nous traversons aujourd’hui a concerné l’ensemble des classes d’âge et des départements de la région. Cette reprise épidémique s’explique à la fois par la perte d’efficacité vaccinale causée par le variant Delta, notamment chez les personnes pour qui la dernière injection de primo-vaccination datait de plus de 6 mois, par les conditions climatiques hivernales favorisant une concentration des activités dans des espaces confinés, et par la circulation d’autres pathologies infectieuses (bronchiolite, GEA) qui n’avaient quasiment pas circulé pendant l’hiver 2020/2021. »

Une incertitude liée à de nouveaux variants

Concernant les effets de la vaccination, l’ARS et SPF Grand-Est répondent sans ambiguïté :

« Ce qu’on peut dire à ce stade, c’est que la vaccination, en réduisant le risque de faire une forme grave, a contribué à réduire l’impact sanitaire des troisième, quatrième et cinquième vagues. »

Une incertitude demeure avec l’apparition de variants du SARS-CoV2 capables d’échapper à l’immunité acquise par la vaccination et/ou une infection antérieure. Là encore, l’ARS et SPF Grand-Est préviennent :

« L’émergence de nouveaux variants pourrait à nouveau bouleverser le contexte, et ce risque demeure tant qu’une grande partie de la population adulte mondiale n’a pas accès à la vaccination. »


#Covid-19

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