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Trois associations assignent la préfecture du Bas-Rhin en justice au nom de l’accès au droit des étrangers

Depuis plusieurs années, la préfecture du Bas-Rhin impose une procédure entièrement numérique pour les demandes de titres de séjour, même pour obtenir un rendez-vous concernant un dossier en cours. Résultat : des files d’attente toujours plus longues, mais devant des écrans au lieu d’être place de la République. Pour mettre fin à cette situation et obtenir la mise en place d’une procédure alternative, la Cimade, la Ligue des droits de l’Homme et le Syndicat des avocats de France ont déposé mercredi un recours devant le tribunal administratif.

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Trois associations assignent la préfecture du Bas-Rhin en justice au nom de l’accès au droit des étrangers

« Il n’existe plus de plage horaire libre pour votre demande de rendez-vous. Veuillez recommencer ultérieurement. » Depuis plusieurs mois, ce message est la seule réponse obtenue par la grande majorité des personnes se connectant à l’interface de la préfecture du Bas-Rhin pour suivre une demande de titre de séjour. « C’est très compliqué, témoigne Moustafa Boustila, porte-parole du Collectif des sans-papiers en Alsace (CSP 67). Je ne connais personne qui a réussi à obtenir un rendez-vous sur internet. Certains ont abandonné ».

Me François Zind, membre du Syndicat des avocats de France, a des soirées compliquées depuis ce système :

« La seule chance d’obtenir un rendez-vous, c’est de se connecter entre minuit et 1h du matin. Alors parfois, entre deux séries le soir, j’essaie d’obtenir des créneaux pour des clients. J’utilise plusieurs adresses mails, sinon on me bloque. On est plusieurs à faire ça de manière bénévole. C’est quand même incroyable qu’on en arrive là ! »

L’avocat fait le constat qu’il est « de plus en plus difficile d’avoir des interlocuteurs en préfecture. » À l’origine de cette file d’attente invisible, la dématérialisation des procédures initiée en 2017. « Au début, elle ne concernait que certains types de demandes, retrace Élodie Martin, chargée régionale d’animation juridique à la Cimade. Mais en 2020, une plateforme numérique a été mise en place. Aujourd’hui, nous n’avons pas d’autres choix que d’utiliser cette interface pour déposer un dossier. Ceux qui envoient un courrier reçoivent une réponse leur disant de passer par internet. »

Problème : « la lecture de l’interface proposée par le site de la préfecture du Bas-Rhin est particulièrement difficile et peu intuitive. [Elle] propose un certain nombre de cas de figure dont certains sont illisibles, sauf pour les spécialistes », juge la Cimade dans un communiqué. Résultat : la dématérialisation éloigne les personnes sans papiers et les étrangers de l’accès à leurs droits.

Dix-sept préfectures assignées en justice

Les difficultés à obtenir des rendez-vous en préfecture ont entrainé une augmentation des recours individuels devant le tribunal administratif de Strasbourg. « Mais à chaque fois c’est la même chose, les demandeurs obtiennent finalement un rendez-vous juste avant l’audience », s’agace Elodie Martin. Une manœuvre qui, supprimant le motif de l’action en justice, rend impossible la condamnation de la préfecture et l’élaboration d’une jurisprudence.

Pour mettre fin à cette situation, la Cimade, la Ligue des droits de l’Homme et le Syndicat des avocats de France ont déposé mercredi 30 juin 17 requêtes devant autant de tribunaux administratifs, partout en France. Ces associations demandent la mise en place d’une procédure alternative, non dématérialisée, dans plusieurs préfectures. À Strasbourg, Tiphaine Elsasser et Ekatarini Sabatakakis, les avocates en charge du dossier, soulèvent également des irrégularités dans la protection des données individuelles traitées par la plateforme.

Cette action juridique s’appuie sur un jugement du 18 janvier 2021, dont les associations espèrent qu’il fera jurisprudence : le tribunal administratif de Rouen avait en effet annulé pour illégalité un arrêté de la préfecture de Seine-Maritime imposant aux personnes étrangères de déposer en ligne leurs demandes de séjour. Le Conseil d’État avait également affirmé, dans une décision du 11 novembre 2019, que les particuliers ne pouvaient pas être contraints de saisir l’administration par voie dématérialisée. Une alternative doit leur être proposée.

La procédure initiée mercredi devant le tribunal de Strasbourg devrait durer plusieurs mois. Mais les associations réfléchissent d’ores et déjà à déposer un recours en référé suspension au mois de septembre, pour accélérer les choses.


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