
Le tribunal de Strasbourg, sur le fondement de lois alléguées comme républicaines, a confirmé le 14 mai dernier l’illégalité de l’ouverture dominicale de certains commerces à Strasbourg. Le fondement de ces lois ou statuts locaux est-il véritablement républicain ou n’est-il pas de nature religieuse ? En ce cas, l’interdiction de travailler le dimanche ne pourrait-elle constituer, comme l’ont proclamé certains commerçants attaqués, une atteinte à leur liberté de conscience ?
Prolégomènes
J’ai tout d’abord conscience d’avoir été absent bien trop longtemps. Et j’en miaule d’excuses auprès de vous, Strasbourgeoises et Strasbourgeois (et les autres).
Ceci n’a, cependant, rien à voir avec ce qui suit.
Le Dimanche, tu te reposeras car telle est la loi
Le 14 mai, Le tribunal de grande instance de Strasbourg, saisi en référé rendait 4 ordonnances dans lesquelles il confirmait l’interdiction du travail dominical pour des commerces de denrées alimentaires (voir l’article de Rue89 Strasbourg). Il avait été saisi par 3 inspecteurs du travail agissant contre plusieurs supérettes ouvertes le dimanche et jours fériés à Strasbourg.
Je ne m’étendrai pas sur la motivation du tribunal qui, quoi qu’on pense de la décision, est fondée en droit. Le tribunal a considéré que si le code du travail posait des dérogations au repos dominical, l’arrêté du 13 novembre 1936 pris par la Mairie de Strasbourg empêchait l’application de ces dérogations à Strasbourg s’agissant de la vente de denrées alimentaires. Ce qui laisse d’ailleurs à supposer que le travail dominical pourrait être autorisé dans d’autres villes alsaciennes ne disposant pas d’un tel arrêté restrictif. Mais, c’est un autre sujet.
Quand bien même le principe selon lequel une commune a le droit de statuer sur le repos dominical a été confirmé par la jurisprudence tant française qu’européenne, la question qui se pose à mon sens est la suivante : au nom de quel(s) principe(s) l’a-t-elle ou le fait-elle ?
Qu’est-ce qui a pu pousser la mairie de Strasbourg en 1917 et 1936 à imposer le repos dominical sous de telles conditions ?
Le poids du religieux
On ne saurait trop garder en tête qu’en 1917, Strasbourg est allemande et est à ce titre non concernée par la loi relative à la séparation de l’Etat et de l’Eglise de 1905.
Il est également utile de rappeler à ce stade de ma réflexion que l’Alsace n’est pas une région laïque au sens de la loi précitée. Ceci a pour conséquence que les autorités municipales ne seraient pas soumises à ce devoir de neutralité religieuse auquel le tribunal fait référence à plusieurs reprises dans ses ordonnances. La neutralité religieuse n’a pas de sens dans une ville où le culte des trois religions dites concordataires est financé par les deniers publics.
On ne peut décemment soutenir qu’en 1917, les pratiques religieuses n’étaient pas prises en compte par la municipalité. Peut-être est-ce que que le tribunal, pudiquement, nomme, « les considérations historiques et culturelles« .
Voir les ordonnances du tribunal
L’arrêté de 1917 est le résultat d’une histoire et d’une culture comme le rappelle ainsi justement le tribunal de grande instance de Strasbourg dans ses décisions (voir ci-dessus).
Il en est de même pour l’arrêté du 13 novembre 1936 qui restreint le champ d’application de l’arrêté de 1917. Nous sommes en période de fortes turbulences et revendications ouvrières et paysannes. Strasbourg est maintenant française et le Front Populaire met en place la semaine de 40 heures et la mise en place de la semaine « des deux Dimanches » comme on l’appelait à l’époque. Mais avec une Alsace qui reste rattachée à son statut concordataire et est profondément religieuse.
Il est toujours utile de rappeler les contextes historiques et ce afin de mieux saisir ce que, nous autres juristes, nommons le ratio legis ou autrement dit, l’esprit de la loi, l’essence de la volonté du législateur, fut-il local.
Il est intéressant à cet égard de citer la lettre de l’article L3134-4 du code du travail, qui dispose en son cinquième alinéa s’agissant des aménagements du travail dominical « Les heures pendant lesquelles le travail a lieu sont déterminées, compte tenu des horaires des services religieux publics, par les dispositions statutaires qui ont réduit la durée des heures de travail et, dans les autres cas, par l’autorité administrative ».
Les arrêtés municipaux font également référence aux offices religieux.
Il y a discrimination religieuse
A quel service religieux fait-on référence le dimanche ? Aux offices chrétiens, bien entendu, puisque le judaïsme ne célèbre pas d’office le dimanche. De telle sorte que ce n’est pas inutilement que certains magasins attaqués ont argué du fait que l’interdiction de travailler le dimanche constituait une violation de leur liberté de conscience.
L’argumentation du tribunal de ne retenir des arrêtés que leur caractère historique et culturel, sans en déduire logiquement l’origine éminemment cultuelle desdits arrêtés ne peut être tenue comme sérieuse.
Et c’est bien le ratio legis du législateur national qui démontre mes propos. A fortiori.
Si le phénomène chrétien – parce qu’appelons un chat un chat et je sais de quoi je parle– n’est pas à considérer, pourquoi le législateur national donc laïc a-t-il souhaité intégrer dans la rédaction de l’article L3134-4 du Code de travail, la notion de « services religieux publics » ?
En ce faisant, ne fait-il pas explicitement référence à la religion catholique et à la religion protestante, deux de nos religions concordataires ? Ce qui est opérant pour un législateur supposément laïc ne doit-il pas encore plus l’être pour un législateur non concerné par la loi sur la laïcité ?
La Justice est aveugle… et sourde
Comment un Tribunal peut-il ainsi faire l’économie dans l’examen de la cause portée par devant lui de cette analyse ?
Le tribunal affirme cependant « hors toute considération confessionnelle ou religieuse, le repos dominical – dont il est rappelé qu’il s’impose au niveau national – a pour objet de permettre à chaque salarié de consacrer une journée de la semaine à sa vie familiale, sociale, culturelle, associative… Pour des raisons évidentes de cohésion et d’unité nationale, cette journée doit être la même sur l’ensemble du territoire de la République. Le choix du dimanche qui est celui du législateur, répond certainement à des considérations historiques et culturelles qui ne sont contraire ni à la liberté de conscience ni au principe – fondateur en FRANCE – d’impartialité et de neutralité de l’Etat à l’égard des confessions religieuses, étant observé que la règle du repos dominical n’interfère en rien dans les préceptes et pratiques religieuses alléguées (…). »
Ou de l’art de dire une chose et son contraire, n’est-ce pas Madame le Président du Tribunal ?
On notera par ailleurs, l’écriture en majuscules du terme «France» dans l’expression « fondateur en FRANCE » par le tribunal qui pourrait faire sourciller quelques lecteurs suspicieux. Dont je ne suis pas. Bien entendu.
Que le législateur ait décidé que sur l’ensemble du territoire national, une journée identique pour tous devait être consacrée au repos est sans doute un progrès social au regard de ce contexte historique dont nous parlions précédemment. N’en doutons pas. Mais le choix du jour répond à mon sens à une construction que sociale ou républicaine.
Le choix du dimanche est une construction chrétienne
Le choix du jour, en l’occurrence le dimanche, est bien fondé sur des considérations religieuses et j’en veux pour preuve la lettre du code du travail et des arrêtés municipaux. Prétendre le contraire est être dans le déni au mieux ou se moquer des citoyens, au pire.
Après tout, le Code du travail pose l’exigence de deux jours de repos consécutifs et on aurait pu ainsi choisir n’importe quel jour comme jour de repos national.
Mais on ne le fît pas. On choisît le dimanche afin de permettre aux travailleurs d’assister aux services religieux. Voilà toute l’histoire.
Ainsi, qu’un tribunal, strasbourgeois de surcroît, ne vienne pas nous dire que le choix de ce jour est le fruit de l’histoire et de la culture, en nous parlant de la neutralité religieuse de l’Etat.
Non, ce jour est le choix du christianisme car, comme tout bon chrétien le sait, « le 7ème, Dieu se reposa ».
Ainsi soit-il. Amen.
"Les arrêtés municipaux font également référence aux offices religieux."
"Le choix du jour, en l’occurrence le dimanche, est bien fondé sur des considérations religieuses et j’en veux pour preuve la lettre du code du travail et des arrêtés municipaux."
Si le Code du travail fait bien référence aux horaires des services publics religieux, dans les textes des arrêtés municipaux je n'ai trouvé nulle trace de référence aux offices religieux.
Pourriez-vous nous indiquer les arrêtés en question ?
Quant à l'expression "cours de catéchisme à l'école laïque", comment vous dire...
Ah Strasbourg quasi auto proclamée capitale européenne et à ce titre se voulant symbole de cette communauté: la crise, économique bat son plein sur ce continent, et quand des personnes veulent travailler: on les en empêche au nom d'arrêtés datant de 1936, de 1917 et que sais je encore comme argument archéologique...
Ah Strasbourg, ville morte dès 19h30 les jours ouvrables...
Ah Strasbourg, où, certains bus reliant la gare à d'autres quartiers ne circulent plus après 21 heures, alors que les trains arrivent en gare jusqu'à minuit vingt...
Ah Strasbourg,où le coût de la vie hors les prix de l'immobilier est aussi chère que dans la capitale française pour financer des bâtiments institutionnels si vides même pendant les sessions parlementaires que Strasbourg semble être une ville fantôme...
Ah, Strasbourg, l'Europe économique ne se porterait elle pas mieux quand elle cessera de voir dans cette ville un symbole?
Certes, un 3 juillet de l’an 321, ce jour a été décrété jour de repos légal dans l'empire romain par l'empereur Constantin Ier.
Certes, depuis l’an 321, les offices religieux chrétiens se sont essentiellement déroulés le dimanche.
Mais depuis l’an 321 de notre ère, il s’est passé de l’eau sous les ponts… et fruits de cette histoire multi-séculaires, les pratiques sociales, culturelles sportives se sont organisées en fonction de ce repos fixe.
C’est un peu comme le lundi de Pentecôpe, on sait que c’est férié, et mis à part les grenouilles de bénitier, tout le monde se fout de savoir pourquoi !
La cathédrale de Strasbourg a été construite pour un motif religieux, mais maintenant, mis à part les allergiques au grès des Vosges, personne ne veut s’en débarrasser !
Ce qui compte maintenant pour tous c’est sa valeur architecturale et artistique. Et qu’en plus certain s’y agenouille…
Alors oui, le dimanche a des sources religieuses incontestables – c’est le fruit de l’histoire, n'en vous déplaise – mais la justice rendue aujourd’hui doit-elle s’embarrasser d’archéologie du droit ?
Quant à l'article L3134-4 du code du travail, qui dispose en son cinquième alinéa s’agissant des aménagements du travail dominical « Les heures pendant lesquelles le travail a lieu sont déterminées, compte tenu des horaires des services religieux publics, par les dispositions statutaires qui ont réduit la durée des heures de travail et, dans les autres cas, par l’autorité administrative », c'est de l'archéologie du droit? Une tradition héritée du passé ou une réelle intention de favoriser des cultes ayant lieu le dimanche? Voyons....de qui se moque-t-on..
Et concernant l'alinéa 5 du L.3134-4 du Code du travail, je ne vois nulle trace de texte applicable qui tienne *effectivement* compte des horaires des services religieux. Et cette alinéa n'est pas utilisé dans les ordonnances, sûrement à raison.
D'ailleurs, cela fait des décennies que personne ne demande à ce qu'on tienne compte des horaires des messes sur cette question.
Ainsi, la question des horaires des services religieux n'a même pas été évoquée en 1936 lors du conseil municipal qui a modifié l'arrêté de 1917. La modification faisait suite à un accord entre les organisations professionnelles du secteur de l'épicerie.
Je pense d'une manière générale qu'utiliser l'étendard de la laïcité pour remettre en cause le principe d'un repos commun (en l’occurrence le dimanche) à la quasi totalité des travailleurs n'est pas pertinent car cela ne correspond plus à une réalité ; autant aller sur la liberté d'entreprendre ou de consommer qui correspond à des demandes réelles, même si leur légitimité est contestable.
J'en veux pour preuve votre argument suivant selon lequel aucun teste applicable ne tiendrait "effectivement" compte des horaires des services religieux prévu à l'article L3134-4 du code de travail.
Questions : cette disposition figure-t-elle oui ou non dans notre droit positif? Oui. A-t-elle été abrogée?
Ce principe de repos commun le dimanche a-t-il été choisi arbitrairement? Oui. Un choix fondé sur le principe de laïcité? Non.
Voilà le propos de mon billet.
Vous pouvez ne pas être d'accord bien entendu. Mais n'allez pas me dire que c'est moi qui déterre des textes et que certaines dispositions de notre droit positif ne sont pas contraires au principe de laïcité dont se prévaut le Tribunal pour dire qu'il n'y a pas discrimination religieuse.
Si vous aviez pris la peine de consulter l’Institut de Droit Local, vos moustaches auraient très certainement frémi de surprise au constat que l’interdiction dominicale qui frappe depuis 1936 les épiceries strasbourgeoise est en réalité la réponse favorable donnée par la ville aux représentants des employeurs et des salariés de cette branche commerciale. Il n’était donc pas question d’imposer autoritairement cette fermeture pour favoriser tel ou tel culte, mais de satisfaire les souhaits du « syndicat de l’épicerie en détail et de l’alimentation générale » et de « l’association des commis épiciers ». Pourquoi pas de nouvelle demande depuis 1936 ? Certainement pas à cause de la méconnaissance du droit puisque des institutions publiques spécialisées et de nombreux matous enrobés maîtrisent parfaitement le sujet.
J'ai bien abordé, succinctement et à peine, le contexte dans lesquels les deux décrets municipaux avaient été adoptés. Que cela soit à la demande de Pierre, Paul ou Jacques, cela ne change absolument rien à la problématique.
Les chrétiens ont-il été favorisés par le choix de ce jour? Indubitablement.
Est-on passé d'une pratique religieuse à une tradition devenue républicaine? A mon sens non puisque le code du travail en vigueur fait très clairement référence à des services religieux (voir article L3134-4 du code de travail).
Tout ceci de telle sorte qu'à mon sens, les parties étaient fondées à se prévaloir d'une discrimination religieuse.
Voilà tout mon propos cher Monsieur.