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« Les femmes de Fessenheim », premières opposantes à la centrale dès sa construction

Archives vivantes – En 1970, le projet de centrale nucléaire à Fessenheim est un sujet de débat public. Trois femmes, surnommées « les guêpes de Fessenheim », portent ce combat contre l’atome et pour une meilleure information des citoyens. Elles organisent des conférences, donnent des interviews et produisent une brochure intitulée « Fessenheim : vie ou mort de l’Alsace ». Esther Peter-Davis fait partie du groupe. Rue89 Strasbourg l’a rencontrée.

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« Je ne sais pas ce qui ennuyait le plus les pro-nucléaire  : les informations que je révélais ou le fait que c’était une femme qui le faisait. » Au début des années 70, Esther Peter-Davis a joué un rôle important dans la contestation de l’énergie atomique en Alsace. Avec Françoise Bucher et Annick Albrecht, elles ont donné des interviews, des conférences et rédigé une revue au nom évocateur : « Fessenheim : vie ou mort de l’Alsace… » En janvier 1971, le documentaire France 3 « Les femmes de Fessenheim » rappelle le surnom du groupe anti-nucléaire : « Les guêpes de Fessenheim ». Parce qu’elles « piquent »…

 

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« J’ai voulu informer les gens sur les dangers liés à l’atome »

Esther Peter-Davis accepte de donner un entretien dans son appartement. Elle accueille dans son bureau, empli de livres. Sur une table, une boîte contient les notes préparatoires d’un livre sur le nucléaire. Accrochées aux murs, ou éparpillées sur d’autres tables, on trouve des photos de ses voyages à travers le monde.

À la fin des années 60, l’Alsacienne rend visite à sa belle-sœur aux États-Unis. Virginia Davis lui fait visiter les environs de plusieurs centrales nucléaires de l’Etat du Maine. Elle verra aussi les quatre grandes tours de réfrigération de la centrale de Three Miles Island, célèbres depuis l’accident survenu le 28 mars 1979. Ce voyage forge sa conscience antinucléaire :

« J’ai rencontré beaucoup de scientifiques, de médecins et d’associations opposés au nucléaire civil. J’étais sidérée de voir qu’il y avait tant d’opposition. Quand on a commencé à parler d’une centrale à Fessenheim, j’ai voulu informer les gens sur les dangers liés à l’atome. »

« Les scientifiques m’ont utilisée comme porte-voix »

Bien insérée dans le milieu scientifique, Esther Peter-Davis avait déjà accumulé les informations sur le nucléaire. Une photographie de Frédéric Joliot-Curie est accrochée sur un mur de la pièce. L’ancienne militante raconte sa relation avec le gendre de Pierre et Marie Curie :

« Dans les années 50, Frédéric Joliot-Curie m’envoyait à des réunions pour que je parle des dangers liés aux radiations et le risque que présente l’énergie nucléaire. En fait, je me suis rendu compte plus tard qu’on empêchait les scientifiques de parler. Alors les scientifiques [critiques du nucléaire, ndlr] m’ont utilisée comme porte-voix. »

« Fessenheim, Vie ou mort de l’Alsace… »

En 1970, l’activiste se consacre à ses projets de livre et de film, ainsi qu’à ses quatre enfants. Elle habite à Bollwiller, à 25 kilomètres de Fessenheim, lorsqu’elle apprend qu’une centrale nucléaire doit être construire dans ce village du Haut-Rhin. Dès l’été, elle crée le Comité pour la sauvegarde de Fessenheim et la plaine du Rhin avec Jean-Jacques Rettig, figure régionale du militantisme antinucléaire. Il se rappelle bien du travail d’Esther Peter-Davis :

« Madame Davis est une personne intelligente, qui parle le français, l’allemand, l’anglais. Elle a souvent été aux États-Unis. Elle nous a été extrêmement précieuse pour s’exprimer en public et débusquer de l’information sur le nucléaire. »

En juin 1970, la revue « Fessenheim, Vie ou mort de l’Alsace… » est imprimée. Elle contient des extraits de travaux scientifiques, ainsi que des citations de scientifiques opposés à l’exploitation de l’énergie nucléaire. Les auteures mettent surtout en avant le risque que présentent les centrales pour la santé publique.

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Au fil des rééditions, plus de 5 000 exemplaires seront diffusés. L’objectif était aussi de distribuer le feuillet d’une soixantaine de pages à tous les maires de la région.

Le site de Fessenheim, grillagé deux fois

Un travail d’information nécessaire selon Jean-Jacques Rettig. À Gerstheim (Bas-Rhin), les habitants se sont physiquement opposés à la construction d’une centrale en 1975. À Fessenheim, l’occupation du site n’a pas été possible. Jean-Jacques Rettig s’en souvient :

« À Fessenheim, le terrain était propriété d’EDF avant que le projet n’émerge. Il a été grillagé une première fois puis très vite la protection du site a été consolidée par un deuxième grillage avec un chemin pour les chiens. »

Lorsque l’on interroge Esther Peter-Davis sur la transparence de l’Etat français et d’EDF autour du nucléaire dans les années 70, elle pouffe de rire :

« Vous savez, la police française m’a confisqué des documents sur le nucléaire. C’est aussi pour ça que j’ai abandonné mon projet de livre sur le sujet. Dans les années 70, EDF a fait semblant de s’ouvrir au débat. Il n’y avait pas de transparence. Dans leurs conférences publiques, il n’y avait de droit à la parole que pour les défenseurs du projet de centrale. »

Un activisme usant et dégradant

En 1977, la centrale de Fessenheim démarre. Depuis plusieurs années, Esther Peter-Davis a mis de côté son engagement contre Fessenheim. Trop usant. L’activiste se rappelle des nombreuses menaces reçues. Certaines sont dirigées contre ses enfants. Trop dégradant aussi. Les attaques misogynes sont régulières quand la femme est vent debout contre la centrale. Elle se souvient d’un passage à la radio RTL :

« Lors d’un débat sur le nucléaire avec le physicien Louis Neel, il m’a dit que ce n’était pas avec mon intelligence que j’allais comprendre ce genre de choses. »

L’activiste alsacienne avait alors commis l’erreur de demander à Louis Neel : « La centrale représente-t-elle un quelconque danger, notamment pour les enfants ? »

« C’est à Bure qu’il faut se battre maintenant »

Le 31 mars 2018, le deuxième réacteur de Fessenheim redémarrera après un an et dix mois de panne. Lorsqu’Esther Peter-Davis l’apprend, elle lève les yeux au plafond et explique, avec gravité :

« Vous savez, j’ai passé beaucoup de temps à essayer d’oublier ce combat-là. J’ai fait ce que j’ai pu. J’ai aidé à faire connaître un problème dont on ne parlait pas. J’ai toujours trouvé inacceptable le fait que nos choix engagent nos enfants. La question se pose toujours aujourd’hui. C’est à Bure qu’il faut se battre maintenant. »

Le secrétaire d’État à la transition énergétique, Sébastien Lecornu, est attendu les 12 et 13 avril pour un deuxième séjour de travail autour de la fermeture de la centrale, prévue pour « fin 2018 ou début 2019 ».


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