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Emmenées par Ballade, les mamies connaissent la chanson

L’association Ballade anime des ateliers musicothérapie dans une résidence pour personnes âgées de Cronenbourg. Reportage à la rencontre de Georgette, Liliane ou Monique qui chantent aussi bien Mon amant de Saint-Jean que des refrains ukrainiens et se moquent des barrières de la langue et de l’âge. 

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Emmenées par Ballade, les mamies connaissent la chanson

Des notes de guitare s’échappent de la salle d’activités au premier étage de cette résidence de services Abrapa du quartier de Cronenbourg. On a quitté l’agitation de début d’après-midi de la rue Langevin, pour rejoindre une ambiance plus apaisée, les habituées étaient toutes à l’heure et même en avance pour le rendez-vous musical et hebdomadaire animé par l’association Ballade. 

On reconnaît les mesures de Jeux interdits. Jean-Claude, Le guitariste a un chapeau et la plaisanterie qui sort aussi facilement que les accords de sa gratte : « J’ai appris cette musique pour draguer », avoue-t-il à l’assistance qui rigole. On verra qu’au cours de cette séance, l’amour est souvent évoqué : ce n’est pas parce que les dames présentes ont plus de 80 ans pour certaines qu’elles ont lâché la partie. 

Cette semaine, Mariana a décidé de faire apprendre une chanson de Luciane Delyle Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Tous les lundis depuis l’été 2021, l’association Ballade vient animer le début d’après-midi de Georgette, Liliane, Christiane, Jeanine et Monique, résidentes dans cet établissement pour personnes âgées géré par l’Abrapa. Aujourd’hui l’assemblée ne compte que des femmes, mais parfois des messieurs se joignent à elles.  Aux côtés de Jean-Claude Chojcan, musicien issu du conservatoire, qui a créée la structure il y a 20 ans, Yuliia et Marina, sont là pour faire chanter. Les deux jeunes filles sont ukrainiennes, arrivées à Strasbourg il y a presque 3 ans lors d’un volontariat européen. L’association née à Cronenbourg a toujours eu des liens avec ce pays à l’Est de l’Europe, aujourd’hui déchiré par la guerre. Depuis l’invasion russe fin février, ils se sont encore resserrés. Antonina, 20 ans, de Lviv, a rejoint Strasbourg il y a trois semaines : sa venue pour un service européen, a été accélérée en raison du conflit. 

Chanter en français, en espagnol et en ukrainien

Christiane, 71 ans, a reconnu la musique et se demande si elle ne vient pas d’un film avec Catherine Deneuve, ou avec « une autre actrice, blonde et belle ». Jean-Claude embraye sur l’histoire de cet air mythique composé par un musicien espagnol, Narciso Yepes, et qui a donné envie à des hordes d’ados des années 1960 d’apprendre la guitare. Intervention de Marina, 22 ans : « Mais c’est une musique qui existe chez nous aussi ». Les jeunes Ukrainiennes se lancent dans un refrain : la parenté est bien là.

Frontières et générations ne signifient plus grand chose ici. Le slogan de Ballade, « Des musiques d’ici et des ailleurs qui vivent ici », se moque aussi des différences d’âge. L’association est habituée aux ateliers à destination des enfants et à mettre le feu à la scène, en France, comme lors de tournées européennes, mais dans cette résidence, les musiciens et chanteuses semblent tout aussi à leur aise. Antonina accompagne la guitare avec un ukulélé, Yuliia lui traduit les échanges du français à l’ukrainien. 

Les bienfaits de la musique et du chant sont reconnus et conseillés dans les établissements qui accueillent les personnes âgées. Plus qu’un passe temps, l’activité offre aussi un contact social, facilite les échanges et permet d’exercer la mémoire ou de raviver des souvenirs et moments heureux.

Yuliia aide à retrouver les paroles des chansons Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Les mamies se sont apprêtées pour cette après-midi. Mises en plis soignées, bijoux et foulards élégants sont de sortie. Elles ont aussi à la main un tas de feuilles photocopiées avec des paroles en gros caractères. Des chansons du répertoire français : Piaf, Trenet… mais aussi des morceaux espagnols et ukrainiens, comme « Kolomyka »,  qu’elles commencent à bien connaître ou cet autre refrain qui raconte l’histoire d’une fille qui donne rendez-vous à son amoureux, lundi, mardi, mercredi, etc. et ne vient jamais. Georgette, 84 ans, suit attentivement les paroles transcrites en français avec une loupe.

Chanter en ukrainien

Les jeunes filles font répéter lentement et les dames entonnent avec application et enthousiasme les mots étrangers, l’une d’elle demande « on peut répéter le deuxième couplet ? Il est un peu dur. » À chaque fois, les jeunes Ukrainiennes traduisent et racontent et des discussions suivent. Monique, 67 ans, apprécie vraiment cette activité : 

« Je faisais partie d’une chorale à Schiltigheim, j’aime bien chanter en groupe, je me laisse aller et je participe aussi. C’est un peu difficile les chansons en ukrainien mais quand on lit, ça va. C’est bien aussi de les entendre chanter, les filles. » 

Jean-Claude Chojcan, musicien et professeur au conservatoire, a créé l’association Ballade il y a 20 ans Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

On passe à Mon amant de Saint Jean, puis La vie en rose. Marina et Yuliia, se lèvent pour aider à trouver les paroles parmi les polycopiés. Liliane, 88 ans, n’en a pas besoin, elle connaît couplets et le refrain par cœur. Elle aime les chansons d’amour mais n’aurait rien contre des marches militaires, elle en a souvent écouté avec son défunt époux, militaire de carrière.

La plupart d’entre elles ont perdu leur mari, et elles en parlent souvent. Comme Jeannine qui avait rencontré l’heureux élu à Strasbourg « en bossant pas en me tournant les pouces hein », elle avait rejoint la grande ville pour échapper à la vie étroite d’un petit village dont elle ne veut même pas dire le nom : « dès que j’ai pu, je suis partie : Taiaut, Taiaut ! » 

Sourires et yeux qui brillent

Yuliia, 26 ans, a commencé à animer ces ateliers de musicothérapie en juin. Elle aime partager les mélodies de son pays et d’autres chansons qu’elle a apprises depuis qu’elle a rejoint Ballade, dans des langues qu’elle ne parlait pas. Il n’est pas rare de l’entendre chanter en ukrainien mais aussi en espagnol et en albanais. Ambiance Eurovision à Cronenbourg :

« Ça me plaît de voir les sourires et les yeux qui brillent. Et puis je crois qu’elles aiment vraiment ce que l’on fait ensemble. À Noël, elles nous ont offert un concert de toutes les chansons que nous avons apprises ensemble. Elles s’étaient faites si élégantes, avait appris les paroles, c’était très émouvant. »

Yuliia, 26 ans, originaire de Tcherkassy, au centre de l’Ukraine est aujourd’hui salariée de l’association Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Ces plages musicales sont aussi l’occasion d’échanges, émouvants et drôle, insiste Marina, 22 ans, qui mesure ce que ces visites, au delà des mélodies, représentent pour des personnes isolées : 

« C’est différent des cours de chant que j’ai l’habitude de donner. Ce qui me plaît, c’est l’énorme partage entre nous, j’aime bien leur demander leur avis, leur poser des questions. Par exemple, elles m’ont demandé avec qui je passerai la Saint-Valentin. Quand j’ai répondu mon mari, elles m’ont dit en riant : mais c’est dommage ! Et puis on a commencé à parler de la vie de couple. » 

Aujourd’hui Marina a décidé de faire apprendre Les quais de la Seine de Lucienne Delyle. Les violons et la voix de gouaille aux R roulés s’élèvent du smartphone, les jeunes filles battent la mesure de ce morceau composé en 1947. « Elle est jolie la mélodie », lance Christiane. Aucune des pensionnaires ne connaissait cette chanson de l’interprète du tube planétaire mon Amant de Saint-Jean. Elles l’apprendront au cours des prochaines semaines. Georgette a aussi fait partie dune chorale à Marlenheim, elle dit goûter à cet atelier. Assise juste à côté de Jean-Claude le guitariste, elle échange des blagues avec lui.

Mariana, 22 ans, ici avec Georgette, vient de la ville ukrainienne de Soumy située à l’Est du pays. Elle est engagée avec Ballade depuis près de 3 ans Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Quand on leur demande de qui elle aimerait fredonner les chansons, un nom fuse : « Franck Mickaël ! », l’interprète de Toutes les femmes sont belles, est très apprécié ici. Le crooner belge d’origine italienne a construit sa carrière sur des textes qui célèbrent l’amour, la séduction, la romance et des refrains lancinants. Georgette préfère chanter en français mais sourit : 

« Toutes les musiques sont belles quand elles sont bien jouées. Édith Piaf, c’est de notre temps, c’est sûr que c’est pas récent…  Ici L’ambiance est bonne, ça permet de rompre l’isolement. »

L’atelier le plus suivi

Audrey Muckensturm, responsable de la résidence, qui accueille 30 résidents dans des appartements indépendants mais avec salle, assistance et services communs, explique la genèse de cet atelier :

« On aime bien penser à des activités propices aux échanges. La musique et le chant font partie des demandes qui nous avaient été faites et c’est l’atelier le plus fréquenté. Parfois, Ballade vient aussi avec des instruments, elles apprécient de pouvoir essayer d’en jouer. »

Les ateliers musicothérapie ont été demandés par les résident.es Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Récemment la résidence s’est préparée pour l’accueil de familles ukrainiennes, 120 personnes qui fuient le conflit devraient être accueillies dans les prochaines semaines, surtout des familles avec enfants. Certaines sont déjà arrivées, comme dans l’appartement juste à côté de celui de Georgette ; une maman s’est installée avec son garçon. Elle les a vus par le balcon, a échangé des signes et des sourires.

L’atelier chant se termine, mais avant de regagner sa chambre, Georgette avait encore quelque chose à demander à Marina. Entre ses mains un papier sur lequel est écrit un message en ukrainien et en français. Elle veut le montrer à sa voisine quand elle l’apercevra sur son balcon. Dessus il est écrit : « Est-ce que vous voulez que nous allions au parc ensemble ? C’est juste à côté. Il y a des jeux pour les enfants. »


#Cronenbourg

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