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Quand on vantait un système de stockage des déchets « moderne » en sous-sols à Stocamine

Archives vivantes – Stocker les déchets les plus polluants dans les galeries des anciennes mines d’Alsace, puis les ressortir le jour où une solution sera trouvée. C’était une idée novatrice dans les années 1990 à Wittelsheim jusqu’à qu’un incendie en 2002. La situation est loin d’être réglée.

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Quand on vantait un système de stockage des déchets « moderne » en sous-sols à Stocamine

Stocker les déchets dont on ne sait quoi faire en France. C’était le but du premier centre français de stockage géologique à Wittelsheim (Haut-Rhin), dans le bassin minier d’Alsace, qui s’étend sur 12 communes au nord-ouest de Mulhouse. Lancées au début du XXè siècle, ces mines de potasse, du sel utilisé comme engrais, ont employé jusqu’à 13 000 personnes dans les années 1950. Puis, entre la baisse des cours mondiaux et l’épuisement des ressources, la société des Mines de Potasses d’Alsace (MDPA) a progressivement cessé son activité jusqu’au début des années 2000.

L’idée, c’est que les galeries à 550 mètres sous terre hébergent ce qu’on nomme les déchets « ultimes », aussi appelés de « classe 0 », qu’on ne sait pas traiter (mercure, cyanure, arsenic, etc.). En théorie, ces barils devaient y restent 30 ans avant d’être ressortis.

Une première enquête publique en 1991

Les prémisses du projet remontent à 1972. Mais c’est dans les années 1990 qu’il se concrétise en partie à cause de la « faible mobilisation locale » par rapport à la Lorraine ou dans le sud-est, relèvent un courrier de la Direction régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement (Drire, devenue Dreal) ou un reportage (vidéo 3).

Jean-Pierre Hecht, ancien mineur et délégué syndical CFDT jusqu’en 2017, aujourd’hui membre du collectif d’opposants « Destocamine » se souvient :

« À cette époque, j’étais pour. Les mineurs y croyaient. On était lucide sur la nécessité de gérer nous-même nos déchets pour ne pas les envoyer en Afrique ou en Allemagne. Notre amour propre a pris le dessus. On se disait qu’on avait bossé pour nos agriculteurs et que maintenant on pouvait garder ce savoir-faire et se rendre utile. Il y avait une garantie de 250 emplois et l’assurance que le projet soit réversible, c’est-à-dire que les barils soient remontés. C’était dans le cahier des charges, le puits n’aurait jamais été ouvert sans cela. »

Le début des travaux

Dès l’origine, une opposition écologiste se forme. Elle craint la contamination de la nappe phréatique, moins profonde, « en cas de séisme ou d’accident ». Située à quelques dizaines et centaines de mètre sous terre, la plus grande réserve d’Europe, fournit trois quart de l’eau potable en Alsace, la quasi-totalité des besoins des cultures et la moitié de l’utilisation des industries.

Georgette Schmitt, 81 ans et femme d’ancien mineur, a son idée sur la mobilisation restée timorée de l’époque :

« Il y avait cette mentalité un peu paternaliste que les syndicats et la mine s’occupent de tout, en bien ou en mal, mais que ce n’est pas au citoyen de s’impliquer. Et puis il était impensable que les MDPA fassent quelque chose qui mette en danger les générations futures. »

L’historique du projet

La société Stocamine, filiale des MDPA, gère ce site. Objectif : enfouir 40 000 tonnes par an jusqu’à atteindre 320 000 tonnes. Pour assurer l’équilibre économique, les puits Joseph et Else accueilleront aussi des déchets de « classe 1 » comme les poussières d’amiante ou d’incinération, déjà stockés dans d’autres sites français contrairement aux « classe 0 ». Le premier camion franchit les grilles le 10 février 1999 sous la neige et devant une cinquantaine de manifestants français et allemands.

Mais la première année, seules 5 à 7 000 tonnes sont enterrées, loin des objectifs initiaux.

Pour les opposants au confinement des déchets sous terre, il faut démarrer le destockage dès que possible (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Une certification ISO et des espoirs

Moins de deux ans après l’ouverture, en 2001, Stocamine reçoit la labellisation ISO 9002, qui atteste d’une traçabilité des résidus industriels. La direction espère rassurer les sceptiques et obtenir de nouveaux marchés pour atteindre l’équilibre financier.

Mais en parallèle, des fûts interdits sont accueillis. Des mineurs alertent les autorités en voyant des camions non-autorisés. « À ce moment, on sentait que l’activité battait de l’aile. C’était un beau projet sur le papier, mais la parole n’a pas été tenue », se rappelle Jean-Pierre Hecht, qui a changé d’avis à cette période.

La mine Joseph-Else est toujours en activité, afin de consolider et surveiller les galeries. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Des fûts non-autorisés

En février 2002, suite à de longues polémiques, 200 tonnes de fûts sont remontés. Contenant des substances toxiques (pyralène et PCB), ils ne devaient pas figurer dans ce puits selon la loi. Malgré le « comité de surveillance » où des opposants siègent, les doutes s’intensifient face à cette « dérive ».

L’incendie de 2002 précipite la fin d’activité

Le 10 septembre 2002, un incendie survient dans le « bloc 15 » où 1 800 tonnes de déchets ultimes sont entreposés. La fumée remonte jusqu’en surface. Georgette Schmitt, se souvient de l’odeur persistante et d’un jour où « nous avons jeté tous les légumes, tandis que les enfants étaient confinés dans les classes ». Onze ouvriers manifestent des troubles après avoir inhalé les fumées.

Contenu en quelques jours en surface, l’incendie n’est totalement éteint que deux mois plus tard, le 21 novembre. Cet accident, suite au non-respect des conditions d’exploitation, met fin à prématurément l’activité, jamais rentable, dès 2003. Au total, 44 000 tonnes de déchets sont entreposées en 3 ans et demi de fonctionnement.

Le P-DG de l’époque est condamné en 2009 pour « mise en danger d’autrui » et Stocamine à 50 000 euros d’amende.

Remonter ou enterrer ?

Avec sa galerie endommagée par l’incendie et qui menace de s’effondrer, le dossier prend une nouvelle ampleur, plus politique et nationale. En 2010, le collectif Destocamine se forme et rassemble une dizaine d’associations. « Tous les ministres de l’Environnement nous ont reçu sauf Nicolas Hulot et François de Rugy », note Josiane Kieffer, présidente de l’Union Locale de la Consommation Logement Cadre de vie (CLCV). L’attentisme sur le sujet est souvent qualifié de « bombe à retardement », coûteux (45 millions d’euros en 2014, à raison de 5,5 millions par an) et dangereux.

Deux lignes s’opposent. D’un côté celle des MDPA, désormais administrée par l’État, qui préconise un « confinement » des déchets. La société prévoit la construction de barrages (jusqu’à 19) pour limiter et retarder de « plus de mille ans » la contamination de la nappe phréatique d’Alsace. « Au début, un tel scénario était impossible, maintenant on explique que la pollution ne serait que sur quelques mètres-cubes… », soupire Jean-Pierre Hecht, dubitatif. De plus, la direction et certains représentants des mineurs mettent aussi en avant la dangerosité d’une telle opération pour la vie des ouvriers.

De l’autre, les opposants prônent un déstockage total ou presque, plus coûteux et peut-être plus risqué. Les 23 021 tonnes de classe 1 partiraient dans les autres sites français fonctionnels. Pour les 18 990 tonnes de classe 0, elles iraient dans d’autres mines en Allemagne, moins exposées à un « ennoyage » dans une nappe phréatique. Autre proposition, la vitrification des déchets, « plus chère, mais si on l’avait faite dès le début cela aurait été moins coûteux que ce qui a été dépensé ».

Quelques tonnes remontées en 2014

Le dossier évolue un peu sous le quinquennat de François Hollande. Mais après des bons contacts initiaux avec l’éphémère ministre Delphine Batho, les espoirs initiaux sont douchés lorsque la successeuse Ségolène Royal annonce vouloir retirer « un maximum » de déchets mi-2014. Josiane Kieffer rappelle l’ambiguïté :

« Tout le monde a entendu 93%. Mais c’était 93% des déchets mercuriels, soit 2 270 tonnes en tout sur 44 000. On espérait au moins que ce soit les déchets de mercure et d’arsenic soit 9 000 tonnes. On s’est dit soit elle s’est moqué de nous, soit on s’est moqué d’elle dans les informations transmises. »

Après trois ans de déstockage par la société allemande Saar Montan, il reste environ 41 700 tonnes de déchets depuis 2017. Depuis, au gré des revirements, aucune décision définitive n’est prise. Au début de l’été 2019, une cinquantaine de personnes s’activent chaque jour pour des opérations d’entretien et de consolidation : 44 mineurs polonais de la société Primetech, ainsi qu’une dizaine des 29 salariés des MDPA et des intervenants extérieurs.

Pour Josiane Kieffer, le dossier stagne car les personnes consultées se ressemblent :

« Les élus ne sont pas ingénieurs. Il s’en remettent aux avis d’experts qui sont tous issus du corps de mines. Ils vont dans le même sens et parfois se défendent entre eux. »

Elle aimerait que des spécialistes suisses ou allemands de ces questions soient davantage écoutés.

Jean-Pierre Hecht nous reçoit à la colonie Langenzug, un lieu de vie pour les associations construit par les MDPA dans la cité minière. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Encore des études et derniers espoirs

Avec le renouvellement de l’Assemblée en 2017, les opposants ont enregistré de nouveaux soutiens, les députés Raphaël Schellenberger (LR), Bruno Fuchs (Modem) ou Vincent Thiébaut (LREM, Bas-Rhin), qui préside une mission parlementaire d’information, s’intéressent au dossier. Le compte-rendu, jugé trop proche des arguments des opposants, déplaît aux MDPA qui publie plusieurs réponses au rapport des députés dans sa lettre d’information d’octobre 2018.

Fin janvier 2019, celui qui était encore le ministre de l’Écologie, François de Rugy ordonne pourtant un confinement total du site, contre l’avis d’une expertise demandée par son prédécesseur Nicolas Hulot. Après là encore plusieurs rebondissements, semble-t-il jusqu’au milieu d’un dîner à l’Élysée le 12 février avec les parlementaires du Grand Est, il change de position. Il enclenche une nouvelle étude de faisabilité d’un « déstockage complémentaire ». La 106ème selon les comptes du collectif.

Une nouvelle fois, l’ascenseur émotionnel attend les opposants :

« Après une réunion publique d’information le 8 avril pour confirmer cela, on pensait fêter la fin du collectif. Et en découvrant le cahier des charges le 11 avril en comité du suivi, le bloc 15 n’y figure pas. »

Pendant ce temps, seules des opérations de maintien du site ont lieu, au désespoir de Jean-Pierre Hecht :

« On se focalise sur ce bloc, mais on perd du temps sur le reste. On pourrait déjà déstocker les autres blocs et étudier en parallèle le cas du bloc 15, sachant qu’avec les progrès de la recherche, les techniques évoluent. Les travaux actuels montrent que l’on s’entête dans cette voie. »

Dans sa lettre d’information du 31 juillet, les MDPA rappellent que l’étude est menée « en parallèle de la poursuite du confinement ». Les conclusions des recherches, dont le marché ne sera passé qu’en décembre, sont annoncés pour le « printemps 2020 ». Cinq candidats ont effectué plusieurs visites pour transmettre leur offre ajoutent les MDPA. Trois options sont à l’étude, le déstockage complet hors bloc 15, celui de 25 % des déchets pouvant entrer en contact avec l’eau ou un déstockage « supplémentaire » en parallèle du confinement qui doit se terminer en 2027.

Le député Raphaël Schellenberger et la présidente du Haut-Rhin, Brigitte Klinkert, ont demandé au ministère « d’accélérer » pour obtenir un retour « fin 2019 ». Le dossier attend en tout cas la nouvelle ministre de l’Environnement Élisabeth Borne. De son côté, le collectif vient de s’adjoindre les conseils de l’avocate et ancienne ministre de l’Écologie (1995-1997) Corinne Lepage.


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