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Européennes : Juliette Glas, la campagne derrière les écrans du favori

Depuis Munich, au sud de l’Allemagne, Juliette Glas joue un rôle central dans la campagne numérique de Manfred Weber. En tant que « Spitzenkandidat » (tête de liste) du Parti populaire européen (PPE, droite), le Bavarois peut espérer décrocher le plus haut poste au sein de la Commission européenne : celui de président. Mais pour cela, il doit convaincre un maximum d’Européens, et dans cette optique, les réseaux sociaux peuvent faire la différence. Il n’a donc pas hésité avant de placer Juliette Glas aux manettes.

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Européennes : Juliette Glas, la campagne derrière les écrans du favori

Juliette Glas le savait avant de se lancer : Manfred Weber, tête de liste du Parti populaire européen (PPE, droite), n’a rien d’une rockstar. Il n’a pas la voix d’Elvis Presley, ni la dégaine de Jimmy Hendrix, et encore moins la gouaille de Freddie Mercury. La jeune femme a malgré tout voulu devenir la « community manageuse », ou responsable des réseaux sociaux, du candidat bavarois qui est aussi président du groupe majoritaire
au Parlement européen.

Elle a décroché le poste en septembre 2018. Et depuis le début de la campagne, son objectif est clair : booster la popularité numérique du « Spitzenkandidat » du PPE en vue de toucher toujours plus de potentiels électeurs. Une mission que cette Franco-autrichienne de 21 ans seulement prend très au sérieux :

« Mon travail réclame 160% de mon énergie ! Et je ne vais pas le cacher : dans cette dernière ligne droite de la campagne, je veux que Manfred Weber rafle un maximum de voix. Moi aussi, j’aime beaucoup la politique, et je ne fais jamais les choses à moitié. Et là, justement, je donne tout ce que j’ai. »

Derrière les profils d’un homme de 45 ans, une jeune fille de 21 ans

Entière, franche et déterminée, Juliette Glas est aussi à l’aise en public que derrière un écran. Et son dynamisme et son inventivité transparaissent souvent dans les publications sur les réseaux sociaux de son patron. Car Juliette Glas a la main sur les comptes Instagram, Facebook et Twitter de Manfred Weber. Elle y publie en nombre photos et autres vidéos qui retracent l’actualité de l’homme politique. C’est sur Instagram qu’elle préfère opérer :

« Instagram, c’est mon premier amour ! C’est un moyen fabuleux pour mettre toute sa créativité à profit. Ma marque de fabrique, ce sont les “stories” (ces photos et vidéos qui disparaissent 24 heures après avoir été partagées, ndlr). C’est là que je m’éclate le plus. Des études montrent que la plupart des « stories » sont regardées pendant moins d’une seconde. En clair : j’ai une seconde pour marquer un point. Et j’adore ça. »

Juliette Glas peaufine aussi jour après jour la page Facebook du candidat. Il y compte plus de 58 000 fans (contre 15 000 sur Instagram). C’est donc sur Facebook que la voix de Manfred Weber porte le plus. Quant au profil Twitter du candidat, Juliette Glas le réserve aux messages « plus politiques ».

Ceux-là, évidemment, ne manquent pas. Après tout, Manfred Weber, 46 ans, n’est pas une « simple » tête de liste. Il pourrait devenir le président de l’exécutif européen de demain. En effet, si le même système qu’en 2014 (dit « des Spitzenkandidaten ») est appliqué après l’annonce des résultats du 26 mai 2019, la tête de liste du parti européen ayant récolté le plus de voix dirigera la Commission européenne. À ce jour, tous les chefs d’État dont le président français, chargés de « proposer » un candidat aux eurodéputés, ne l’entendent pas de cette oreille.

C’est sur Instagram que Juliette Glas préfère travailler. (Photo Simona Kehl / doc remis)

Le PPE, qui regroupe quelque 80 partis nationaux comme l’Union chrétienne-sociale (CSU) en Bavière (Manfred Weber en est le vice-président), le Centre démocrate humaniste (CDH) belge ou Les Républicains (LR) en France, était majoritaire en 2014, avec 29,43 % des voix. Les sondages lui prédisent un score plus faible cette année, notamment au profit des partis nationalistes. Mais le PPE pourrait malgré tout rester premier de cordée aux élections – et Manfred Weber se voir propulsé au sommet de la Commission.

Et le candidat de témoigner:

« Juliette n’a pas son pareil pour monter une vidéo en un temps record ! Sur les réseaux sociaux, ce qui compte, c’est la sincérité, le contact direct avec les gens, l’authenticité. Par sa créativité, son expérience des réseaux sociaux et sa fraîcheur, Juliette a beaucoup contribué à augmenter le nombre de gens qui me suivent sur les réseaux sociaux. Sa double culture franco-autrichienne est évidemment un énorme plus. »

Différentes communications sur différents réseaux

Autant que possible, Juliette Glas adapte ses messages à l’audience de Manfred Weber, qui, d’un réseau à l’autre, n’est pas la même. Elle explique :

« Sur Facebook, on a beaucoup de personnes plus âgées, entre 30 et 75 ans. Alors que sur Instagram, la moyenne d’âge est plus basse. On a des jeunes fans de Weber qui ont 13 ou 14 ans ! J’ai fait un énorme pas en avant quand, avant de publier un contenu, j’ai commencé à réfléchir au profil des personnes qui vont voir cette publication, à prendre quelques instants pour me glisser dans leur peau et tenter de savoir ce qu’elles attendent. »

La marque de fabrique de Juliette Glas ? Les « instastories », pardi ! (Photo Simona Kehl / doc remis)

Mais Juliette Glas n’a pas attendu de collaborer avec Manfred Weber pour faire ce constat. En matière de stratégies sur les réseaux sociaux, c’est au sein du Parti populaire autrichien (ÖVP) qu’elle a tout appris.

Dès 2015, elle a mis ses études en économie entre parenthèses pour faire partie de l’équipe de campagne de Sebastian Kurz en vue des élections législatives fin 2017. Sebastian Kurz est devenu chancelier fédéral, à la tête d’une coalition dite « turquoise-bleue », qui rassemble l’ÖVP et le Parti de la liberté autrichien (le FPÖ, une formation d’extrême-droite). Juliette Glas raconte :

« Je me souviens qu’à l’ÖVP, personne ne voulait devenir attaché de presse, mais que tout le monde avait envie de faire partie de la « team social media ». J’étais tellement heureuse de la rejoindre ! Je n’avais même pas 20 ans. J’ai commencé à mi-temps, mais rapidement, je me suis engagée à 100% et ne comptais plus mes heures. J’ai vite compris que sur Facebook, un utilisateur lambda n’utilise qu’environ 15% des fonctionnalités proposées ! »

Du nord de la France à l’Autriche

Plus jeune déjà, Juliette Glas en pinçait pour la politique. Elle a passé sa jeunesse dans le nord de la France avant de rejoindre, une fois adolescente, l’Autriche (sa mère est française et son père autrichien). Aux élections européennes de 2014, elle a fait campagne aux côtés de l’ancienne députée européenne Elisabeth Köstinger (PPE), en Carinthie, une région au sud de l’Autriche. Juliette Glas n’avait même pas encore passé le bac qu’elle distribuait déjà des tracts et, sur les marchés chaque week-end, expliquait l’importance d’aller voter.

Entre Bruxelles et Munich, Juliette Glas a appris à bien connaître Manfred Weber. (Photo Simona Kehl / doc remis)

C’est à Bruxelles, justement, que Juliette Glas a appris à connaître Manfred Weber : avant de déménager à Munich, elle travaillait pour l’eurodéputé au sein même du Parlement européen. C’est là qu’elle a pu réellement cerner sa personnalité, ses envies. Ensuite, en s’installant en Bavière, elle a pu s’imprégner de l’ambiance dans le fief électoral du candidat. Sans pour autant s’aventurer jusqu’au petit village de la région dans lequel vit le candidat, avec son épouse.

Car s’il a décidé de centrer sa campagne sur « l’humain », lui, au contraire, reste plutôt secret. Pas question donc d’afficher sur les réseaux sociaux des bribes de sa vie privée, comme le font volontiers d’autres dirigeants européens, à l’image du président du Conseil européen Donald Tusk, qui, sur Instagram, n’hésite pas à poster une vidéo de son petit-fils perché en haut d’un toboggan ou une photo de sa séance de course à pied à New-York.

Même si sa discrétion lui est bien souvent reprochée, Manfred Weber, lui, joue donc la carte de la sobriété. Sur ses comptes, Juliette Glas se cantonne à des publications en trait avec la campagne, les élections ou son programme, qu’elle tente de rendre aussi attractives que possible.

Des algorithmes à dompter

C’est depuis Athènes, fin avril, que Manfred Weber a officiellement dévoilé son plan d’action en 12 points, allant de la création d’un FBI européen à l’introduction d’un mécanisme pour garantir l’état de droit en Europe, en passant par l’établissement d’un « master plan » contre le cancer. Ce programme, Juliette Glas l’attendait avec impatience :

« Dès qu’on a un programme, nous, les community managers, on est sur un petit nuage ! Un programme, c’est de l’or, il suffit de s’asseoir derrière son écran, de le découper en petits morceaux, et de les ressortir au bon moment. Pour moi, clairement, il y a eu un avant et un après la publication de ces 12 propositions. »

Juliette Glas accompagne Manfred Weber pendant ses déplacements en Allemagne. Marion Jeanne, porte-parole du candidat, et Ouarda Bensouag, directrice adjointe de campagne, elles aussi françaises mais basées à Bruxelles, assistent le candidat à l’étranger. Elles n’oublient jamais d’envoyer des photos et des vidéos à Juliette Glas et de lui décrire l’ambiance sur place, afin que l’experte des réseaux sociaux puissent communiquer au mieux. Mais les algorithmes des plateformes continuent de lui donner du fil à retordre : 

« Au début de Facebook et d’Instagram, aucune publication n’était mise en avant. On voyait vraiment tout. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et parfois, certains “posts”, même s’ils ont un super message ou une vidéo géniale, passent à la trappe. C’est frustrant, évidemment, surtout quand on y a passé des heures. Mais les algorithmes me forcent aussi à me poser des questions : qu’est-ce qui a cloché dans ma publication ? Est-ce que les images n’étaient pas assez bonnes ? Le message trop long ? Les sous-titres manquaient-ils ? Seulement, je n’ai pas toujours les réponses… »

A-t-elle des hobbies ? La question la fait rire. « Pendant une campagne, c’est marrant de demander ça ! » s’exclame-t-elle, admettant que dans cette dernière ligne droite avant le scrutin du 23 au 26 mai, elle n’a « plus le temps pour grand-chose d’autre ». Ces temps-ci, elle délaisse même sa flûte traversière, dont elle joue depuis qu’elle est petite. Et son piano non plus ne fait pas le poids par rapport à la très chronophage campagne :

« J’aime jouer de la musique, surtout avec ma famille, car c’est une manière d’occuper une autre partie du cerveau. Mais quand je rentre chez moi, je suis crevée… Surtout, je ne pourrais jamais me le pardonner si je passais deux heures à jouer du piano alors que j’aurais pu monter une vidéo pour Manfred Weber qui peut lui faire gagner ne serait-ce que cinq voix ! »


#élections européennes 2019

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