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Les amendes minorées, ça marche ou pas ?

Depuis novembre 2012, Strasbourg expérimente les amendes minorées, conçues exclusivement pour les cyclistes. Concrètement : au lieu de payer leur amende 90 €, les cyclistes bénéficient d’un tarif de 45,60€ valable pour une dizaine d’infractions. Deux ans plus tard, où en est-on ? Ces amendes sont-elles réellement efficaces ?

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Des cyclistes quai du Général Koenig à Strasbourg. (Photo Victor Quiroz / Flickr / cc)

Des cyclistes quai du Général Koenig à Strasbourg. (Photo Victor Quiroz / Flickr / cc)
Des cyclistes quai du Général Koenig à Strasbourg. (Photo Victor Quiroz / Flickr / cc)

Il y a deux ans, Strasbourg faisait l’objet d’un buzz médiatique lorsqu’elle décide de mettre en place les amendes minorées. L’objectif de ce dispositif, conjointement mis en place par la Ville, la préfecture du Bas-Rhin et le procureur de la République, était alors de baisser le nombre d’accidents mais aussi de proposer un tarif plus acceptable de 45,60 €, soit deux fois moins cher que pour le même type d’infractions commis pour un automobiliste.

Selon les chiffres transmis par la Ville, depuis la mise en place des amendes minorées en 2012, la police nationale et municipale ont respectivement verbalisé 365 cyclistes jusqu’au 13 novembre 2013 contre 361 jusqu’au 8 mars 2014, soit un total de 726 contraventions. Une donnée qui paraît modeste lorsque l’on sait que 8% des déplacements dans la CUS se font à vélo, contre 15% en centre-ville.

Bilan des amendes minorées à l’encontre des cyclistes

Bilan des infractions relevées par la Police Municipale de Strasbourg (au 8 mars 2014)

  • Inobservation de l’arrêt imposé par un feu rouge : 283
  • Circulation en sens interdit : 28
  • Usage d’un téléphone tenu en main : 43
  • Circulation en dehors des heures autorisée en Zone piétonne : 3
  • Refus de priorité à un piéton engagé : 3
  • Inobservation de l’arrêt absolu imposé par le panneau Stop : 1

Bilan des infractions relevées par la Police Nationale (au 13/11/2013)

  • Inobservation de l’arrêt imposé par un feu rouge : 314
  • Circulation en sens interdit : 1
  • Usage d’un téléphone tenu en main : 40
  • Circulation sur trottoir : 1
  • Refus de priorité à un piéton engagé : 6
  • Inobservation de l’arrêt absolu imposé par le panneau Stop : 3

 (Chiffres CUS)

Selon un rapport de la CUS (Communauté urbaine de Strasbourg), le nombre d’accidents incluant au moins un cycliste est passé de 108 en 2012 contre 67 en 2013. Un progrès non négligeable à imputer directement aux amendes minorées ? Pour la police oui, mais pas forcément pour tout le monde.

Des cyclistes plus attentifs ?

Au cœur du dispositif des amendes minorées, il était aussi question de responsabiliser les cyclistes souvent présentés comme des « dangers ambulants » : usage du téléphone portable, circulation sur les trottoirs, refus de priorité à un piéton engagé ou le plus classique : inobservation de l’arrêt à un feu rouge.

Pour Joseph Muller, chef de la police municipale, le pari est réussi. Les amendes minorées auraient eu un réel effet pédagogique :

« Les cyclistes respectent davantage le Code de la route et font preuve de plus de vigilance. Lorsque je circule, j’observe que les cyclistes s’arrêtent au feu ou marquent l’arrêt. Ils ont pris conscience du risque qu’ils peuvent encourir pour eux-mêmes et pour les autres usagers. Je pense aussi que la peur du policier et l’amende de 45,60 euros en dissuadent plus d’un de commettre une infraction… »

Certains usagers relativisent l’impact des amendes minorées. Nicolas Wentz, trésorier de l’association Bretz’selle, s’exprime en tant que cycliste :

« Je n’ai pas observé de changement majeur dans les comportements. Les cyclistes font un peu plus attention mais cette évolution peut aussi être liée aux nouveaux aménagements : de nouvelles pistes cyclables sont apparues un peu partout dans Strasbourg. Et puis, autour de moi, tout le monde n’est pas au courant de l’existence de cette mesure ! »

La sécurité améliorée grâce aux pistes cyclables

Plus facile de circuler à vélo sur plus de 560 km de pistes cyclables que sur les 450 disponibles en 2004. La Ville tient à conserver sa première place dans le top 5 des villes où il fait bon pédaler et entame régulièrement des chantiers pour faciliter la circulation des deux-roues, ce qui joue également sur les bons chiffres en matière d’accidents qui ne sont pas seulement imputables aux amendes minorées.

Pour Julie, adepte du vélo au quotidien, ces amendes ne servent à rien :

« J’ai reçu une amende de 90 euros parce que j’ai grillé un feu mais je continue de rouler comme je le souhaite quand je suis en retard ou pressée. Si des policiers sont à côté de moi ou que j’estime être dans une situation délicate, là, je fais très attention. Ils essayent de nous faire peur avec ces amendes mais j’ai l’impression que les cyclistes strasbourgeois roulent toujours comme ils le souhaitent. À vélo, de toute façon, on a moins l’impression d’être une source de danger qu’en voiture. »

Reste que les rapports entre les piétons et les cyclistes sont souvent conflictuels : il suffit de circuler, à pieds ou à vélo, quelques minutes pour s’en rendre compte. La mesure devait, in fine, pacifier les crispations pour une meilleure cohabitation sur la chaussée. Mais les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous, comme l’explique le chef de la police municipale :

« Le comportement des cyclistes a évolué dans le bon sens, mais les rapports entre les piétons et ces derniers en sont toujours au même point. Nous recevons toujours des plaintes de personnes qui traitent d’altercations avec les vélos, et inversement. »

Prix trop élevé et mauvaise application

Sur la chaussée, cyclistes et automobilistes respectent les mêmes règles, seul le prix de l’amende est modifié. En 2012, la Ville, le parquet de Strasbourg et la préfecture du Bas-Rhin s’étaient mis d’accord pour fixer aux cyclistes une « verbalisation adaptée » de 45,60 euros contre 90 euros pour les automobilistes, censée être plus acceptable. Mais selon Jean Chaumien, ancien président de l’association Cadr 67 (Comité Action deux roues), ce n’est pas assez :

« L’association Cadr 67 a signé la convention permettant la mise en place de ces amendes minorées. Malgré les efforts, le prix de l’amende reste trop élevé. Il est disproportionné : un cycliste qui grille un feu provoquera toujours moins de dégâts qu’une voiture ! En puis, il faut rappeler que de nombreux cyclistes ne possèdent pas le permis de conduire et ignorent certaines règles du Code de la route. »

Au-delà du prix, il semblerait que les autorités n’appliquent pas systématiquement le montant de l’amende minorée pour verbaliser un contrevenant, mais celui de 90 euros. Un dysfonctionnement que paye évidemment le cycliste, comme Muriel Schneider :

« On m’a verbalisée le 15 juillet pour avoir grillé un feu. Le policier, municipal ou national, je ne sais pas, me dit alors que j’ai de la “chance” d’être verbalisée à Strasbourg puisque je paierai moins cher. Quand j’ai demandé pourquoi, le policier n’a pas su me répondre… La stupéfaction fut grande lorsque j’ai ouvert mon courrier : l’amende indiquait un montant de 90 euros ! La contravention précise que j’ai un délai de 15 jours pour la payer. Si je dépasse cette période, j’ai entre 16 et 45 jours pour payer 135 euros, et 375 euros si je ne paye pas ou si je ne conteste pas l’amende… »

Du côté de Cadr 67, on dénombre également un certain nombre de plaintes du même type. Pourquoi ces erreurs ? Impossible d’avoir des réponses à nos questions, à la Ville « ce n’est pas de [leur] ressort puisqu’il s’agit d’une action conjointe avec la préfecture et le procureur de la république » et au service de communication de la police nationale, on explique :

« On ne communique par sur le vélo et ce, jusqu’à nouvel ordre. Néanmoins, une ou deux erreurs peuvent arriver, même si cela me paraît improbable sachant qu’un policier ne peut pas se tromper puisque tout est informatisé. Les personnes concernées ont le droit de contester (voir ci-contre). »

Pas assez de contrôles ?

En attendant une réponse claire, Gregory Delattre, rédacteur du blog ibikestrasbourg, y voit « des problèmes de communication » et un souci au niveau des points de contrôle :

« Je pense que les policiers n’ont pas l’habitude de verbaliser des cyclistes, il faut qu’ils s’adaptent. Ensuite, ils sont surtout présents au niveau du pont du Corbeau, de la place d’Austerlitz ou de Grand’Rue. Certes, il s’agit d’endroits stratégiques, mais je m’interroge : les contrôles sont-ils utiles lorsqu’ils sont effectués toujours aux mêmes endroits ? »

À Strasbourg, le dispositif en phase de test est appelé à évoluer. Mais dans quel sens ? Vers un renforcement des verbalisations ou de la prévention, ou des aménagements au code de la route, comme avec les tourne à gauche cyclistes ? Le dispositif étant partagé entre la Ville, la préfecture et le procureur de la République et la Ville qui « ne souhaite pas s’exprimer sur d’éventuelles nouvelles actions », chaque étape prend du temps. Ce qui est sûr, c’est que Strasbourg aura quelques preuves à fournir si le dispositif devait être étendu à l’ensemble de la France.


#amendes

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