Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Dans l’eau des Alsaciens, des pesticides et des nitrates

En Alsace, 137 pesticides différents ont été détectés dans la nappe phréatique. À certains endroits, les concentrations en nitrates dépassent les seuils sanitaires. L’eau potable est captée dans 70% des cas dans des zones vulnérables à la pollution. Les tests de détection des pesticides sont réalisés une fois par an ou moins dans les zones rurales.

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La dernière étude de l’Aprona (observatoire de la nappe phréatique d’Alsace) a montré la présence de 137 pesticides différents dans la réserve d’eau souterraine alsacienne. Les nitrates (engrais) sont détectés à des concentrations de plus de 50 mg/l (milligrammes par litre), donc au dessus de la limite de potabilité, dans certaines zones aux alentours de Molsheim, Sélestat ou Colmar par exemple.

Sylvain Payraudeau, enseignant chercheur à l’ENGEES (École nationale du génie de l’eau et de l’environnement de Strasbourg), explique que les nitrates sont très solubles et sont entraînés vers la nappe phréatique ou les cours d’eaux lors de précipitations par exemple. Les pesticides regroupent des molécules très différentes et sont donc plus ou moins solubles et persistants. L’atrazine, pourtant interdit depuis 2003, est justement un pesticide très toxique et très persistant qui est toujours détecté dans la nappe phréatique. Stockées dans le sol, certaines molécules comme le DDT peuvent être relarguées dans l’eau jusqu’à 50 ans après avoir été répandues.

Le nombre de pesticides relevés dans les eaux alsaciennes a plus que triplé en 9 ans (document Aprona).

En Alsace, « 240 zones de captage d’eau potable sur les 340 existantes sont en milieu vulnérable à la pollution par les intrants agricoles, » d’après Hervé Chrétien, ingénieur d’études sanitaires à l’ARS (Agence régionale de santé). Bernard Legube, directeur de recherche au CNRS à Poitiers et auteur de 270 publications sur le traitement des eaux, « estime qu’il n’est pas acceptable d’avoir des zones de captage avec de forts risques de pollution. »

Des impacts sur la santé mal connus

Chez les personnes régulièrement au contact des pesticides (agriculteurs, populations rurales, ouvriers fabricants de pesticides), des effets à court terme comme des nausées, des vomissements ou des irritations, peuvent apparaître. À plus long terme, l’exposition prolongée augmente jusqu’à 30% les chances de développer un cancer de la prostate. Les agriculteurs ont aussi deux fois plus de chances de développer la maladie de Parkinson. Des statistiques similaires ont été établies pour de nombreuses autres maladies.

Les nitrates (engrais chimiques), même en faible quantité, peuvent constituer un danger pour la santé humaine. Ils sont transformés en nitrites par des bactéries présentes dans l’organisme. Ils oxydent l’hémoglobine du sang, ce qui l’empêche de fixer l’oxygène. Chez les enfants et plus particulièrement les nourrissons, ils peuvent causer un empoisonnement du sang par ce biais. À plus long terme, chez l’adulte, ils sont mis en cause dans l’apparition de cancers.

Un contrôle de l’eau potable… plus ou moins fréquent

D’après le SDEA (Syndicat des Eaux et de l’assainissement Alsace-Moselle), la présence de ces molécules rend le traitement de l’eau indispensable pour garantir la sécurité sanitaire des populations dans les zones concernées. Mais avant de mettre un traitement en place, des prélèvements sont nécessaires au niveau de chaque site de captage d’eau potable. Hervé Chrétien, ingénieur d’études sanitaires à l’ARS, précise :

« Nous nous adaptons aux résultats des prélèvements qui sont réalisés. La loi du 11 janvier 2007 impose un rythme de tests, dont la cadence augmente proportionnellement au nombre d’habitants d’une zone. »

Pour l’Eurométropole, le nombre de prélèvements annuels pour les pesticides est de un par mois au niveau des points de mise en distribution. Quatre substances ont été détectées en 2017. L’atrazine mais aussi d’autres pesticides : la simazine, le chlorure de choline et l’hexachlorobutadiène. La valeur maximale mesurée de concentration d’un de ces pesticides était de 0,05 µg/l (microgrammes par litre). C’est inférieur à la limite de qualité en vigueur qui est de 0,1 µg/l.

Mais dans les zones rurales, faiblement peuplées, les tests sont moins fréquents selon l’ARS :

« Par exemple, pour un hameau de moins de 50 habitants, une analyse complète est réalisée tous les 5 à 10 ans au point de mise en distribution. Au niveau de l’eau du robinet, 2 à 4 analyses par an sont effectuées (mais pas de recherche des pesticides). Toutefois, selon la qualité de l’eau, un programme renforcé d’analyses peut être mis en œuvre sur une période plus ou moins longue, pour un paramètre donné. »

Le texte de loi du 11 janvier 2007 dispose que pour un village entre 2 000 et 5 000 habitants, 9 analyses par an sont réalisées mais seuls les nitrates sont recherchés et pas les pesticides. Une seule analyse complète est réalisée chaque année pour ces zones, elle comprend un test pour les pesticides.

En plus, tous les pesticides ne sont pas compris dans les tests de détection. Pourtant, ces zones sont sensibles, surtout en Alsace, étant donné que se sont des territoires fortement concernés par l’agriculture intensive. D’après l’ARS, « l’eau n’est pas toujours dans les limites de potabilité. »

Selon Bernard Legube, « on peut arriver dans des situations où, au moment du test, des populations ont bu de l’eau dont les concentrations en pesticides sont au dessus des seuils de toxicité depuis des mois, et dans ces cas, le mal est déjà fait ». De plus, d’après Hervé Chrétien, tous les pesticides ne sont pas recherchés partout et il est possible que certaines molécules soient présentes au delà des seuils de potabilité mais qu’elles ne soient pas recherchées par les tests.

Dans le Bas-Rhin, aucun traitement spécifique des pesticides

Dans les cas où une pollution de l’eau a bien été détectée, Hervé Chrétien, de l’ARS, explique que des traitements de l’eau sont appliqués :

« Si nous mettons en évidence la présence de nitrates ou de pesticides dans des quantités qui dépassent les seuils de potabilité, évidemment, nous mettons en place des traitements de l’eau sur les zones de captage concernées. Nous diluons l’eau récupérée avec de l’eau plus pure, qui provient d’un autre site de captage ou nous utilisons des charbons actifs qui retiennent les pesticides. »

Ces traitements sont fiables d’après Bernard Legube. Les charbons actifs sont d’excellents filtres qui attachent tous les pesticides. D’après lui, le problème « c’est qu’on ne sait pas toujours où traiter, parce qu’on ne sait pas toujours où il y a des pesticides, vu le grand intervalle de temps entre les prélèvements et le fait que tous les pesticides ne sont pas recherchés. » Dans le Bas-Rhin, aucune infrastructure de traitement physico-chimique n’existe. Les seuls traitements réalisés sont la désinfection bactérienne par le chlore et la dilution avec une eau plus pure. La qualité de l’eau au niveau des sites de captages est conforme aux normes de qualité en vigueur, d’après les tests de l’ARS.

Hervé Chrétien explique que “la liste des molécules recherchées est en constante évolution, il y en a une infinité ». Il est possible que des molécules issues d’intrants agricoles encore méconnues échappent complètement aux prélèvements et se retrouvent dans l’eau potable.

Bernard Legube soutient également ce postulat :

« Les pesticides se dégradent en métabolites, et pour connaitre toutes les molécules dérivées d’un seul pesticide, il faut à chaque fois au moins une thèse, il y a plein de voies de dégradations différentes. Pour certains pesticides comme les organochlorés, les métabolites sont justement plus dangereux que les éléments initialement répandus sur les champs. D’autres deviennent moins toxiques. »

En Alsace, l’usage des pesticides est encore très répandu. (Photo Aqua Mechanical / Flickr)

L’effet cocktail des pesticides mal mesuré

Une eau est déclarée potable en fonction des quantités de polluants détectés. Par exemple, pour le glyphosate, si la quantité détectée est de moins de 0,10 µg/L, l’eau est considérée comme propre à la consommation.

Les examens toxicologiques sont réalisés sur des souris, qui sont soumises à différentes doses de chaque élément testé. À partir du moment où un effet est observé, la dose correspondante est notée et par proportionnalité de taille d’organisme, on peut estimer la limite de toxicité chez un être humain. Le seuil fixé pour déterminer si l’eau est potable est inférieur à la limite de toxicité. Ces normes sont fixées internationalement. Evidemment, il n’y a aucun moyen d’être sûr à 100% qu’une molécule n’a pas plus d’effet sur l’organisme humain que sur l’organisme d’une souris.

Bernard Legube évoque la sureté de ces examens toxicologiques :

« On arrive à estimer les effets toxiques à court terme. Par contre pour les maladies du long terme, comme le diabète ou l’obésité, il est très difficile de conclure quelque chose avec les tests réalisés.

Ensuite, les doses limites à partir desquelles un effet toxique est observé sont estimées en général pour un seul pesticide pris indépendamment. Cependant, la plupart du temps, ce sont plusieurs pesticides en même temps qui sont ingérés par une personne. Leurs effets quand ils sont plusieurs et qu’ils agissent en synergie, ce qu’on appelle l’effet cocktail, ne sont pas étudiés. Justement, il a déjà été prouvé que certains perturbateurs endocriniens ont une toxicité bien plus importante lorsqu’ils agissent en synergie. Pour les pesticides, il y a très peu d’informations à ce sujet, on n’a pas assez de recul. »

En réalité, une étude dont il est question sur le site internet de l’INRA témoigne d’un effet cocktail observé avec des pesticides. Elle a été réalisée sur cinq pesticides que l’on retrouve régulièrement dans l’alimentation humaine. Cette recherche prouve que ces pesticides deviennent plus toxiques lorsqu’ils sont plusieurs. Indépendamment des autres, la plus toxique de ces molécules provoque des effets à partir de 4 micro-molaires. Le mélange de molécules est toxique dés 3 micro-molaires, ce qui correspond à 0,6 micro-molaires de chaque composé.

À Strasbourg, les intrants agricoles qui sont testés sont toujours présents dans des quantités inférieures aux seuils de toxicité. Toujours est-il que quatre pesticides différents, et possiblement certains dérivés encore inconnus, sont présents dans l’eau potable strasbourgeoise, avec toutes les incertitudes au sujet des « effets cocktails » que cela implique.


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