
Alors que la semaine de la presse approche (du 25 au 30 mars), avec pour but de « favoriser la rencontre entre le monde éducatif et les professionnels des médias et de développer chez les élèves une attitude critique et réfléchie vis à vis de l’information », penchons-nous un peu sur ce que peut être « l’éducation aux médias ».
L’éducation aux médias fait partie très officiellement des programmes d’enseignement, de la maternelle au lycée. Si l’on en doutait, le site du Clemi (Centre de Liaison de l’Enseignement et des Médias d’Information) recense avec exhaustivité toutes les possibilités liées à cette approche pédagogique. Parmi les finalités de cet enseignement on trouve « la formation du citoyen », « la formation du jugement et de l’esprit critique », « le développement d’une attitude autonome et responsable, notamment en matière de recherche d’information et de documentation ». C’est beau ! Mais est-ce bon ?
Prenons par exemple le « choc ». Mais si, vous savez bien, « le » choc ! Ne me dites pas que vous avez déjà oublié ! Ce n’est pas si ancien que ça ! La liberté du blogueur consiste précisément à ne pas être prisonnier de l’actualité, cette urgence du présent qu’on aura oubliée demain ! Replongeons-nous à froid dans l’actualité brûlante d’hier.
Alors, on nous l’a annoncé ce « choc », on nous l’a mitonné pendant des jours et des jours sur toutes les ondes, de France Culture à BFM, de France Inter à Europe 1, il nous le fallait ce choc, qu’on se réveille, qu’on redémarre, qu’on se relance, hardi petit, un bon coup de fouet pour reprendre le rythme. Aucun doute là-dessus ! Un choc ! Un choc ! Voilà que soudain, en quelques jours, disons en quelques semaines, la France découvre son problème : son manque de compétitivité ; et son remède : un choc de compétitivité… C’est tout simple, il suffisait d’y penser ! Ce bel unanimisme, ce consensus admirable alors que nous autres Gaulois sommes si prompts à nous déchirer, ne devait-il pas nous réjouir ?
Un débat d’experts dans le meilleur des cas
Dans le meilleur des cas, un débat d’experts va avoir lieu. Ah ! Enfin une parole qui fait autorité. Le journaliste s’efface, range ses fiches maigrelettes. Écoutons un peu, formons notre jugement, forgeons-nous une opinion.
- Le premier économiste : Le travail coûte trop cher, il faut baisser les charges, limiter les salaires !
- Le deuxième économiste : Il ne faut pas baisser le pouvoir d’achat en période de crise !
- Le premier économiste : Il faut une politique de l’offre !
- Le deuxième économiste : Il faut une politique de la demande !
- Le premier économiste : Les entreprises sont créatrices d’emplois !
- Le deuxième économiste : Pas si elles n’ont personne à qui vendre leurs produits !
- Le premier économiste : Schumpeter !
- Le deuxième économiste : Keynes !
La pluralité s’est exprimée. Ce n’est pas de l’éducation aux médias qu’il faut, c’est des cours d’économie ! Bizarrement, les cours d’économie en seconde générale sont passés, avec la dernière réforme, de trois heures à une heure et demie par semaine.
Ecoutons maintenant sur LCP Public Sénat, Jean Eudes du Mesnil du Buisson, qui est interviewé sur les mesures prônées par le rapport Gallois (pdf) (on a gardé l’esprit du propos si ce n’est la lettre) :
- JEdMdB : Le coût du travail, il faut baisser le coût du travail, trop de charges…
- La journaliste : Mais parmi ces mesures…
- JEdMdB : Le coût du travail, il faut baisser le coût du travail, trop de charges…
- La journaliste : 35 mesures…
- JEdMdB : Il ne faut pas négliger le coût du travail, trop de charges…
D’accord, le travail coûte trop cher. Le travail coûte trop cher. Le travail coûte trop cher, le travail coûte trop cher !!! Amen ! Mais pourquoi aucun journaliste ne traduit-il jamais ce qui se cache derrière ce vocable, ne définit-il jamais ce que sont les cotisations sociales et leur apport, ne cherche-t-il à clarifier de quel travail on parle, dans quel type d’entreprise, de quelle taille, pour quel niveau de qualification, pour quel salaire ? Mais réaliser une interview de Jean Eudes du Mesnil du Buisson supposerait que le journaliste soit capable de décrypter un sermon libéral!
Voici maintenant Jean-Luc Mélenchon, qui affirme sur France info, mèche au vent :
« Ce qui coûte cher en France, c’est le coût du capital. On paye en France deux fois plus pour les dividendes aux actionnaires qu’on en paie pour les cotisations sociales. Est-ce que oui ou non ce fait est contestable ? »
Euh, quoi ? Est-ce contestable ? Ce qui ne l’est pas, c’est que ce n’est pas très clair ! Même si on n’a pas tout compris, en voilà un qui oppose le capital au travail. Le journaliste prend bien garde de lui demander un quelconque éclaircissement, sans même parler d’une objection. Mais bon, cerner ce genre d’enjeux, ce n’est pas de l’éducation aux médias, c’est de l’analyse de diatribe gauchiste. Tout ce que l’on trouve à lui répondre, c’est qu’il est « en forme ». Pour éclairer l’auditeur, on repassera.
Du « choc » au « pacte »
Et là, surprise ! Le « choc », ce choc qui nous faisait tous trembler d’émotion est devenu un « pacte ». Au début, on est un peu déçu. C’est moins énergique, moins galvanisant. Mais d’un autre côté « choc », ça faisait remède de cheval, et puis un « choc », ça fait « boum », ça peut faire mal, un « choc » ça évoque une rupture, alors qu’un « pacte », c’est la douceur même. C’est une promesse d’amour, c’est un chemin bordé de roses sans épines qui s’ouvre devant nous. C’est de la sémantique.
Et voilà. C’est fini ! Comment ça, c’est fini !? Ben oui, c’est fini, car qui se souciera dans deux semaines, deux mois ou deux ans de reparler ou de faire le bilan des réformes engagées aujourd’hui ? Quelqu’un se souvient-il des réformes engagées il y a deux ans et de leur effet ? Il fut un temps où l’on ne jurait que par le pouvoir d’achat. Jadis, on nous parlait de la croissance, peut-être même du chômage, des emplois-jeunes, de la défiscalisation des heures supplémentaires, de la crise déjà en 1929 ou 1970-80-90 je ne sais plus, je crois même me souvenir d’avoir dans le temps entendu parler de baisse des charges sur les bas salaires… avec quel effet sur le chômage ?
Quel bilan de toute cette belle activité politique dans les médias ? Bon, on est plus dans l’éducation à l’histoire ou à l’économie qu’aux médias (tiens, d’ailleurs, depuis la dernière réforme il n’y a plus d’histoire en Terminale S, elle reviendra en 2014 paraît-il). Alors aujourd’hui, c’est la compétitivité, mais on aura bien d’autres problèmes à l’avenir, enfin j’espère ! Et on pourra compter sur les médias pour oublier ceux d’aujourd’hui.
Éduquer les médias
Au final, est-ce qu’il ne faudrait pas éduquer les médias à informer avant d’éduquer les élèves aux médias ?
« L’éducation aux médias » affiche de nobles objectifs qui n’ont rien de contestable. France Renucci, directrice du Clemi, souhaite « que prospèrent des médias de qualité pour le public exigeant de demain, soucieux de pluralisme, formé aux pratiques de l’argumentation, à la réflexion sur l’éthique et à l’idée même de démocratie qui prend ainsi tout son sens ! ».
C’est louable. Mais quelle activité propose le Clemi ? Un concours de « Unes » ! Voilà qui est étrange. Les dépêches seront accessibles le 25 mars au soir et la une devra être bouclée le 26 à 16h. Ainsi, on met les élèves d’une classe dans la situation d’une rédaction de journal, pour les faire travailler dans l’urgence et produire une page accrocheuse. Bel exemple…
D’ailleurs, que trouve-t-on dans les manuels scolaires sur le sujet ? Une approche assez basique des supports médiatiques (qu’est-ce qu’une interview, un fait-divers…) mais aucune analyse critique des modes de production de l’information. Finalement, l’enseignant peut au minimum proposer une découverte de la presse écrite que les élèves réduisent le plus souvent aux journaux gratuits, feuilles dont la profondeur d’analyse est inversement proportionnelle aux nombre de publicités. Au mieux, un journal créé par les élèves est un vrai projet pédagogique (le Clemi organise également un concours de journaux –papiers ou blogs-) mais complexe à mettre en place.
Une élève me demanda un jour : « Est-ce qu’il pourrait n’y avoir rien à dire, qu’il ne se passe rien et donc rien à écrire dans le journal ? » Tiens c’est vrai ça, et si tout ça c’était du vent ? Après tout, est-ce qu’il se passe vraiment quelque chose ?
Merci pour cet article qui donne en effet à réfléchir. De mon côté je participe avec mes élèves (CE2 au CM2), selon les années, à la semaine de la presse à l'école car le CLEMI offre des outils et des pistes de travail fort pertinents. J'utilise les activités proposées par le CLEMI comme pistes de démarrage et je tente d'étoffer cela en ayant un objectif précis chaque fois. Cette année la thématique tourne autour de "l'image pour informer" ce qui m'a bien motivée pour tenter une nouvelle aventure dans l'éducation aux médias.
Pour en revenir au sujet de l'article je pense qu'il faut déjà très tôt éduquer les enfants aux médias ainsi qu'à toutes les autres formes de sources d' "informations" (Twitter etc.). Je déduis à la lecture de votre article que vous enseignez en lycée. Je pense qu'il est déjà trop tard pour changer les habitudes de lycéens lecteurs, auditeurs, spectateurs et internautes si un travail en amont n'a pas déjà été mené par les enseignants des écoles et des collèges.
J'ose croire que l'exigence des générations à venir quant à l'information permettra une amélioration des dérives actuelles et de cet insupportable phénomène CHOC-EXPERTS-PACTE.
Hier je suis tombée sur un échange à la radio entre quelques anciens rédacteurs en chef de radios/télé voire directeurs de chaines qui analysaient fort bien les dérives des chaines infos où l'on ne sait plus hiérarchiser les infos. Ce qui aboutit aujourd'hui à nous faire suivre en live sur un même niveau d'importance journalistique tout aussi bien 'une catastrophe mondiale qu'un papa qui ne fait pas grand chose en haut d'une grue!
Votre analyse d’un phénomène concret de l’information par les médias (le choc, les experts, le pacte...) est pertinente. Mais elle débouche sur une perplexité quant à l’éducation aux médias, et s’achève sur une queue de poisson (“se passe-t-il vraiment quelque chose ?”) que je ressens comme le désarroi du professeur, une sorte de renoncement.
Il faut prendre l’entonnoir dans le bon sens. Avant d’éduquer aux formes de l’information, il faut éduquer à l’histoire (dans leur contexte) des théories de la communication, pour toucher du doigt des concepts essentiels qui bousculent des visions du monde (ex.: nous ne sommes plus dans des relations de cause à effet), il faut raconter la sociologie de la communication (c’est curieux, c’est comme si des gars comme Cathelat n’avaient jamais existé), faire un tableau actuel du marketing de la communication (pour comprendre les “stratégies de communication”, les “plans médias”, les “éléments de langage” à travers leur fabrication)... J’en passe et des meilleures - car c’est passionnant.
En fait, c’est à l’homme communicant qu’il faut former. C’est en soi un projet d’éducation, ça n’a rien à voir avec des jeux de bac à sable (“Allez, on va imaginer la une du Libé de demain !”) avec lesquels on prend les gens pour ce qu’ils ne sont pas : des imbéciles.
En ce qui concerne le Clemi, je m’étonne comme vous de voir cet organisme avoir pour but (vous citez) “la formation du jugement et de l’esprit critique”, “le développement d’une attitude autonome et responsable”... etc.
Ce ne sont pas des objectifs valables, car ils sont irréalisables par celui qui les énonce, et donc invalides dans le cadre d'une stratégie ! (c’est pas avec 10 euros dans la poche qu’on va pouvoir faire le bonheur de l’humanité, hein, ma bonne dame...). C’est pas des objectifs, c’est de la littérature.
Alors, après, c’est normal que ça se barre dans tous les sens et qu’on finisse par faire la recette des carottes râpées tout en prétendant qu’on enseigne la cuisine.
Je peux comprendre votre désarroi, Monsieur Boum, mais l’autre soir sur Arte, il y avait le film Gandhi, que j’ai revu pour la troisième fois. J’adore le concept de “résistance ACTIVE non-violente”...
Quant à votre élève et sa question qui vous a scotché (fin de votre article), il fallait simplement répondre : “On ne peut pas ne pas communiquer”.
Bien respectueusement...