
Les avocats se sont largement mobilisés pour protester contre la réforme de l’aide juridictionnelle, ce système financement d’un avocat par l’État pour les plus pauvres. Avocat strasbourgeois, Maître Chat détaille pourquoi cette réforme est inacceptable pour les avocats.
Lundi 7 juillet, plus de 6 000 avocats venus de la France entière martelaient le pavé parisien avec en ligne de mire Matignon. Du jamais vu. C’est 10% d’une profession supposée conformiste qui est descendue dans la rue. Le défilé de robes noires s’est fait au rythme de slogans tels que « AJ en péril ».
Les raisons de la colère
Pourquoi les avocats ont-ils manifesté ? C’est la défense de l’intérêt des justiciables et plus particulièrement des plus démunis qui a mobilisé les avocats puisqu’il s’agit de défendre le financement par l’État de l’Aide Juridictionnelle (AJ).
AJ ? Kezako ? L’AJ est une prise en charge par l’État des frais de justice de citoyens qui ne disposent pas de moyens financiers suffisants pour accéder à la justice. Ainsi en dessous d’un certain seuil de revenus, les honoraires d’avocats sont pris en charge par l’État et les avocats sont directement rémunérés par ce dernier. Le justiciable démuni n’a aucun euro à débourser.
Il faut préciser que si l’État prend en charge les honoraires des avocats, le montant pris en charge tient plus d’une indemnisation que d’une réelle rémunération. Ainsi, un avocat est payé 752 euros pour une procédure de divorce souvent longue et énergivore. De surcroît, il ne reçoit cette somme que lorsque la procédure est terminée et à l’issue d’un dépôt de dossier fastidieux. En matière d’audience correctionnelle, 188 euros sont reversés à l’avocat qui défend un prévenu. Défense qui aura nécessité l’étude du dossier, des actes de procédure, plusieurs entretiens avec le client et j’en passe. Ces tarifs n’ont pas été revalorisés depuis 2007.
L’accès à la justice, un droit constitutionnel
Ce système de prise en charge financière répond à l’impératif de droit à la justice ou d’accès au droit et est garanti par les textes constitutionnels et les conventions internationales qui lient l’État français. On aurait du mal à imaginer qu’un citoyen ne puisse ester en justice par manque de moyens. L’Aide Juridictionnelle se justifie donc pleinement dans ce cadre. Elle est même une obligation de l’État.
Face à la paupérisation et à la judiciarisation de la société française, le budget alloué à l’aide juridictionnelle n’a cessé d’augmenté. L’ancien président de la République Nicolas Sarkozy avait ainsi mis en place l’obligation pour les justiciables de fournir un timbre fiscal de 35 euros à chaque procédure pour financer l’Aide Juridictionnelle. Cette obligation a été supprimée par François Hollande, nouveau président de la République, au motif que les justiciables n’avaient pas à payer pour la garantie d’un droit constitutionnel, partie intégrante des missions régaliennes de l’État (la justice).
Pourrait-on demander aux médecins de financer la CMU ?
Alors pourquoi les avocats prétendent-ils que l’AJ est en péril ? Parce que l’État a tout simplement décidé de se désengager financièrement et de mettre à la charge des avocats le coût de l’AJ.
Alors que le droit à la justice est un droit constitutionnel garanti par l’État, ce dernier souhaite que ce soit des acteurs privés qui le prennent en charge en assurant par là-même sa pérennité et sa garantie en lieu et place de l’État. Pour prendre une comparaison, cela revient à demander aux médecins de prendre en charge le financement de la CMU. Dingue, non ?
Autrement dit, les avocats déjà peu rémunérés pour assurer ce droit constitutionnel aux plus démunis devraient assumer par une taxe sur leur chiffre d’affaires le financement de ce droit à la justice.
Donc, je paie pour permettre à l’État de garantir un droit régalien mais en plus j’accepte d’être sous-payé pour le faire. Vous voyez bien que ce système proposé par la ministre de la justice, Christiane Taubira, ne peut que provoquer l’ire des avocats.
Payer pour défendre les plus démunis ? Est-ce à des acteurs privés, déjà largement ponctionnés de prendre en charge cette aide aux citoyens ? Est-ce à une profession d’assurer seule une solidarité qui doit être nationale ? L’argument développé par Christiane Taubira est que seuls 7% des avocats assurent 57% des missions d’Aide Juridictionnelle et qu’il est donc normal que toute la profession paie puisqu’il s’agirait de rétablir un équilibre entre les avocats.
Les avocats, ces « privilégiés »
De qui se moque-t-on ? Il s’agit ici plutôt de diviser pour mieux régner puisqu’il est clair que la Garde des Sceaux tente d’opposer les cabinets d’affaires et les cabinets plus généralistes et ainsi de détourner l’attention des avocats sur une rivalité qui n’a pas lieu d’être.
En dépit des propositions alternatives proposées par les organisations représentant les avocats, le Garde des Sceaux fait la sourde oreille et maintient le désengagement de l’Etat du financement de l’AJ.
À ce mépris caractérisé de revendications légitimes d’acteurs incontournables dans un État de droit, s’ajoute la phrase d’Arnaud Montebourg, ministre du budget, qui considère que les avocats sont « des privilégiés » . Cet ancien confrère sait-il seulement que la profession fait face à une paupérisation sans précédent comme l’avait déjà fait remarquer en 2000, Joseph Osterman, ancien sénateur du Bas Rhin ?
N’en jetez plus !
« Taubira, t’es foutue, les avocats sont dans la rue » !
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : En grève, des avocats évacués d’une salle d’audience par la police
Sur Rue89 : Scandaleuse indemnisation des avocats à l’aide juridictionnelle
J'ai un passé toxicomaniaque. A ce titre, j'ai eu l'occasion de bénéficier de l'aide juridictionnelle. Je dirais que je suis plutôt fier d'être citoyen d'un pays qui permet à tout un chacun et même aux plus démunis de pouvoir bénéficier des services d'un avocat. Je ne suis pas spécialiste de la question mais je peux croire que pour certains dossiers, la rétribution versée à un avocat soucieux de faire son travail de façon consciencieuse et professionnelle puisse s’avérer trop juste. Pourtant qu'en est il sur le terrain ? Il y a des avocats qui ne traitent jamais ce genre de dossiers. Pour d'autres en revanche, les dossiers d'aide juridictionnelle représentent une part très importante de leurs revenus. On pourrait croire à cause des premiers que la rétribution des dossiers d'aide juridictionnelle n'est pas intéressante financièrement parlant, ou au contraire, que ça n'est peut être pas si mal si on s'en tient aux seconds. Pour démontrer que la rétribution des dossiers d'aide juridictionnelle est trop faible, j'ai entendu des avocats décrire dans le détail la nature du service rendu, les heure passées, etc etc. On est très vite convaincu que ces "auxiliaires de justice" travaillent à perte. Sur le terrain, qu'elle est réellement la nature du service rendu ? On voit de tout mais comme dans les autres corporations, très peu de gens travaillant à perte. J'ai parlé sciemment de "service rendu". J'étais très naïf à l'époque et je pensais que les avocats étaient une corporation particulière, des hommes et des femmes de loi, avec leur robe, dont la vocation était de défendre l'opprimé. La réalité c'est qu'il s'agit d'une profession particulière certes mais dont l'objet est avant tout commercial, un service rendu, un coût. Jusque là rien à dire ou à redire et tant pis pour moi si j'étais naïf. D'ailleurs je n'étais peut être pas naïf à ce point mais tout du moins, j'imaginais qu'à l'inverse de ce qui se passe trop souvent dans de nombreuses professions, il n'était pas possible de trouver là un trop grand décalage entre le coût et le service rendu. Lors de mon modeste parcours, j'ai eu l'occasion de me demander comment tel avocat pouvait réussir à s'en sortir avec la faible rétribution que lui versait l'état étant donné l'investissement dont il faisait preuve. Pour tel autre, fantomatique, j'ai eu l'occasion de me dire que ce type de dossiers devait être un bon filon compte tenu de l'investissement fourni.
Il y a une vingtaine d'année, alors que ma vie prenait enfin une direction plus raisonnable, j'ai dû comparaître pour une affaire datant de quatre années auparavant. Au moment des faits, j'avais bénéficié de l'aide juridictionnelle. L'avocat qui avait été désigné qui avait été bâtonnier de l'ordre de la ville était une dame dont la carrière était "faite" et qui de toute évidence n'était pas une grande spécialiste des questions de toxicomanie. J'étais marié, j'étais papa, ma vie était toute autre. De plus j'avais maintenant un emploi stable et la question de l'aide juridictionnelle se posait sans doute en d'autres termes. A l'approche du procès, je devenais très inquiet. Je décidais de changer d'avocat et obtenais un rendez-vous avec un avocat réputé de la ville, un monsieur qui menait de front une carrière politique, sur le point de devenir député, une personne qui connaissait bien la question et le dossier puisqu'il défendait également plusieurs autres co-prévenus (du menu larcin tout comme moi). Lors d'un entretien (auquel je m'étais rendu avec ma femme) qui devait durer une dizaine de minutes, cet avocat acceptait d'assurer ma défense pour une somme de 3000 francs. Cela représentait une somme importante pour nos modestes moyens, nos revenus étaient modestes et j'avais accumulés de nombreuses dettes durant cette période. Pour autant j'avais maintenant charge de famille et ne voulais pas prendre de risques. J’acceptais donc mais ne demandais pas de devis.... Jusqu'au procès, je ne devais plus jamais revoir mon avocat, ni lui parler au téléphone, ni échanger avec lui le moindre courrier. Le jour du procès, mon avocat est arrivé avec une bonne vingtaine de minutes de retard. De toute évidence il n'avait jamais ouvert mon dossier et je manquais m'arracher les cheveux quand pour me défendre il demandais au juge de me punir d'une peine de prison de 4 mois avec sursis au maximum alors que le procureur avait requit 3 mois avec sursis... C'est la peine que j'ai eu et à l'issue du procès mon avocat est venu se réjouir avec nous. Les peines dans l'ensemble étaient plutôt légères et tenaient compte du fait qu'il s'agissait d'une affaire qui avait eu lieu 4 ans plus tôt et que nombreux étaient ceux qui comme moi avaient pris une autre direction dans leur vie. Une semaine plus tard, je recevais la facture, 12000 francs ! Un écart de 9000 francs qui devait plus tard être légitimé par un "pour résultat obtenu". J'ai essayé de me défendre, auprès de l'ordre, auprès de la cour d'appel. J'ai fait face à un mur où avocats et juges faisaient front. C'était tout à fait écœurant. Je me souviens de ma femme qui sort en pleurs du cabinet du juge de la cour d'appel, de toute évidence l’avocat et le juge allaient ensuite déjeuner ensemble, des pleurs de rage face à une injustice qu'elle n'imaginait pas, une injustice que son éducation n'avait pas préparée. L’écœurement de mes parents qui comme ma femme ne pouvaient pas imaginer qu'une chose semblable se produise. Pas de la part d'un avocat, pas de la part d'un député, pas de la part d'un notable. Moi j'étais moins surpris. J'ai payé.
J'ai rencontré également en d'autres circonstances des avocats formidables, passionnés et intègres.
Alors suffisante ou non la rétribution des avocats pour les dossiers d'aide juridictionnelle ? Oui et non. Cela dépend du travail fourni. Sans doute largement suffisante dans de de trop nombreux cas hélas.
Elle consiste à dire que certains cabinets à savoir les cabinet d'affaires qui ne font que du conseil ne participent pas à l'effort de solidarité que consentent les avocats qui acceptent l'aide juridictionnelle.
Or d'une part le projet de taxation vise tous les avocats même ceux qui traitent des dossiers en aide juridictionnelle et qui consentent déjà un effort de solidarité en acceptant de travailler pour le quart ou le huitième du prix du marché pour un type de procédure donné.
Ensuite c'est un sophisme parce que souvent les gros cabinets encouragent leurs collaborateurs à traiter des dossiers au titre du "pro bono" c'est à dire à consacrer gracieusement une partie de leur activité à des personnes défavorisées ou dignes d'intérêt. Le Barreau de Paris organise d'ailleurs une opération appelée "les trophées du pro bono"
http://avocatparis.org/accueilpresse/communiques-de-presse2013/communiques-de-presse-2014/2592-edition-2014-des-trophees-pro-bono-appel-a-candidatures.html.
Taxer les avocats pour des efforts qu'ils consentent déjà est donc de la plus parfaite iniquité.
Ceci relève d'un état d'esprit de certains politiciens de gauche et des membres du gouvernement en particulier:
Depuis l'affaire Cahuzac, qui cela dit n'était pas avocat, on a dénoncé pèle mêle la prétendue collusion des avocats avec les milieux économiques pour l'organisation de la fraude fiscale et prôné la séparation stricte de l'exercice de la profession d'avocat et d'un mandat parlementaire. Or bien au contraire le conflit d'intérêt est interdit aux avocats au titre de règles déontologiques qui sanctionnent au delà du droit pénal les activités illégales, leur impose à dénoncer le blanchiment etc... et dont les politiques, qui ne sont pour le moins pas exempts de reproches comme le montre l'actualité, serait bien avisés de s'inspirer.
Lors de la création par la loi consommation de la nouvelle action de groupe, on a soigneusement écarté les avocats de l'initiative d'une telle action pour la réserver aux associations de consommateurs, l'avocat n'étant apparemment pas digne de confiance.
Les avocats sont considérés comme des nantis qu'il faut donc ponctionner pour leur faire bien sentir la charge que serait la manne du budget de l'aide juridictionnelle, peut-être parce qu'ils sont suspects d'engager des procédures inutiles pour abuser du système. Cependant introduire une procédure téméraire ou vouée à l'échec est susceptible d'engager la responsabilité professionnelle de l'avocat qui n'y a strictement aucun intérêt et d'autant moins pour la rétribution de misère qui lui est versée.
Dernier épisode en date, Monsieur Montebourg, Ministre de l'Economie, qualifie de "rentiers" et de "capteurs de revenus" un certain nombre de professions réglementées et affirme vouloir "rendre" aux Français rien moins que six milliards d'euros de pouvoir d'achat. Veut-il ouvir ces professions à la concurrence pour qu'après s'être fait opérer chirurgicalement par un charcutier l'on puisse faire un procès pour l'opération ratée en étant assisté par un gendarme en retraite? Penser que déréglementer conduira à une baisse des prix est pour le moins audacieux et pourrait bien arriver au contraire à une augmentation des prix comme le signale le Président de la Chambre des Notaires.
Qui plus est même si Monsieur Montebourg parvenait à réduire les recettes des "rentiers capteurs de revenus", cela conduirait soit à des suppressions d'emplois dans les professions concernées, soit à l'augmentation de leurs prix pour compenser la perte, soit les deux.
Comme le Président Sarkozy affichait son mépris pour les magistrats qualifiés de "petits pois" et de "laxistes" (est-il toujours du même avis sur ce point?) le Président Hollande et son gouvernement semblent mus par une intention de nuire et de faire payer la profession d'avocat.
Chat, Corbeau, Renard, nous ne voulons pas être des boucs émissaires.