Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

#Enjeux 2020 – Le logement, comment Lyon, Bordeaux et Strasbourg poussent-ils les murs ?

#Enjeux2020 – En vue des élections municipales de mars 2020, les trois Rue89 locaux, Lyon, Bordeaux et Strasbourg proposent des regards croisés sur des problèmes communs à ces trois métropoles. Deuxième épisode, les constructions de logements neufs, parfois décriées sous le nom de « bétonisation ».

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#Enjeux 2020 – Le logement, comment Lyon, Bordeaux et Strasbourg poussent-ils les murs ?

Lyon se parisianise

Lyon ne connaît pas (encore) une crise du logement de l’ampleur de celle de la région parisienne, mais se loger devient de plus en plus compliqué, surtout à Lyon et Villeurbanne.

Il n’a jamais été aussi cher d’y acheter un logement : le prix du mètre-carré atteint désormais 5 440€ dans l’ancien.

Les moins aisés poussés en périphérie par les prix de l’immobilier

Et quand les prix restent identiques pour des appartements neufs, ce sont les surfaces qui rétrécissent. Une tendance favorisée par la loi Pinel qui permet une défiscalisation jusqu’à 300 000 euros, soit le prix d’un T2 à Lyon et de certains T3. Les familles partent donc en périphérie, où les loyers sont plus accessibles et les logements plus grands. Ce qui rajoute des trajets domicile-travail, de quoi grever malgré tout leur budget comme l’ont rappelé les Gilets jaunes.

À la location aussi, la situation est également préoccupante. A en croire les chiffres de l’Observatoire local des loyers de l’agglomération lyonnaise, le loyer médian au m² à Lyon a augmenté de 0,3€, passant de 11,9€/m² en 2016 à 12,2€/m² en 2018, et jusqu’à +0,7 €/m² sur la même période dans le centre-ville. A l’échelle de la métropole, le prix au m² a également augmenté, mais plus légèrement (11,4€/m² depuis 2017).

Le bonheur d’Airbnb

Depuis 2017, le volume de logements mis en vente sur Lyon et Villeurbanne a diminué de 20% d’après la chambre des notaires du Rhône. Aujourd’hui, la demande est donc bien supérieure à cette offre réduite.

D’après les chiffres de l’Observatoire Airbnb repris par la Métropole de Lyon, il y avait sur la plate-forme de logements pas moins de 11 211 annonces de locations (chiffres arrêtés à fin mai 2019). Nombre d’entre elles, hors de prix, se trouvant dans les quartiers touristiques : la Presqu’île, le Vieux Lyon ou encore la Croix-Rousse.

À Lyon, pour louer sa résidence principale plus de 120 nuitées par an, ou pour louer un bien qui n’est pas une résidence principale, il faut respecter plusieurs conditions : remplir un formulaire, remplacer le bien par un bien similaire sur le marché immobilier s’il est dans le centre-ville… Mais d’après la Métropole de Lyon, seules 15,05% des annonces d’Airbnb respectent la réglementation.

Logements sociaux : des temps d’attente interminables

Quant aux logements sociaux dont peuvent bénéficier les ménages les plus précaires, il n’y en a pas assez. Plus de 11 000 logements sociaux sont attribués chaque année et 15 545 ont été financés entre 2015 et 2018 d’après les chiffres de la Métropole de Lyon. Mais la file d’attente ne cesse de s’allonger, de 50 000 demandes en 2015 à 77 000 en 2018 (+50%).

La commune de Lyon a jusqu’à 2025 pour atteindre l’objectif imposé de 25%, alors qu’elle n’est qu’à 19,77% (23,98% dans l’ensemble de la métropole).

Des premières petites mesures pour aider à accéder à la propriété

En 2019, la Métropole a adopté la création d’un office foncier solidaire (OFS), baptisé Orsol. L’OFS prendrait en charge le coût du foncier pour les personnes accédant à la propriété pour la première fois, ne leur laissant à payer que le coût du bâti. Ce qui devrait réduire de 20 à 30% le prix d’achat à en croire Michel le Faou, le vice-président de la Métropole en charge de l’urbanisme et du logement. Chaque année, 900 logements pourraient bénéficier du dispositif.

Bordeaux ne se rêve plus millionnaire

Des nouveaux logements, stop ou encore ? Bordeaux Métropole a couru pendant des années après le million d’habitant, pour des raisons de prestige ou par volonté d’éviter l’étalement urbain, en concentrant dans l’agglo les nouveaux arrivants en Gironde. L’objectif était fixé pour 2030 alors que la population actuelle est de 750 000 Bordelais.

Alain Juppé parti, les candidats à sa succession prennent aujourd’hui des distances avec cet objectif, synonyme à tort ou raison de dégradation de la qualité de vie : embouteillages monstrueux, manque de places de stationnement, écoles saturées, flambée des prix des logements…

Les maires des principales communes de la métropole mettent le frein sur les permis de construire. Le candidat Vincent Feltesse (ex-PS) parle de moratoire sur les nouveaux quartiers en construction (Euratlantique, Brazza, Bastide Niel…) si les services publics et la qualité de vie n’y sont pas au rendez-vous. Il avait lancé un plan de densification à la métropole entre 2008 et 2014. Thomas Cazenave (La République en Marche) suggère lui un audit de ces opérations d’aménagement, tandis que Pierre Hurmic et les écologistes veulent stopper l’artificialisation des sols, et donner la priorité à la rénovation et/ou la réquisition des logements vides.

Paradoxe criant

Le paradoxe est pourtant criant, limite embarrassant : doit-on cesser de bâtir dans la métropole alors que celle-ci traverse des crises du logement étudiant et de l’hébergement d’urgence, illustrée par la récente série d’expulsions de squats ou la polémique sur les refus du 115 ? Et alors que les prix exigés pour habiter ont éloigné les Girondins de la métropole, nourrissant la colère des Gilets jaunes ?

Malgré un nombre de mise en chantier record – plus de 9000 logements par an dans la métropole depuis 2016, dont 2000 à Bordeaux -, se loger n’a jamais coûté aussi cher à Bordeaux : les loyers ont augmenté de 16% entre 2010 et 2018, bien plus que l’inflation ; les prix à l’achat ont quasiment doublé – de moins de 3000 à près de 5000 euros le m² en moyenne, portés par la spéculation immobilière liée à l’arrivée de la LGV Paris-Bordeaux en 2017, et la forte l’attractivité de la ville.

Airbnb, encadrement de loyers et société foncière

La Ville n’exclut donc pas de renforcer l’encadrement des locations saisonnières, qui ont détourné du marché traditionnel plus de 8000 logements, selon l’Observatoire national Airbnb, créé par le conseiller municipal bordelais Matthieu Rouveyre (PS). Ce dernier préconise de baisser de 120 à 60 nuitées proposées à la location saisonnière pour les particuliers.

Un office foncier solidaire (OFS) est déjà en cours de création par plusieurs bailleurs sociaux, avec la participation à sa gouvernance de Bordeaux Métropole.  Un tel organisme, récemment lancé à Lyon, achète des terrains dont il reste ensuite propriétaire, percevant ensuite un loyer (via un bail réel solidaire) des propriétaires des bâtiments qui y sont construits ; cela prévient par la suite toute tentative de spéculation foncière.

Côté logement sociaux, Bordeaux est encore loin de l’objectif de 25% en 2015 ( 18,49% actuellement). Le candidat « En Marche » juge « peu réaliste » de l’atteindre, tandis que l’équipe en place affirme au contraire que cet objectif sera atteint, grâce à un rythme de construction supérieur à 1000 logements sociaux par an. Insuffisant toutefois pour répondre au besoin : 41 460 demandes de logements sociaux ont été enregistrées en 2018, soit 13% de plus qu’en 2016, pour seulement 8000 satisfaites…

D’autres différences fondamentales s’observent entre les candidats à Bordeaux sur la question de l’encadrement des loyers. Les socialistes demandent à la mairie d’expérimenter. Les loyers moyens se situent « autour de 15,5 €/m² (soit 421 € par mois en moyenne) pour les T1 dans les zones les plus chères et peuvent aller au-delà de 20 €/m². Un T3 se loue en moyenne à 730 € par mois. », reconnait un diagnostic de la Ville sur le secteur du logement qui parlent de montants « relativement élevés au regard des revenus ».

Pour l’instant, la droite aux commandes Nicolas Florian, comme Patrick Bobet, président de la métropole, refusent de tester cet encadrement. A l’instar d’Alain Juppé qui avait une première fois enterré cette idée, ils invoquent la « stabilité » des loyers dans l’agglomération ces dernières années, et l’encadrement des loyers à la relocation.

Strasbourg construit plus qu’en 1995

En 1995, Strasbourg construisait plus de 3 000 logements par an. Un niveau qu’a retrouvé – et même dépassé – l’Eurométropole depuis 2009 après une grosse décennie autour de 1 900 en moyenne, soit le seuil pour maintenir une population identique. La majorité socialiste revenue aux affaires en 2008 après une parenthèse de la droite (2001-2008) a insisté sur un « rattrapage » du rythme de constructions. La moyenne s’élève à 3 400 logements construits par an, une majorité de 2-pièces et 3-pièces (61%) pour 2 ou 3 occupants et très prisés des investisseurs pour leurs dispositifs de défiscalisation. Ce nombre de livraisons excède les gains de population sur la même période (2 980 habitants par an entre 2011 et 2016). Cet écart s’explique surtout par la diminution continue du nombre d’occupants dans chaque maison et appartement (2,12 en 2015 contre 2,98 en 1968). Depuis 2011, la métropole s’est remise à accueillir des familles (+143 par an) alors qu’elle en perdait plusieurs centaines chaque année depuis 1999.

Le deuxième mandat en 2014-2020 a gardé ce rythme et cet objectif. Principal changement, une meilleure implication des communes de première et deuxième couronne dans la répartition des constructions et notamment des logements sociaux. La conséquence d’une coalition gauche-droite inédite à la métropole, qui a impliqué les maires des alentours. Concernant le parc de logements sociaux, la proportion s’élève désormais à 30% à Strasbourg contre 19% 2008 et 25% à l’échelle des 33 communes de l’agglomération. La loi impose un taux de 25%. Le « rattrapage » n’a pas permis d’enrayer le nombre de demandeurs, de 12 000 en 2008 à 24 000 en 2020, sur fond d’augmentation de la pauvreté : Strasbourg est devenue la ville avec le 3è plus fort taux de pauvreté, soit un quart de la population et métropole la plus inégalitaire depuis la fusion Aix-Marseille.

Globalement, la politique a limité une potentielle « flambée des prix » comme dans d’autres grandes villes. Les prix médians dans l’ancien étant autour de 2 500€ le mètre-carré, il n’y a guère de barre symbolique qui émerge dans le débat politique, comme les 10 000€ à Paris. Dans le neuf, cette limitation est est un peu moins visible. Les prix ont augmenté de 19% entre 2010 et 2018, soit 2,5 fois l’inflation, à plus de 3 500€ le mètre-carré. Sur une opération de luxe près du centre-ville, la rénovation d’un ancien Hôtel des Postes, un prix a plus de 9 000€/m² est tout de même affiché pour un 6-pièces et les autres appartements à plus de 6 000€. Strasbourg n’a pas, comme d’autres grandes villes, de « société foncière » qui permet d’acheter des terrains pour que leurs prix ne soient pas répercutés dans les ventes. En cette fin 2019, elle vient de voter des prises de participation dans une société de ce type.

Des loyers dans la fourchette basse

Concernant les loyers, la modération est plus visible. « En 3 ans, les loyers privés ont augmenté de 0,3% pour rester à un prix médian 10€/m², ce qui reste une moyenne plutôt basse en France. Mais nous restons un marché tendu. En juillet, il n’y avait plus aucun studio en location, alors que 41% des foyers sont occupés par une seule personne », résume Syamak Agha Babaei le vice-président de l’Eurométropole en charge du logement, un ancien du PS qui sera sur la liste des écologistes.

Les différents candidats s’accordent à dire que le Plan local d’urbanisme de fin 2016, même quand ils l’ont voté, est « caduque ». Pour autant, aucune liste ne s’engage à réduire ce fameux objectif de 3 000 logements par an jusqu’à 2030, un seuil de 45 000 logements qui permettrait un accroissement de la population (avec plus 27 000 logements en 2030, l’agglomération ne pourrait que maintenir son nombre d’habitants).

Plusieurs mécanismes successifs ont tenté « d’encadrer » les offres de location de meublés type AirBnb, par exemple en limitant à deux appartements par individu, en exigeant une immatriculation et désormais l’accord de la co-propriété pour « un changement d’usage ». Mais cela n’enraye pas la dynamique des locations saisonnières. On estime à 400 logements « perdus » chaque année à Strasbourg et environ 10% le nombre de logements « perdus » dans le centre-ville. Les élus assurent vouloir dissocier la location ponctuelle de son logement d’habitation et les locations à l’année.


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