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Aller simple en Afrique australe avec « Namibia. L’art d’une jeune géNérATION », au musée Würth

Jusqu’au 26 mai, le musée Würth à Erstein propose de découvrir la richesse et le dynamisme d’une scène artistique émergente et peu représentée en art contemporain : la Namibie. L’exposition Namibia. L’art d’une jeune géNérATION est le fruit d’une sélection d’œuvres issue de l’imposante collection de l’industriel allemand Reinhold Würth. Une visite d’autant plus accessible que l’entrée au musée est devenue gratuite depuis le 1er janvier.

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Aller simple en Afrique australe avec « Namibia. L’art d’une jeune géNérATION », au musée Würth

Alors que l’hiver glacial et venteux sévit à Strasbourg, le musée Würth à Erstein offre un généreux voyage vers une région bien plus chaude, l’Afrique australe. Riche de 150 œuvres réalisées par 39 artistes, l’exposition Namibia, l’art d’une jeune géNérATION propose un portrait bigarré d’une scène artistique prolifique et créative pourtant peu connue à l’international.

Imaginée par les commissaires Marie-France Bertrand et Alan Sabini, l’exposition donne à voir la pluralité des techniques explorées par les artistes, des arts graphiques à la peinture, de la photographie à la sculpture et à l’installation. Ce projet témoigne de l’attachement profond du collectionneur d’art Reinhold Würth pour un pays dans lequel il séjourne régulièrement depuis plusieurs décennies.

Nicola Brandt, Illuminated, Unrecounted, 2013 © Adagp, Paris 2018

Un pan de mur sur le littoral avec deux portes barricadées. Un pont de bois vétuste menant à l’ancienne île aux esclaves. Une femme vue de dos, vêtue de la robe traditionnelle du peuple Herero, immobile dans un paysage désertique face à une église en bois. D’une grande qualité picturale, avec une grande richesse de détails, cette série photographique mélancolique de Nicola Brandt semble éclairer les non-dits de l’histoire namibienne.

L’artiste dévoile les stigmates persistants des héritages coloniaux sur ce territoire namibien en exhumant le génocide des Hereros et des Namas (1904-1908) perpétré par le colonisateur allemand. Occupant une place de choix, dans un espace qui lui est entièrement dédié, Nicola Brandt est l’artiste phare de l’exposition. Pour autant, son travail puissamment politique fait figure d’exception. Loin de tout parti-pris militant sur un passé douloureux, l’ambition de Namibia. L’art d’une jeune géNérATION est de donner une vision globale du pays à travers sa création artistique actuelle.

Un panorama éclectique témoin des réalités du pays

John Muanfagejo, Old Fashion, linogravure, 1984 (crédit photo Gwenaëlle F.)

À l’entrée de l’exposition, deux linogravures de John Muanfagejo (1943-1987) résonnent d’emblée comme un héritage fondamental. Premier représentant international de l’art namibien, maître de la gravure sur lino, celui-ci incarne un modèle pour la jeune génération.

 

 

Petrus Amuthenu, Land Issues, linogravure, 2015 (crédit photo Gwenaëlle F.)

La relève est notamment représentée par Petrus Amuthenu, né en 1981. La linogravure Land Issues (2015) affirme un style à la fois symboliste et urbain : un brasier de poings fermés levés dans lequel une imposante main soulève une parcelle de terre saturée de buildings. On est frappé par l’ardente intensité de l’image, par ce poing levé vers l’émancipation namibienne. Salinde Willen, née en 1987, préfère quant à elle, l’impression sur carton. Silhouette noire et casque à lampe frontale : avec The Miner (2015) l’artiste s’engouffre dans une mine aux parois d’or représentée avec minutie et détails. De la sorte, elle donne vie à des scènes du monde rural pour narrer les mœurs traditionnelles qui persistent dans la Namibie d’aujourd’hui. Comme le révèle l’exposition, la linogravure est un médium largement exploité par la scène namibienne, qui se l’approprie pour représenter des sujets sociétaux contemporains.

Organisée autour de dix thématiques (ruralité, urbanité, réalités sociales, mondes spirituels,…) pensées à partir des œuvres, l’exposition se présente comme une traversée du pays. Mais, derrière ce cadre bien pensé, se cache une réalité bien moins flatteuse : les affres de la mondialisation et les traces de l’apartheid conditionnent l’existence de la population. « On estime que 7% des Blancs possèdent les deux tiers des terres », indique Alan Sabini. Face à l’extrême pauvreté, les artistes développent un sens aigu de la débrouillardise en utilisant les déchets comme le fil de fer, les capsules ou cannettes en aluminium.

Vue de l’exposition Namibia. L’art d’une jeune géNérATION. Trois œuvres de Fillipus Sheehama en arrière-plan. (crédit photo : Gwenaëlle F.)

Au deuxième étage, une salle entière est dédiée à cette pratique de récupération et de détournement d’objets. Le travail de Fillipus Sheehama, artiste autodidacte né en 1974, interpelle par la finesse avec laquelle il assemble et découpe du papier recyclé. L’œuvre Two young boys rest (Deux jeunes garçons se reposent) réalisé en 2015 est un exemple. À première vue, il s’agit d’un collage sur toile où se mêle un nombre incalculable de sachets plastiques alimentaires aux couleurs chatoyantes. Mais si l’on prend du recul pour admirer l’œuvre, on voit surgir les silhouettes noires de deux jeunes garçons buvant à la bouteille. Toute l’ingéniosité du travail de l’artiste est de proposer plusieurs degrés de lecture par l’effet d’optique.

L’originalité et la diversité des matériaux pauvres présents dans l’exposition soulignent la démarche autodidacte d’artistes qui peinent à vivre de leur travail, loin de la culture artistique occidentale et de son marché de l’art. Valorisant leur éclectique inventivité, les commissaires y voient « la preuve d’une maîtrise sur leur environnement ».

Vue de l’espace d’exposition Namibia. L’art dune jeune géNérATION (crédit photo: museewurth)

Une quête de nouveaux horizons en art contemporain

La présence des artistes contemporains du continent africain sur la scène internationale est relativement récente. En France, la première exposition consacrée aux artistes contemporains africains, Les Magiciens de la Terre, conçue par l’historien de l’art français Jean-Hubert Martin, a eu lieu au Centre Georges-Pompidou à Paris en 1989. Il faut ensuite attendre 2005 pour que le même musée consacre une nouvelle exposition à cette scène artistique : Africa Remix, dirigée par le commissaire d’exposition et critique d’art camerounais Simon Njami. Plus récemment, en 2016, Paris accueillait la première foire d’art contemporain et de design centrée sur l’Afrique, Also Known as Africa(AKAA).

Namibia. L’art d’une jeune géNérATION s’inscrit dans cette tendance en exploitant le considérable fonds d’art contemporain namibien constitué par Reinhold Würth, enrichi par quelques prêts complémentaires. L’ensemble révèle une vision subjective du pays tout en constituant une opportunité unique de découvrir des artistes peu visibles aujourd’hui. Sans affirmer qu’il existe un art central ou périphérique, l’exposition valorise cette nouvelle génération qui contribue à la représentation et à la reconnaissance d’une scène artistique, mais aussi d’une jeune nation plurielle et pleine d’espoir.


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