Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Des idées et des légumes en papier, mais la démocratie locale ne mobilise pas les foules

Depuis le mois de mai, les Strasbourgeois sont invités à des ateliers pour refonder la « démocratie locale ». Cela aboutira en octobre à un « pacte » entre la Ville et les citoyens, pour associer ces derniers aux processus de décision. Malgré un nombre restreint de participants, les idées et les propositions ne manquent pas. Seront-elles suivies par les élus ?

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Des idées et des légumes en papier, mais la démocratie locale ne mobilise pas les foules

Les derniers parents viennent chercher leurs enfants à l’école maternelle en cette fin d’après-midi, lundi 11 septembre, place Sainte-Madeleine à Strasbourg. Dans le petit square à côté de l’église, une petite dizaine de personnes sont réunies autour d’un tableau blanc. Ce n’est pas un atelier périscolaire, mais une réunion de citoyens qui veulent prendre part à la démocratie locale strasbourgeoise.

Lancé en mai dernier par la municipalité, le « sommet citoyen » de Strasbourg consiste en une phase de préparation autour de 13 thématiques comme le budget participatif », « la E-démocratie » ou « le vivre ensemble », travaillées lors d’ateliers qui se tiennent jusqu’à octobre. Les travaux de groupes seront restitués pendant la semaine du 9 au 14 octobre et aboutiront à l’adoption d’un « pacte » entre les élus et les Strasbourgeois. Le but affiché est de relancer la démocratie locale, qui « s’essoufflait » selon Roland Ries, maire (PS) de Strasbourg.

Place Sainte-Madeleine, il s’agit du troisième rendez-vous de l’atelier « Gestion collaborative des espaces et équipements publics ». Deux animatrices, Anouk Brocard et Pauline Borde, attendent avant de débuter la réunion, dans l’espoir que quelques personnes supplémentaires arrivent. « Nous étions une vingtaine pour le premier atelier, puis une dizaine au deuxième. C’est vrai que la période n’aide pas trop » confie Anouk Brocard, employée au service Démocratie locale de l’Eurométropole.

Un mode de gestion non-institutionnel et un mur de libre expression dans la ville

La première séance du 27 juin proposait un travail réflexif sur les notions de « gestion collaborative » et « d’espace public ». Les participants s’étaient accordés sur quelques définitions : pour collaborer, il faudrait « un groupe de travail où chacun trouve sa place », pour s’organiser « un espace de démocratie, d’association, de citoyens, de personnes ». Tout cela devrait fonctionner selon « un mode de gestion alternatif, non institutionnel par rapport à ce qui existe aujourd’hui ». Quant aux lieux que cela concerne, les personnes présentes étaient particulièrement enthousiastes pour les exemples de bacs de compostage ou de la rue du Jeu des Enfants, que des riverains ont transformée au début de l’été.

Au café associatif de la Tour du Schloessel début juillet, les citoyens participants s’étaient retrouvés une deuxième fois pour apprendre de cette initiative et se mettre d’accord sur un espace qu’ils aimeraient gérer de manière collaborative. Parmi les propositions faites : une salle de spectacle, un jardin, un mur d’expression, une bibliothèque (pour rendre les heures d’ouverture plus souples) ou une « machine extraordinaire » (sur le modèle de ce qui existe à Nantes). À l’issue d’un vote, c’est l’idée du mur qui a remporté le plus de voix.

Cette fois-ci, il s’agit de puiser l’inspiration dans les réussites et les échecs d’un autre projet : le jardin partagé de la place Sainte-Madeleine. Les animatrices de l’atelier ont invité Christiane Goetz, présidente de l’association des habitants Bourse Austerlitz Krutenau (Ahbak) et à l’initiative du jardin collaboratif. Le terrain de 285 m² a été mis à disposition de l’association en 2009 suite à la signature d’une convention avec la Ville. Depuis, les riverains cultivent des plantes sur un tiers du terrain et viennent composter leurs déchets biodégradables.

Christiane Goetz est la présidente de l’association Ahbak qui s’occupe du jardin partagé de la place Sainte Madeleine (Photo Quentin Tenaud / Rue89 Strasbourg)

Les volontés des projets participatifs face aux réalités administrative

Christiane Goetz revient sur les difficultés que ce genre d’initiative peut rencontrer avec les institutions : ils sentent la convention « verrouillée » dans sa première version, elle ne leur laisse que très peu de liberté. Quand l’association propose de planter des variétés de blé anciennes (dans un autre endroit du quartier), la Ville ne valide pas. Il y a aussi le cas du grenier à grains adjacent au jardin : ce grand bâtiment en bois appartient à l’Eurométropole mais il est laissé à l’abandon. Malgré les propositions de l’Ahbak pour en faire une un espace d’exposition ou une zone « sans ondes électromagnétiques », les pouvoirs politiques n’ont jamais rien voulu en faire, selon Christiane Goetz.

Du côté de la participation, il faut aussi se rendre à l’évidence, « il y a les grands enthousiastes des débuts » puis les participants deviennent « toujours un peu les mêmes ». Ici ils ont tous plus de 50 ans selon Christiane Goetz. Elle assure en revanche que la proximité de l’Etage, un centre social qui accueille des jeunes en grande difficulté, permet une certain mélange. Un jeune est par exemple venu faire un film sur le jardin.

Des participants de tous âges, mais peu de mixité

Une dizaine de minutes après le début de l’atelier, deux jeunes de l’Etage arrivent dans le jardin et demandent : « Hey bonjour, vous faites quoi ici ? » On leur explique qu’il s’agit d’un atelier de citoyens pour échanger autour de l’espace public. Ils semblent intéressés, restent quelques minutes, puis repartent discrètement. Cette scène est assez significative de la toute relative mixité sociale dans ces ateliers de démocratie participative. Les animatrices le reconnaissent : « c’est difficile de mobiliser les gens ».

Une petite dizaine de personne ont fait le déplacement pour le troisième atelier consacré à la « gestion collaborative des espaces et équipements publics ». Au milieu, Pauline Borde et Anouk Brocard animent la rencontre. (Photo Quentin Tenaud / Rue89 Strasbourg)

Cet après-midi là, outre Christiane Goetz de l’Ahbak et Anouk Brocard de l’Eurométropole, ils sont 6 « citoyens » venus par curiosité ou envie de s’impliquer. C’est le cas de Pauline Borde, la seconde animatrice de l’atelier. A 25 ans, elle vient de finir des études d’ingénieur à Paris et s’est installée à Strasbourg au début de l’année 2017. Elle veut devenir professeur des écoles. C’est en voyant des affiches pour le sommet citoyen qu’elle l’a découvert. Comme les organisateurs cherchaient des animateurs, elle s’est portée volontaire et a suivi une courte formation offerte par la Ville. Mais elle insiste : « je n’ai rien à voir avec l’Eurométropole ! ».

Parmi les autres participants, il y a Trung, un proche de Pauline qui l’aide à organiser et prend quelques photos. Un homme plus âgé arrive en retard et fait des remarques « contre les gens qui squattent les espaces publics ». Deux jeunes hommes, dont un étudiant en physique, posent des questions et proposent des pistes de réflexion. Enfin, Claudine, la quarantaine, est la seule à être venue aux deux rendez-vous précédents. La fonctionnaire participe en plus à d’autres ateliers. L’idée du mur participatif c’est elle, mais elle a le succès modeste : « on faisait un jeu, j’ai été surprise et j’ai juste proposé ça comme ça ». Elle se sent un peu « obligée de revenir » car elle a l’impression de s’être « engagée ». Après le sommet, elle ne sait pas si elle continuera. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est de mettre en place des dynamiques de ce genre dans son quartier, l’Elsau.

Quelle issue pour l’atelier ?

Vers 19h30, même Claudine commence à se décourager face au froid : « bon je vais vous abandonner si je veux pas être malade demain ». Pauline n’aura pas eu le temps de présenter ses origamis en forme de carottes et de tomates, censés générer une interaction entre les participants. Il est convenu de se retrouver d’ici quelques semaines pour un quatrième et dernier atelier de conclusion, pour finaliser le projet à proposer lors du sommet citoyen d’octobre.

Difficile pour le moment d’imaginer ce que sera l’aboutissement de cet atelier. Le mur de libre expression sera-t-il leur seule proposition ? L’étudiant remarque qu’il serait plus pertinent de proposer « un groupe de travail permanent chargé de proposer et de mener des projets de gestion collaborative des espaces publics. » Une belle idée, mais qui nécessitera que les élus laissent une place aux citoyens dans les processus de décision. Est-ce que le Sommet citoyen ira jusque là ? Réponse mi-octobre.


#démocratie participative

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