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L’Université débute son marathon électoral pour trouver un successeur à Alain Beretz

Comment succéder à Alain Beretz à la présidence de l’université de Strasbourg ? Pour les deux têtes de listes, Michel Deneken et Hélène Michel, il faut convaincre leurs pairs le 17 novembre, mais aussi les élus étudiants et du personnel au terme d’une élection en plusieurs temps, fort complexe.

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L’Université débute son marathon électoral pour trouver un successeur à Alain Beretz

La page Alain Beretz se tourne à l’Université de Strasbourg. Après 8 ans de présidence, soit depuis la fusion des trois universités, le voilà parti au ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur quelques mois avant la fin de son second mandat. Les statuts l’empêchaient de se représenter. Son premier vice-président pendant 8 ans, Michel Deneken, assure les trois mois d’intérim qui mènent aux élections de ce mois de novembre.

L’élection du président de l’Université c’est en fait six élections. Quatre pour désigner qui siège au conseil d’administration pour les différents composantes de l’Université. Une cinquième pour désigner cinq « personnalités extérieures » en plus des trois nommées (un représentant du CNRS, un de la Région Grand Est et un de l’Eurométropole, co-financeurs) et enfin un vote final pour le président par le conseil d’administration.

Un candidat et une candidate

Une certitude à ce stade, le futur président(e) sera soit Michel Deneken de la liste l’Université pour réussir, soit Hélène Michel de la liste Alternatives 2017, les deux candidats. Mais avant de désigner un président, il faudra donc dégager une une majorité de 15 sièges sur 28 – c’est-à-dire avant l’élection de personnalités extérieures – les trois personnes nommées ayant pour tradition de suivre la volonté des votants.

Il faudra donc trouver les soutiens parmi les enseignants chercheurs avec le statut de professeurs (collège A), les maîtres de conférence et assimilés (collège B) où la CFDT propose une liste à part, le personnel de l’administration (les BIATSS, trois listes en compétition), et les représentants étudiants. Dans chaque groupe, c’est une élection à part, avec des représentants élus à la proportionnels des voix avec prime au vainqueur.

Les personnalités extérieures sont supposées loyales à la coalition qui arrivera en tête, puisque élues individuellement par ces derniers le 1er décembre.

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Continuité, rapport de force

Pour résumer, Michel Deneken et sa liste incarnent une continuité par rapport à l’équipe en place. Sa candidature n’a pas été une surprise dans le milieu. Il était beaucoup apparu aux côtés ou à la place d’Alain Beretz les derniers mois. Mais Michel Deneken veut aussi se distinguer :

« Deux tiers des candidats sont nouveaux et la moitié des vice-présidences seront renouvelées. C’est un renouvellement générationnel et à travers la parité qui est une nouveauté. J’ai dirigé des équipes de recherche contrairement à Alain Beretz, ce qui n’est pas un défaut, mais qui fait que j’ai une approche différente sur l’articulation avec les directeurs de composante et des équipes. »

De l’autre côté, Hélène Michel est moins connue. Professeure des universités en sciences politique à Sciences Po Strasbourg, elle n’était pas élue dans l’opposition au conseil d’administration lors du mandat précédent. Au-delà des questions politiques, la liste mise aussi sur « l’usure du pouvoir de l’équipe en place » qui se serait « déconnectée » avec les années.

Hélène Michel (photo Alternatives 2017)
Hélène Michel (photo Alternatives 2017)

L’enseignante-chercheuse ne s’en cache pas, sa démarche est « moins syndicale, moins militante » que celle qui l’avait emporté dans le collège B en 2012, autour d’une alliance de syndicats. Plusieurs membres de ces organisations l’ont rejoint « à titre individuel » tandis que d’autres syndicats ont apporté leur soutien par la suite.

Un prêtre à la tête de l’Université

Alors qu’est-ce que l’élection strasbourgeoise a d’unique ? Sur la forme, le profil de Michel Deneken est un sujet malgré-lui. Ce prêtre catholique de 59 ans a d’abord enseigné à la face de langues, avant d’opter pour la théologie catholique et protestante, à savoir des études pluridisciplinaires sur le divin, la « Tradition vivante ». Cette faculté est unique en France car issue d’un accord entre le Saint-Siège et l’empire allemand sous Guillaume II, toujours conservé par l’État français par la suite.

Michel Deneken (Photos Claude Truong-Ngoc / Wikimedia
Michel Deneken (Photos Claude Truong-Ngoc / Wikimedia commons)

Michel Deneken ne prononce plus de messe, mais ce statut pose néanmoins question pour une partie des membres de l’université. Plusieurs communiqués, plus ou moins offensifs, ont abordé la question. Dans la revue Recherches de Science Religieuse, Michel Deneken détaille à la fin de l’année 2008 sa vision de la place de la théologie dans l’Unistra, fusionnée de trois universités en une.

Il écrit notamment que le théologien a désormais vocation à dialoguer avec toutes les sciences « à condition qu’il se fasse expert intelligible et non apologète aveugle. » Une position que ne partagent pas tous les enseignants-chercheurs : « la remise en cause des hypothèses fait partie de la science, ce qui n’est pas le cas en théologie qui cherche à se justifier comme une science », explique l’un d’eux.

Le président de la section strasbourgeoise du syndicat étudiant l’Unef Colin Jude s’interroge :

« Comment va-t-il s’exprimer au nom de l’université sur la science ou décider du fléchage des crédits tout en ayant une allégeance personnelle avec le Vatican ? »

Habitué à ces critiques, Michel Deneken veut être jugé sur sa politique :

« Si je traverse le Rhin, je suis dans la normalité. Je suis soutenu par des prix Nobel ou des médecins. Si ces personnes pensaient qu’il y avait un risque pour la science, ils ne le feraient pas. Notre université obéit à un cadre légal et on ne va pas imposer la prière… »

Pour lui, ce sont ceux qui l’attaquent sur ce point qui sont « en position d’exclusion ». Il met en avant les possibilités d’études hébraïques ou une nouvelle licence d’histoire sur les mondes musulmans que permet l’Unistra. Pour le nouveau président de l’association étudiante l’AFGES, Bastien Barberio, ce statut n’est au contraire pas un sujet de campagne :

« Si c’est la seule chose à lui reprocher, c’est plutôt une bonne chose pour lui. Cela n’empêche pas de gérer une université. C’est ce qu’il propose pour la vie étudiante qui sera important. »

Nul doute en tout cas que s’il venait à être élu, Michel Deneken sera très scruté sur ce point visiblement sensible. Quant à la liste Alternatives 2017 elle n’en fait pas un argument dans ses documents de campagne, bien que sa description pointe subtilement une tradition « humaniste, laïque et scientifique » ainsi que  « pluridisciplinaire et transdisciplinaire ».

Questionnée lors d’un point presse, Héléne Michel dit être « interpellée sur ce point », sans vraiment trancher de position :

« La question n’est pas anodine dans un contexte où la laïcité est un sujet. Quelle sera la réputation nationale et internationale de l’Université dans ces conditions ? Cela le concerne lui. »

« Il n’est pas dégradant de poser la question dans une université, où existe une culture de la remise en question de la vérité », appuie William Gasparini, professeur en sciences sociales du sport et aussi candidat, en réponse à ce qu’avait pu déclarer Alain Beretz sur le sujet.

Les représentants étudiants pas encore positionnés

Comme pour le personnel, les étudiants font avant tout campagne sur leurs positions et méthodes de travail, sachant qu’il y a d’autres élections, comme celles aux CROUS mardi 15 décembre. Les liens de l’AFGES avec l’équipe Beretz, association où il a passé une partie de sa jeunesse ont été très bons. Des élus AFGES sont successivement devenus vice-présidents en charge de la vie universitaire.

Une situation qui fait dire au syndicat UNEF que l’association AFGES est parfois trop proche de la direction et a trop à perdre (entres autres la gestion de cafétérias) à s’opposer fortement en faveur les étudiants. « On a aussi su s’opposer sur le budget ou le contingentement des filières qui est actuellement bloqué en commission formation et vie universitaire grâce à nos voix et ceux qu’on a su convaincre », répond Bastien Barberio.

Les rapports avec l’UNEF ont quant à eux été plus tendus. Le syndicat étudiant a notamment attaqué au tribunal administratif et eu gain de cause sur l’absence d’examens de rattrapages à la fac de droit. Des épreuves avaient été dépêchées dans un grand cafouillage (QCM, dates données trop tard…).

Pas de prise de position, enjeu tactique

Pour l’AFGES, l’UNEF ou le syndicat catalogué à droite l’UNI, pas d’annonce de soutien avant le vote, surtout que la présidence n’est pas un thème mobilisateur. Pour Bastien Barberio la question fait encore débat à l’AFGES :

« Nous avons eu des contacts avec les deux listes qui ont été positifs. La question devra encore être tranchée en interne et c’est plus indécis qu’en 2012. »

Ne pas prendre position a aussi une dimension tactique. Si les étudiants sont en mesure de faire pencher la balance comme en 2012, il est plus facile d’obtenir des gages de la future équipe dirigeante. Avec un score identique aux dernières élection, soit 74% des voix l’AFGES raflerait 5 des 6 sièges. Une hégémonie que l’UNEF espère adoucir voire rééquilibrer. Premier élément de réponse sur ce(s) rapport(s) de force après les élections par le personnel jeudi 17 novembre.


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