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Que sont devenus les anciens de la raffinerie de Reichstett

Le 10 février, Petroplus Raffinage Reichstett a été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de grande instance de Strasbourg. Pendant deux ans, les quelque 270 salariés du site ont vécu au rythme des licenciements, des reclassements, des reconversions professionnelles et du chômage. Presque quatre ans après l’annonce de la fermeture de la Raffinerie, les ex-employés du site vivent des lendemains bien différents.

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Une vue de la raffinerie de Reichstett (Photo Wikimedia Commons / cc)

Une vue de la raffinerie de Reichstett (Photo Wikimedia Commons / cc)
Une vue de la raffinerie de Reichstett (Photo Wikimedia Commons / cc)


C’est devenu une ritournelle qui s’envenime ou retombe comme un soufflé, que celle vécue par les salariés de la raffinerie de Reichstett. Quelques images des grèves et manifestations organisées par les syndicats en janvier 2011 et puis le silence. La résignation. Les départs successifs puis la réalité du Smic, dehors, et les bouleversements intimes, à la maison. 270 salariés mis sur le carreau, sans compter les sous-traitants. Les syndicats s’indignent, les politiques s’animent. Mais presque trois ans après le début des licenciements, qui ont commencé en mai 2011, que sont devenus ceux qu’on appelait alors les « Petroplus »? Certains ont tourné la page et se sont fait oublier, en prenant le large, d’autres apprennent de nouveaux boulots et vivent au gré des annonces de Pôle emploi. Au jour le jour.

En cinquante ans d’existence, les employés de la Raffinerie de Reichstett ont vu les multinationales du pétrole se transmettre les clés du site : Shell, Total et, en 2008, Petroplus. Dès avril 2010, le groupe suisse décide de revendre la raffinerie. Faute de trouver un acheteur, le 21 octobre, Petroplus annonce sa fermeture et décide de ne conserver que le dépôt de stockage, situé au Port aux pétroles de Strasbourg. Les installations sont mises à l’arrêt en avril 2011. Le sablier retourné, la liquidation débute : licenciements, plan social, redressement judiciaire suite au dépôt de bilan de Petroplus début 2012… Les étapes s’enchaînent, presque avec banalité. Fin janvier 2013, la partie sud du site est revendue à Wagram, une filiale de la société Rubis Terminal qui le transforme en dépôt pétrolier.

85% des ex-salariés auraient retrouvé un emploi

La société garde sur le site une trentaine de salariés de la raffinerie, une quinzaine à la sécurité et une dizaine sur la plateforme de stockage. Pour les autres employés, direction la cellule de reclassement, dirigée par la société Altedia. 255 salariés sont alors concernés. 85% d’entre eux auraient « retrouvé un emploi » suite à cette prise en charge, sachant que sont comptés dans les « reclassés », ceux qui ont obtenu un CDD de six mois… Certains ouvriers ont connu CDI, CDD ou intérim, puis retour à la case chômage et pas toujours dans la région.

Au fil des licenciements, une trentaine de personnes est reclassée sur les sites de Total, aux quatre coins de l’Hexagone : une quinzaine à Feyzin (Rhône), trois à La Mède (près de Marseille), deux à Donges (Loire-Atlantique), six à Grandpuits (Seine-et-Marne), trois au Havre (Normandie) et trois à Caulaincourt (Aisne). Pour ceux restés en Alsace, certains ont intégré des groupes pharmaceutiques, comme Octapharma à Lingolsheim ou Lilly à Fegersheim, Électricité de Strasbourg ou encore l’Apave. D’autres sont toujours sur le fil, entre intérim et « stages » à Pôle emploi.

Pierre Alteirac, 52 ans, entre Lyon et Strasbourg

Pour Pierre Alteirac, 52 ans, le quotidien est constitué d’allers-retours plusieurs fois par mois, entre son travail à la raffinerie de Feyzin et sa famille, restée en Alsace. Pourtant, le cinquantenaire s’estime heureux d’avoir retrouvé rapidement un emploi. Pour cela, il n’a pas attendu son heure et a décidé de démissionner dès le mois de juin 2011. « Je me suis dit qu’il fallait rebondir, pas le choix », raconte-t-il. En novembre, il s’envole pour Marseille, à quelque 800 bornes de chez lui, embauché en CDI par le groupe Total à la raffinerie de La Mède. Un an et demi plus tard, il est muté à Feyzin, en banlieue sud de Lyon. Sa famille devrait l’y rejoindre en septembre, espère Pierre Alteirac:

« Ce n’est pas facile pour la stabilité, je retourne en Alsace pour voir ma femme et mes enfants dès que j’ai quelques jours de repos. Je ne sais même pas à quand remonte ma dernière nuit complète. Mais je suis allé là où on m’a embauché, tout de suite. À 52 ans, je savais que les autres raffineries de France n’auraient que quelques places pour des profils comme le mien. Je n’avais pas envie d’attendre la fin de Reichstett et de me retrouver sur le carreau… »

Outre la distance, Pierre Alteirac regrette de n’avoir pas retrouvé la même diversité professionnelle depuis qu’il a quitté Reichstett:

 » Pendant les 28 ans que j’ai passés là-bas, j’ai porté de multiples casquettes. Je faisais chaque jour autre chose et cette multivalence, je ne l’ai retrouvée nulle part pour l’instant. C’est sûr que ça change, j’avais plus de responsabilités et d’autonomie. Maintenant je suis assis toute la journée devant une vingtaine d’écrans pour suivre des opérations qui se passent à l’extérieur. Ça ne correspond même pas à la moitié de ce que je faisais à Reichstett. »

Malgré un poste avec moins de responsabilités, Pierre Alteirac a pu garder le même salaire qu’avant, « mais avec tous les déplacements, ça ne revient pas tout à fait au même » pondère-t-il.

Eric Haennel à ses débuts à la raffinerie, fin des années 80
Eric Haennel à ses débuts à la raffinerie, fin des années 80 (doc remis)

Éric Haennel, 47 ans, du pétrole aux médicaments

Éric Haennel, ancien secrétaire du CE, fait partie de ceux qui sont restés dans la région. Pendant 26 ans, il a travaillé à la raffinerie où il était opérateur extérieur et intérieur, chargé de surveiller les installations de production. Il quitte Reichstett avec les derniers départs en décembre 2012. Après avoir tenté de créer une société d’assistance et de conseil à la personne, il n’a décroché que le 9 février 2014 une mission d’intérimaire à Lilly à Fegersheim, jusqu’au 25 mai.

Il y est conducteur d’équipement de production. Comme la plupart de ses collègues, la raffinerie et l’autonomie dont il disposait lui manque : « cela change de mon poste à la raffinerie où je bougeais tout le temps, c’est sûr » plaisante-t-il. Mais après plusieurs échecs de candidatures, Éric Haennel soupire :

« Depuis l’annonce de la fermeture et jusqu’à la fin, nous avons essayé de donner une bonne image, sérieuse, des employés. On n’a rien cassé, rien brûlé. Mais je constate que mon implication en défense des salariés, ma mise en avant dans les médias, a peut-être joué en ma défaveur pour retrouver un emploi. Je trouve ça décevant. Pendant les entretiens d’embauche, je me suis souvent entendu dire : “monsieur, ici ce n’est plus la raffinerie !” Comme un reproche. »

Il croit savoir que beaucoup de ses anciens collègues se sont expatriés, certains avec leurs familles, d’autres seuls et reviennent encore régulièrement en Alsace, où ils ont gardé leurs attaches. Des reconversions professionnelles aussi, dans la mécanique ou la scierie. Il souligne d’ailleurs la polyvalence dont chacun a pu profiter à la raffinerie. Une « richesse professionnelle et de formation permanente » qui faisait partie intégrante de la culture d’entreprise selon lui, « aller d’un poste à un autre était une habitude pour nous, un moyen de ne jamais entrer dans la routine » décrit Éric Haennel, enthousiaste. C’est aussi un travail exaltant et une ambiance de famille dont il se souvient « il y avait un petit stress permanent, toujours de l’action ».

Robert Nagel dans son bureau à la raffinerie de Reichstett
Robert Nagel dans son bureau à la raffinerie de Reichstett, fin des années 90 (doc remis)

Robert Nagel, 53 ans, comptable toujours au chômage

Robert Nagel travaillait au service comptabilité et s’occupait des investissements de la raffinerie depuis trente ans. Il a quitté l’entreprise le 8 octobre 2011, « je me souviens précisément la date » souligne-t-il, la voix basse. Pendant dix-huit mois, jusqu’en septembre 2013, ce colmarien de 53 ans a travaillé avec la cellule de reclassement d’Altedia pour retrouver un emploi. Sans succès.

Ses collègues, trois femmes âgées de 35 à 40 ans, ont retrouvé du travail dans la région. Aussi Robert n’hésite-t-il pas a suivre des formations avec Pôle emploi pour apprendre à maîtriser d’autres logiciels. Mais jusqu’à présent, ses multiples envois de CV sont restés lettre morte. Il a aussi revu à la baisse ses prétentions salariales et se contentera « de ce qu’il trouvera » :

« Pour l’instant les offres d’emploi que je trouve proposent des salaires 60% moins élevés que ce que je gagnais à la raffinerie. J’ai déjà baissé mes prétentions de plus de 30%. Mais il n’y a pas d’offres dans la région pour ce que je sais faire. Je m’étais spécialisé dans la comptabilité d’une entreprise dite « complexe ». Et comme chaque entreprise utilise des logiciels spécifiques, je ne les maîtrise pas forcément… Alors je fais des stages. L’âge doit aussi jouer contre moi. »

Il s’est donné jusqu’à la fin de cette année pour trouver un emploi dans la région, « j’ai des parents âgés ici, alors j’espère tout de même trouver quelque chose en Alsace » explique-t-il. Sinon, il se dit prêt à plier bagages et prendre la route. Il reçoit déjà les offres de Pôle emploi à Paris et commence à les regarder, du coin de l’œil.


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