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Accueillir des réfugiés chez soi, la solution des Jésuites débarque à Strasbourg

Une association liée aux Jésuites veut connecter les particuliers et les demandeurs d’asile en mal de logement, tout en encadrant cette « expérience de rencontre réciproque. » es premiers participants à Strasbourg sont plus qu’enthousiastes.

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Sur les murs de Paris (Photo Urban Isthmus / FlickR / cc)

C’est avec émotion que Léopold, demandeur d’asile camerounais d’une cinquantaine d’années, parle de Pascale, une dame qui lui a offert un toit dans sa maison au Neudorf en mai 2018 :

« C’est vraiment une bonne personne, une dame de cœur, qui m’a accueilli chaleureusement. »

Après être arrivé en mars 2018 et avoir vécu dans la rue, Léopold se voit interpellé par les responsables du centre d’accueil de jour du quartier Gare, où il allait parfois prendre un café et « poser [s]es sacs lourds ». Ils lui parlent d’une association qui aide à loger les adultes isolés dans sa situation, et lui demandent s’il est intéressé :

« J’ai dit oui ! Ce n’était pas facile de vivre à la rue, je n’avais ni à boire ni à manger… J’ai sauté sur l’occasion. »

Léopold entre alors dans le programme JRS Welcome, une émanation de l’association Jesuit Refugee Service, qui lutte contre l’exclusion sociale et l’isolement des demandeurs d’asile et des réfugiés. Leur programme de « mise à l’abri », présent dans 38 villes de France, a créé une antenne strasbourgeoise en février.

Ouvrir ses portes pour six semaines

À Strasbourg et dans les environs, le programme d’accueil ne concerne que six demandeurs d’asile pour l’instant, dont deux femmes, principalement venus des pays d’Afrique mais aussi de Syrie. Mais cela mobilise déjà une quarantaine de familles. Des gens comme Pascale, la cinquantaine, qui y a vu l’occasion d’aider « les gens qui souffrent » en apportant son aide à des migrants pendant l’instruction de leur procédure de demande d’asile. Des gens comme Marie et Fabrice aussi, respectivement professeure des écoles et maraîcher, trentenaires, qui se sont retrouvés famille d’accueil strasbourgeoise, un peu par hasard. De mi-avril à fin mai, ils ont accueilli Mwaffak, un Syrien de 53 ans, dans leur appartement du centre-ville près de la place Broglie, où ils avaient une chambre d’amis.

Les familles hébergent gratuitement les demandeurs d’asile, pour une durée de six semaines. Ensuite, la personne change de famille, et cela le temps de l’instruction de la procédure de demande d’asile, en général environ neuf mois.

Léopold a reçu plein de documents pour s'en sortir dans la vie quotidienne à Strasbourg, dont le plan du réseau de transports en commun (Photo DL/Rue 89 Strasbourg/cc)
Léopold a reçu plein de documents pour s’en sortir dans la vie quotidienne à Strasbourg, dont le plan du réseau de transports en commun à Strasbourg et Paris (Photo DL / Rue89 Strasbourg / cc)

Emmanuelle Signorelli, coordinatrice à JRS Welcome à Strabsourg, explique que la condition du statut est nécessaire pour que l’hébergement soit légal :

« L’idée est d’offrir une solution d’accueil pour les personnes qui n’ont pas eu de place dans le dispositif national d’accueil. Mais dès qu’elle reçoit une proposition de l’Etat, elle sort du dispositif JRS. Et si sa demande est déboutée, on doit lui signifier de quitter la famille d’accueil, en lui laissant bien sûr le temps de se « retourner ». Mais ce n’est pas encore arrivé à Strasbourg. »

Aider à aider les autres

Le leitmotiv de JRS Welcome, c’est l’encadrement et l’organisation, « pour que tout se passe bien pour tout le monde », indique Emmanuelle. L’idée est d’aider à passer le cap, pour ceux qui veulent agir mais ne savent pas trop comment. Dès l’arrivée de l’accueilli, toutes les parties signent une convention, qui va jusqu’à préciser si la personne peut rester à la maison seule, si elle peut utiliser l’ordinateur, la machine à laver, s’il y a des heures d’accès à la salle de bain, etc. Un document qui a rassuré Marie et Fabrice car cela permet « d’éviter les crispations », même si eux ont « dit ok à tout », partant du principe que « c’était des gens respectueux. »

Léopold n’en revient toujours pas de la confiance que les familles d’accueil lui ont accordé :

« J’ai été tous les jours plus surpris de l’accueil qu’on me réservait. Toutes les familles m’ont donné leur clé ! Au début je croyais que je ne serais là que pour dormir, cela m’aurait suffi. Mais il y a eu plein d’autres surprises. Avant je me débrouillais pour manger, j’allais parfois aux restos du cœur, mais là, ces gens m’invitaient à leur table. C’est rare de trouver des gens sympas comme ça. Pour moi, ces premiers moments sont inoubliables. »

Avoir envie de « moments partagés »

L’association cherche à créer des connexions entre les demandeurs d’asile et les hébergeurs et préfère parler de « mise à l’abri », comme en témoigne Léopold :

« Le premier soir, chez Pascale, son fils et sa femme sont venus dîner, à l’occasion de mon arrivée. C’était formidable, j’étais accueilli comme un héros qu’on attendait. Là j’ai su que j’avais rencontré une nouvelle famille. Par la suite, elle m’a emmené dans son village, voir sa maman. Cette femme m’a marquée. Tous les jours, je prie pour elle. »

Il passe ensuite son été chez David, un bénévole de JRS habitant près de Gallia, chez qui il y a beaucoup de passages, ce qui lui a bien plu :

« J’ai beaucoup élargi mon cercle de connaissances chez lui, il y avait souvent des gens qui restaient deux-trois jours. J’ai découvert d’autres pays, d’autres cultures, il y avait des Américains, des Allemands, des Néerlandais, des Tchèques… »

Une vie commune dont témoignent aussi Marie et Fabrice, qui parlent de nombreux « moments partagés » avec Mwaffak, le syrien :

« On se retrouvait le soir, on mangeait ensemble, on jouait aux échecs.… On l’a présenté à la famille, à nos amis… C’était un vrai voyage, on a découvert une culture et lui aussi ! Maintenant on cuisine un peu syrien. D’ailleurs, quand Mwaffak était chez nous, on a dû consommer entre 10 et 12 litres d’huile d’olive, en six semaines ! »

Nombreux sont les demandeurs d'asile qui n'ont pas de toit pendant leur procédure. Ici, un campement de fortune au Neuhof (Photo AC/Rue 89 Strasbourg/cc)
Nombreux sont les demandeurs d’asile qui n’ont pas de toit pendant leur procédure. Ici, un campement de fortune au Neuhof (Photo AC / Rue89 Strasbourg / cc)

L’occasion de découvrir de nouvelles activités

Léopold, lui, découvre la campagne alsacienne et les marches dans les Vosges, mais surtout, il se découvre une passion pour les jardins et potagers. Notamment chez Philippe et Anne, sa deuxième famille d’accueil. Ils habitent au Centre Saint-Thomas (mais dans leur propre maison) à la Robertsau, un centre d’accueil et de formation du diocèse de Strasbourg. Le lieu dispose aussi d’un jardin, comme le raconte Léopold :

« Chez Pascale, j’ai appris “les choses du jardin”, les noms de plantes, etc. Et après, Philippe m’a montré son petit potager, j’ai appliqué tout ce que j’ai appris chez Pascale. On a produit des fruits et des légumes. On mangeait ce que j’avais planté. Grâce à JRS, le jardinage est devenu quelque chose d’important pour moi. »

Il raconte d’autres moments festifs, comme l’anniversaire de David qui lui a « mis de la joie au cœur ». Fin août, il partait chez Thomas et Maëlys. Actifs dans leur paroisse, ils ont la cinquantaine et possèdent une maison vers le quartier du Conseil des XV, dont les chambres sont libres depuis que les enfants sont partis. Un cadre qui enchante encore Léopold :

« Je découvre encore une autre grande maison avec un grand jardin. J’ai eu la chance d’avoir toujours un cadre agréable. Je retrouve toujours la même sympathie chez les gens. A chaque fois, je me fais une nouvelle famille. Avec eux, on se tutoie, on parle de tout et de rien, on mange ensemble… Alors je me répète que je me dois d’être exemplaire, je me demande toujours si mon comportement est correct. »

En ce début de mois d’octobre, il va découvrir un tout autre cadre, celui d’Eco-Logis, un habitat participatif au Neudorf, où vont l’accueillir Lauren et une dizaine d’autres familles.

Le déclic d’une rencontre

Lauren est une américaine arrivée en France il y a trois ans. Dans un français parfait, elle raconte qu’elle est une des plus jeunes locatrices de l’habitat partagé, où chacun a son propre appartement, mais où certaines parties et tâches sont mises en commun, dont la « chambre d’amis. »

Si les habitants y ont déjà logé – pour un loyer moindre – une personne dans le besoin, Lauren est ensuite tentée de proposer cette chambre gratuitement à un demandeur d’asile, quand une rencontre la sensibilise à la question. Active à la Recyclerie et dans plusieurs associations, elle rencontre un demandeur d’asile, Ibrahima, au Festival Zéro Déchet, qui deviendra bénévole à la Recyclerie. Il a 24 ans, vient de Guinée et cherche un logement. Ce qui empêche Lauren de proposer aux autres habitants de l’héberger, c’est le manque de cadre, d’accompagnement… Et des doutes sur la légalité de la démarche et sur la durée du séjour… Quand elle rencontre Thomas, bénévole à JRS, les doutes sont levés :

« Rencontrer les bénévoles de JRS a fait la différence, surtout quand j’ai su qu’il y aurait un suivi complet avec un tuteur, et que le demandeur d’asile aurait une autre famille pour l’accueillir par la suite. »

Le jardin participatif, créé à l’initiative de résidents d’Eco-Logis, risque fort de plaire à Léopold (Photo LJ / Rue89 Strasbourg)

Voilà tous les locataires d’Eco-Logis rassurés et partants pour proposer leur chambre d’amis commune. Mais c’est Léopold qu’ils accueilleront, car Ibrahima sera accueilli ailleurs. Maintenant, quelques questions demeurent pour Lauren, qui espère que Léopold trouvera sa place dans cette nouvelle configuration :

« Cette fois il ne rencontre pas qu’une famille, mais 11 ! J’espère que chacun sera respectueux, qu’il n’aura pas à raconter et répéter son histoire à chaque fois… Mais je pense que cela ira. Il y a un bon esprit de groupe, il y a des moments partagés mais rien d’obligatoire. »

Léopold est bien plus réservé qu’Ibrahima. Toujours bénévole à la Recyclerie, mais aussi à la Croix Rouge et à Makers for Change, il a lui aussi trouvé une place dans le programme JRS.

Un « témoignage chrétien »

C’est chez Marie-Laure, la soixantaine, habitante de l’Esplanade, qu’il a trouvé un accueil à la mi-septembre. Depuis que les enfants de Marie-Laure ont quitté son appartement de 4 pièces, elle accueille chaque année un étudiant étranger, qui occupe une des chambres pour un loyer très modéré. Cette fois, elle s’en passera, et cela ne lui pose aucun problème : « C’est juste évident, on ne laisse pas des gens dehors. »

Une démarche politique, mais aussi chrétienne pour cette membre active de la paroisse de l’Esplanade et de l’association jésuite CVX, qui veut « travailler à la construction d’un monde plus juste et fraternel » :

« C’est un peu une manière de faire la nique à tout ce qu’on entend de négatif sur l’Église catholique. Dans notre paroisse, on est heureux de voir ce Pape prendre position pour l’accueil des migrants. Il avait fait un appel pour que chaque paroisse accueille une famille, et c’est le cas à l’Esplanade. Chez les « cathos », il y a cette tradition d’accueil depuis longtemps. Les Chrétiens, c’est aussi ça, ce ne sont pas que des réacs ringards ! »

Entre crêpes et manioc

Comme les autres accueillants, le déclic a été de se sentir accompagnée et complètement encadrée par l’association, dont Marie-Laure dit avoir attendu la venue sur Strasbourg avec impatience. L’expérience est à la hauteur de ses attentes, car la colocation se passe très bien avec Ibrahima. Une à deux fois par semaine, ils dînent ensemble et se font découvrir des plats :

« Je lui ai fait découvrir les crêpes, il a adoré, et était content de réussir à manier la crêpière. Un soir il a voulu préparer le repas et a fait un Attiéké (plat de semoule de manioc, NDLR). Sinon, je me rends compte que c’est un autre monde pour lui, c’est la première machine à laver qu’il voit, tout comme le fer à repasser électrique ».

Selon Marie-Laure, l’Église joue un rôle dans l’accueil des réfugiés et demandeurs d’asile. Ici, l’église du Christ Ressuscité à l’Esplanade (Photo Google Maps)

Bientôt, elle présentera Ibrahima à ses fils, lors d’une soirée « jeux » qu’ils organisent.

Surtout, cette expérience leur donne l’impression de « faire partie d’un véritable mouvement, » puisque JRS fait en sorte de connecter les familles :

« L’autre jour, on a fait un pique-nique à plusieurs familles au Mont Sainte-Odile, c’était très très sympa. On a joué au Mölkky, les trois quarts des gens ne connaissaient pas le jeu. Ce qui est bien, c’est qu’on n’est pas juste dans la charité, là on a juste tous passé un bon moment. En rentrant du Mont Sainte-Odile, Ibrahima et Léopold s’étaient lancés dans une grande conversation sur les footballeurs français des années soixante. »

Connecter les familles

Selon elle, l’action de JRS Welcome consiste plus en une nouvelle expérience de solidarité qu’en simple solution d’hébergement :

« En fait, toutes les six semaines, le demandeur d’asile change de famille mais reste dans la même famille élargie. Lors de cette sortie, on a eu l’impression de faire partie d’un réseau, avec que des gens qui ont ouvert leurs portes, avec la même attitude vis-à-vis des accueillis, tout en discrétion et sans être invasifs. Ce sentiment de fraternité, c’était très important. »

Un engagement incarné par Céline (le prénom a été changé) : cette retraitée avait accueilli dans son appartement du centre-ville une demandeuse d’asile congolaise de 48 ans… qui s’est vue proposer une place en CADA au bout de deux semaines et demi. Qu’à cela ne tienne, Céline garde le contact et décide de « continuer à [s’]occuper d’elle » :

« Je veux voir comment ça se passe pour elle sur le long terme. Je vais aller au marché avec elle, on va cuisiner des soupes. On a aussi visité la ville ensemble, elle état très intéressée par la Cathédrale. C’est une expérience très riche, on investit beaucoup de temps. Et surtout, la personne accueillie n’est plus un numéro, c’est un être humain avec qui on tisse des liens. Avec elle, j’ai pu échanger facilement car elle parle français ».

Au contraire de Mwaffak, qui ne parlait pas du tout français en arrivant, mais qui a été accompagné par un interprète pour sa première soirée avec Marie et Fabrice. Ils en rient encore :

« Du coup on a appris des mots d’arabe, et puis c’était plus drôle qu’autre chose, il y a eu des quiproquos sur les heures de repas, sur les jours de la semaine… »

Aujourd’hui, Mwaffak n’est plus chez eux mais reste en contact par SMS avec Marie et Fabrice. Léopold, lui, attend de voir ce que donne son recours devant la Cour nationale de demande d’asile, il ne sait pas quand. En attendant, il se dit vraiment reconnaissant :

« Tous ces gens ont cru en moi, ils m’ont soutenu, ils m’ont aidé pour déménager mes affaires, ils m’ont même aidé pour les déplacements pour les papiers à Paris, il m’ont logé là-bas… En fait, JRS est en train de me donner une autre espérance de vie. »

L’association cherche des familles supplémentaires, pour, évidemment, accueillir plus de demandeurs d’asile. Les nouveaux bénévoles sont aussi les bienvenus pour devenir tuteur, coordinateur ou s’occuper de la logistique.


#Demandeurs d'asile

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