Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

« Il est là l’Arabe ! » Une fête de village vire au lynchage

Un mineur a été agressé après avoir reçu des insultes racistes lors d’une fête de village à Soucht, à la limite du Bas-Rhin et de la Moselle. La victime témoigne, une enquête a été ouverte.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

« Il est là l’Arabe ! » Une fête de village vire au lynchage

Le week-end du 20 août dans un village voisin de Meisenthal et frontalier du Bas-Rhin, c’était le « Souchter Kirb ». Quatre jours de festivités estivales et une place de choix pour les « conscrits » de la commune, c’est-à-dire celles et ceux qui ont 18 ans dans l’année. Mais ce n’est pas des manèges, de la musique et des danses qu’Amin (prénom modifié), 17 ans et habitant d’une commune voisine, se souviendra. Le lycéen, futur étudiant en musicologie à Strasbourg, a été roué de coups dans un verger, une agression précédée par des propos ouvertement racistes.

À Rue89 Strasbourg, le lycéen témoigne. Il connait l’identité des deux jeunes adultes qui l’ont agressé :

« Ce sont deux frères que je connais parce qu’ils sont souvent présents aux soirées des villages, mais pas personnellement. Le week-end précédent, à une autre fête, l’un deux m’a dit “Les Arabes ce sont tous les mêmes”. Je n’avais pas réagi sur le coup. Puis vendredi et samedi soir à Soucht, ils reviennent me chercher. Je ne réponds toujours pas. Arrive le dimanche soir, j’étais à la fête vers 23h avec des amis et je suis allé chercher des amis dans un champ. Quand je suis arrivé derrière une tonnelle vers 3h, j’ai entendu : « Les arabes c’est des merdes, faut tous les mettre sur des planches et les brûler ». C’était un père de famille, il était très saoul. Je suis allé le voir et le ton est monté. Un des jeunes frères qui était avec lui m’a dit « Encore toi » et « Tu fous encore la merde » et m’a poussé. J’ai donné le premier coup puis le père m’a mis un coup à la mâchoire. On a été séparés. »

Hache et poings américain de sortie

L’altercation aurait pu s’arrêter là mais ce n’était que le début. Témoin de la scène, Driss (prénom modifié), un ancien camarade de classe d’Amin, fait partie de ceux qui sont intervenus pour séparer les parties :

« Ça s’est calmé 15 à 20 minutes puis un véhicule utilitaire a déboulé dans le champ, en roulant très vite, sans faire attention aux gens. C’était le père de famille raciste avec des jeunes adultes, ils sont sortis comme des fous furieux, on voyait qu’ils ciblaient quelqu’un. C’était le chaos, des gens se sont battus, certains étaient par terre. Moi j’étais tétanisé, j’avais le sentiment que si je me trouvais sur leur chemin, j’aurais été agressé en raison de ma couleur de peau. Ils avaient une hache, mais heureusement des gens ont eu le courage de la prendre et de la lancer au loin dans la forêt. Il y avait une dizaine de personnes qui soutenaient le père et les jeunes mais pas tous prêts à se battre et une cinquantaine de personnes qui voulaient arrêter l’altercation et leur disaient de dégager. Les premiers sont finalement repartis. Tout le monde était en état de choc. »

Le jeune homme, qui n’est qu’une ancienne connaissance d’Amin et n’a pas passé la soirée avec lui, note aussi qu’avant cela, il y avait déjà un climat tendu sur le champ. « Vers minuit, avant qu’Amin arrive, il y avait déjà eu des personnes visées par des propos du type « Cassez vous, vous n’êtes pas les bienvenus. Dégagez si vous êtes arabes ».

Amin raconte l’irruption des agresseurs :

« L’un des frères a pointé le flash de son téléphone sur moi et a dit “Ils sont là, il est là l’arabe”. Je leur ai dit d’arrêter et je me suis défendu. J’ai été mis au sol et plusieurs personnes, trois ou quatre, se sont mises sur moi, j’ai été roué de coups. Je ne sais pas si j’ai reçu des coups de poing américain, mais ça a été le cas pour l’un de mes amis, qui est noir. Heureusement qu’il y avait des amis autour de moi et que des gens sont intervenus. Les agresseurs ont fini par partir. »

Trois jours d’interruption de travail et une enquête

Les urgences de Bitche, où Amin a passé la fin de la nuit, ont délivré au néo-bachelier une interruption de temporaire de travail (ITT) de trois jours. La docteure relève six blessures, notamment un hématome de 3 cm de long à la mâchoire, une plaie à l’index ou encore une « cervicalgie avec douleur ». « J’avais mal au cou, j’ai dû porter une minerve », décrit le jeune homme. Encore choqué et traumatisé, il a rendez-vous pour un suivi psychologique. « Physiquement ça va, mais psychologiquement c’est dur. Je revois ces images en boucle ». Appelés, les gendarmes de Bitche se sont rendus sur place selon le Républicain lorrain mais il sont arrivés une heure et demie après la rixe qui n’a duré que quelques minutes.

Le jeune homme de 17 ans a eu des blessures physiques, mais est surtout très choqué. Photo : remise

Amin a porté plainte à la gendarmerie de Bitche contre les deux frères et le père de famille, lundi 21 août. Le parquet de Sarreguemines a confirmé à Rue89 Strasbourg qu’une enquête était ouverte, mais sans préciser si le motif raciste de l’agression était retenu.

Sur Facebook, un message signé « Tous les conscrits de 2004 » et relayé par la commune de Soucht indique « condamner ces agissements et comportements racistes qui sont le fait de cas isolés et dont nos amis ont été victimes ». Les festivités liées aux conscrits prévues le lundi soir ont été annulées et une patrouille de gendarmerie a circulé sur les lieux. La maire de Soucht, Christelle Burgun, a pu échanger avec la famille d’Amin et lui a apporté son soutien. Contactée, la maire ne souhaite pas commenter l’agression et dit « attendre les résultats de l’enquête, qui ne s’annonce pas si évidente que ça, afin que tous les éclaircissements soient faits ». Selon la maire élue en 2020, c’est la première fois qu’une bagarre de ce type se déroule dans sa commune.


#Fait Divers

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

Autres mots-clés :

Plus d'options