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Aide juridictionnelle : pourquoi je suis allé manifester à Paris
Maître Chat
Chroniques d'un avocat strasbourgeois presque ordinaire. Miaou.
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Aide juridictionnelle : pourquoi je suis allé manifester à Paris

par Maître Chat.
Publié le 14 juillet 2014.
Imprimé le 29 mai 2023 à 07:08
2 554 visites. 4 commentaires.
Les avocats strasbourgeois à Paris (Photo Maître Chat / Twitter)

Les avocats strasbourgeois à Paris (Photo Pascal Crehange / Twitter)

Les avocats se sont largement mobilisés pour protester contre la réforme de l’aide juridictionnelle, ce système financement d’un avocat par l’État pour les plus pauvres. Avocat strasbourgeois, Maître Chat détaille pourquoi cette réforme est inacceptable pour les avocats.

BlogLundi 7 juillet, plus de 6 000 avocats venus de la France entière martelaient le pavé parisien avec en ligne de mire Matignon. Du jamais vu. C’est 10% d’une profession supposée conformiste qui est descendue dans la rue. Le défilé de robes noires s’est fait au rythme de slogans tels que « AJ en péril ».

Les raisons de la colère

Pourquoi les avocats ont-ils manifesté ? C’est la défense de l’intérêt des justiciables et plus particulièrement des plus démunis qui a mobilisé les avocats puisqu’il s’agit de défendre le financement par l’État de l’Aide Juridictionnelle (AJ).

AJ ? Kezako ? L’AJ est une prise en charge par l’État des frais de justice de citoyens qui ne disposent pas de moyens financiers suffisants pour accéder à la justice. Ainsi en dessous d’un certain seuil de revenus, les honoraires d’avocats sont pris en charge par l’État et les avocats sont directement rémunérés par ce dernier. Le justiciable démuni n’a aucun euro à débourser.

Il faut préciser que si l’État prend en charge les honoraires des avocats, le montant pris en charge tient plus d’une indemnisation que d’une réelle rémunération. Ainsi, un avocat est payé 752 euros pour une procédure de divorce souvent longue et énergivore. De surcroît, il ne reçoit cette somme que lorsque la procédure est terminée et à l’issue d’un dépôt de dossier fastidieux. En matière d’audience correctionnelle, 188 euros sont reversés à l’avocat qui défend un prévenu. Défense qui aura nécessité l’étude du dossier, des actes de procédure, plusieurs entretiens avec le client et j’en passe. Ces tarifs n’ont pas été revalorisés depuis 2007.

L’accès à la justice, un droit constitutionnel

Ce système de prise en charge financière répond à l’impératif de droit à la justice ou d’accès au droit et est garanti par les textes constitutionnels et les conventions internationales qui lient l’État français. On aurait du mal à imaginer qu’un citoyen ne puisse ester en justice par manque de moyens. L’Aide Juridictionnelle se justifie donc pleinement dans ce cadre. Elle est même une obligation de l’État.

Face à la paupérisation et à la judiciarisation de la société française, le budget alloué à l’aide juridictionnelle n’a cessé d’augmenté. L’ancien président de la République Nicolas Sarkozy avait ainsi mis en place l’obligation pour les justiciables de fournir un timbre fiscal de 35 euros à chaque procédure pour financer l’Aide Juridictionnelle. Cette obligation a été supprimée par François Hollande, nouveau président de la République, au motif que les justiciables n’avaient pas à payer pour la garantie d’un droit constitutionnel, partie intégrante des missions régaliennes de l’État (la justice).

Pourrait-on demander aux médecins de financer la CMU ?

Alors pourquoi les avocats prétendent-ils que l’AJ est en péril ? Parce que l’État a tout simplement décidé de se désengager financièrement et de mettre à la charge des avocats le coût de l’AJ.

Alors que le droit à la justice est un droit constitutionnel garanti par l’État, ce dernier souhaite que ce soit des acteurs privés qui le prennent en charge en assurant par là-même sa pérennité et sa garantie en lieu et place de l’État. Pour prendre une comparaison, cela revient à demander aux médecins de prendre en charge le financement de la CMU. Dingue, non ?

Autrement dit, les avocats déjà peu rémunérés pour assurer ce droit constitutionnel aux plus démunis devraient assumer par une taxe sur leur chiffre d’affaires le financement de ce droit à la justice.

Donc, je paie pour permettre à l’État de garantir un droit régalien mais en plus j’accepte d’être sous-payé pour le faire. Vous voyez bien que ce système proposé par la ministre de la justice, Christiane Taubira, ne peut que provoquer l’ire des avocats.

Payer pour défendre les plus démunis ? Est-ce à des acteurs privés, déjà largement ponctionnés de prendre en charge cette aide aux citoyens ? Est-ce à une profession d’assurer seule une solidarité qui doit être nationale ? L’argument développé par Christiane Taubira est que seuls 7% des avocats assurent 57% des missions d’Aide Juridictionnelle et qu’il est donc normal que toute la profession paie puisqu’il s’agirait de rétablir un équilibre entre les avocats.

Les avocats, ces « privilégiés »

De qui se moque-t-on ? Il s’agit ici plutôt de diviser pour mieux régner puisqu’il est clair que la Garde des Sceaux tente d’opposer les cabinets d’affaires et les cabinets plus généralistes et ainsi de détourner l’attention des avocats sur une rivalité qui n’a pas lieu d’être.

En dépit des propositions alternatives proposées par les organisations représentant les avocats, le Garde des Sceaux fait la sourde oreille et maintient le désengagement de l’Etat du financement de l’AJ.

À ce mépris caractérisé de revendications légitimes d’acteurs incontournables dans un État de droit, s’ajoute la phrase d’Arnaud Montebourg, ministre du budget, qui considère que les avocats sont « des privilégiés » . Cet ancien confrère sait-il seulement que la profession fait face à une paupérisation sans précédent comme l’avait déjà fait remarquer en 2000, Joseph Osterman, ancien sénateur du Bas Rhin ?

N’en jetez plus !

« Taubira, t’es foutue, les avocats sont dans la rue » !

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Article actualisé le 14/07/2014 à 20h19
L'AUTEUR
Maître Chat
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Avocat strasbourgeois, j'ai quelques coups de pattes à donner sur la justice et l'univers judiciaire. Miaou.

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