Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Décorer les conteneurs, l’idée de Strasbourg pour doper le tri du verre

L’Eurométropole de Strasbourg a lancé un appel à projets « création urbaine sur conteneurs à verre », persuadée que si les collecteurs sont plus jolis, les gens trieront plus. Pas sûr.

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Raconter l'histoire des quartiers sur les conteneurs à verre est une piste envisagée par l'appel à projets. Par exemple : Gutenberg sur la place éponyme (Photo : BW / Rue89 Strasbourg)

Les nouveaux conteneurs doivent être incitatifs, selon leurs promoteurs (Photo : BW / Rue89 Strasbourg)
Les nouveaux conteneurs doivent être incitatifs, selon leurs promoteurs (Photo BW / Rue89 Strasbourg)

En 2014, chaque habitant de l’Eurométropole a envoyé au recyclage 23,6 kg de bouteilles, bocaux et autres emballages en verre. Mais selon la commune, ce chiffre passe du simple au double : 23,3 kg/hab. de verre a été récupéré à Bischheim contre… 47,9 kg/hab. à Mundolsheim.

Car à Strasbourg comme ailleurs, le tri s’effectue moins en ville qu’à la campagne. L’habitat y est plus vertical et plus dense, laissant moins de place aux « points d’apport volontaire » comparé au nombre d’habitants : le maillage des conteneurs est moins dense. Sans compter que le service porte-à-porte des ordures ménagères, en vigueur à Strasbourg, n’incite pas au tri du verre.

Mille tonnes de verre triées en plus en 2018

En février 2014, le ministère de l’Écologie a mandaté Éco-Emballages, entreprise privée qui collecte une taxe sur les emballages pour encourager le tri et le recyclage, pour gérer un Plan de relance national du tri des déchets. But : atteindre 75% d’emballages triés. L’État reste modeste puisque ce taux est identique à celui qu’il s’était déjà fixé en 2012, sans succès (67 % de déchets triés cette année-là).

À Strasbourg, ce plan concerne surtout la collecte du verre, avec pour objectif de trier mille tonnes supplémentaires en 2018. Soit, par rapport aux 11 116 tonnes collectées en 2014, une hausse de 9%.

Pour tenter d’y parvenir, 50 conteneurs doivent être installés à la fin de l’année 2016, en plus des 622 actuellement présents sur l’Eurométropole. Et pour qu’ils soient utilisés, ils seront « habillés » par des artistes en création urbaine. Car pour les promoteurs de cette opération, Éco-Emballages, l’Eurométropole et l’Accro, association strasbourgeoise pour « l’économie créative », les conteneurs, cubes en tôle aux couleurs passées, sont couverts d’affiches et de graffitis et inviteraient davantage à passer son chemin qu’à y déposer le verre usagé. En demandant aux artistes de les habiller, ils espèrent en faire des objets attrayants, invitant le tout-un-chacun à s’en approcher et à les utiliser davantage.

« De l’humour, des clins d’œil, et des messages »

Un appel à projets avait été lancé en ce sens jusqu’au 24 mars. Les lauréats devraient être départagés courant avril. Il donne quelques pistes de travail aux artistes : messages d’information, références historiques ou encore partenariat avec des écoles. Aude Plassard, la directrice artistique d’Accro, décrit :

« De l’humour, des clins d’œil, et des messages peut-être un peu persuasifs, corrosifs ou rigolos peuvent être tout à fait attendus pour interloquer et, qui sait, appréhender le geste de tri autrement qu’aujourd’hui. Il s’agirait de ne plus considérer le déchet comme quelque chose de négatif, mais de l’interroger dans sa valeur ajoutée ».

D’après elle, cela permettra aussi de mieux faire connaître des pratiques artistiques. Après la tenue du jury en avril, il devrait y avoir cinq lauréats, chacun déclinant sa proposition sur dix conteneurs et se voyant remettre 2 400€. Les premiers conteneurs habillés devraient apparaître sur nos trottoirs avant l’été.

Ce plan de relance du tri strasbourgeois doit être complété par deux autres volets (lire ci-contre), pour un coût total de 447 000€, dont 370 000€ apportés par Éco-Emballages. La moitié doit être allouée aux conteneurs décorés. Parmi les dépenses couvertes, l’achat et l’habillage des conteneurs (environ 2 000 € pièce pour un conteneur en surface, 15 000€ pour un enterré), et l’engagement d’un designer pour assurer le suivi artistique du projet.

Centre-ville, Neudorf et Bischheim prioritaires

Tous les quartiers de Strasbourg et toutes les communes de l’Eurométropole ne profiteront pas de ces conteneurs supplémentaires. Les lieux de pose définitifs restent « en cours d’identification », mais une liste de 58 emplacements pressentis est délivrée en annexe de l’appel à projets. Parmi eux, 28 sont au centre-ville et autour de la gare, et 19 au Neudorf (Schluthfeld et Musau inclus). Le reste se partage entre Bischheim (5 emplacements), Lingolsheim (deux places), Cronenbourg (deux places également) et Koenigshoffen-Montagne Verte-Elsau (deux place en tout).

Les zones géographiques qui apparaissent les plus favorisées sont en fait, selon le service collecte et valorisation des déchets de l’Eurométropole, plus « difficiles » que les autres, du fait de la densité de l’habitat : par manque de place au sol, les conteneurs n’ont pas pu jusqu’à présent y être ajoutés en nombre suffisant. Alors qu’Éco-Emballages préconise une densité d’un conteneur pour 600 habitants, elle est dans l’Eurométropole d’à peine un conteneur pour 756 habitants en moyenne.

Pourquoi ne pas ajouter en priorité ces conteneurs dans les quartiers dits prioritaires aux yeux de la politique de la ville ? Bien que leur population ne soit pas forcément moins dense qu’ailleurs, leur habitat offre davantage d’espace et favorise une meilleure densité de conteneurs, avance Françoise Bey, vice-présidente de l’Eurométropole en charge de la collecte, de la gestion et de la valorisation des déchets.

Les principaux quartiers concernés : le centre-ville et le Neudorf, ainsi que la commune de Bishheim (Photo : BW / Rue89 Strasbourg).
Les principaux quartiers concernés à Strasbourg : le centre-ville et le Neudorf (Photo : BW / Rue89 Strasbourg).

Au-delà de l’environnement, l’économie

Si l’Eurométropole et Éco-Emballages souhaitent encourager le tri, ce n’est pas uniquement par souci de préserver l’environnement. Les refus de tri coûtent cher, tout comme l’incinération et le traitement qui la suit. Des coûts qui s’ajoutent à la facture des travaux et de l’arrêt d’une partie des lignes de Sénerval, l’usine d’incinération des ordures ménagères de Strasbourg, suite à la découverte d’amiante sur le site.

À l’échelle nationale, une tonne de verre triée permet d’économiser 130€ en traitement des déchets, indique Christophe Neumann, directeur régional d’Éco-Emballages. Un chiffre également valable pour Strasbourg. Autre intérêt selon Christophe Neumann, le renforcement d’une économie circulaire locale :

« Aujourd’hui, près de 90% des déchets triés sont recyclés en France. Le recyclage du plastique est à Colmar, mais aussi à Verdun et dans les Vosges. Les papiers-cartons peuvent être traités à Haguenau et à Kaysersberg. Le verre, c’est dans les Vosges. Il y a aussi du recyclage des métaux dans le Haut-Rhin. Donc quand je fais le geste de tri, je permets à une industrie locale de se développer ».

Passer du recyclage à la consigne

Pour les associations écologistes comme le collectif Zero Waste (zéro déchet) de Strasbourg et France Nature Environnement, l’idée d’habiller les conteneurs permet surtout de rappeler l’existence des déchets plutôt que de les cacher. Mais la décoration ne leur apparaît cependant pas être la priorité dans le cadre d’un plan de relance du tri.

Elles voudraient aller plus loin : plutôt que de n’encourager que la « grande boucle » de l’économie circulaire qu’est le recyclage, elles promeuvent le développement de sa « petite boucle », c’est-à-dire les consignes locales et le réemploi des déchets en verre. Soit, in fine, la réduction des déchets à la source. Car même le recyclage consomme de l’énergie et engendre des émissions de gaz à effet de serre, d’après elles.

De son côté, Marie Fabre, du collectif Zero Waste, considère que les deux « boucles » peuvent être alliées :

« Une bouteille de verre peut être réutilisée jusqu’à dix ou vingt fois. Quand elle est en fin de vie et que son réemploi a été bien valorisé, il est intéressant de pouvoir la recycler localement ».

Françoise Bey se considère en accord avec cette dernière assertion et, dans l’absolu, dit préférer la consigne au recyclage. Mais elle estime qu’il manque encore des directives nationales et une réflexion locale à ce sujet, notamment en termes de standardisation de format des bouteilles : leur variété limite les possibilités de réemploi. Elle considère également que, contrairement au seul tri, la consigne pourrait être un vecteur « social » pour ses usagers, du fait de l’argent qu’elle permet de récupérer.


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