

Pourquoi tricher au bac ? Pour faire comme les adultes ?
Faut-il tricher pour avoir le bac n’est pas encore un sujet de philo. Mais plutôt une question philosophique et pratique, à l’heure où, tout en envisageant le retour de la morale dans l’enseignement, on n’en finit pas de découvrir les écarts de nos élites.
Après les inquiétudes vite dissipées sur un jeune qui aurait eu pour projet d’éliminer certains candidats au bac dans un des lycées strasbourgeois, la dernière question en date qui fait parler de l’Education nationale c’est celle de la triche –en particulier par téléphone portable- lors du bac.
D’abord, il faut noter qu’un candidat qui cherche à tricher au bac est vraiment un imbécile ! En effet, les taux de réussite sont tellement élevés que rater le bac relève de l’exploit, sans compter qu’au bout de deux tentatives on est quasi-sûr de l’avoir, et on ne peut raisonnablement pas penser que tous ces lauréats ont réussi ce rituel de passage en recopiant un devoir de philo sur internet, dans les toilettes, en 1 minute 30, tout en tirant la chasse pour donner le change. Que les candidats se rassurent, ils auront le bac ! Inutile de tricher pour cela !
Mais il est vrai que la société ne propose pas des modèles irréprochables de ce point de vue.
Quand le grand Rabbin de France, agrégé de philosophie et auteur de méditations, n’est ni agrégé de philosophie ni auteur de méditations (mais est-il seulement rabbin ?), quand le ministre des Finances planque son argent en Suisse, quand l’ex-ministre de l’intérieur a touché des primes en liquide pourtant abolies, quand certains élus sont soupçonnés de payer leurs électeurs, pourquoi se priver de glisser dans sa trousse la date de la révolution française, d’écrire dans le creux de sa main la composition de l’oxygène ou de recopier sur un site gratuit que « Jean-Paul Sartre présente le marxisme comme « horizon philosophique indépassable de notre temps» et qu’après avoir observé et analysé l’existence et la liberté de l’homme en tant qu’individu, Sartre s’est interrogé sur l’existence d’une conscience collective et son rapport avec la liberté individuelle. » ?
Droit dans les yeux
Un élève me regardait récemment droit dans les yeux : « Non, monsieur, je ne l’ai pas volé ! ». Pourtant il avait admis un peu plus tôt n’être pas étranger au larcin d’un sac oublié par un élève d’une classe précédente, puis avait reconnu qu’il savait qui avait ce sac sans vouloir le dire mais en promettant de faire en sorte qu’il réapparaisse, ce qui bien sûr n’est jamais arrivé.
Les amis politiques de M. Guéant avaient regretté ses interventions dans les médias et ses semblants d’aveux concernant la vente trouble de ses tableaux. Ne rien dire, ne rien reconnaître ! Une règle de base ! Mais avait-il volé ce sac ? Après tout, même si tout l’accusait, personne ne pouvait le prouver, s’il ne l’avouait pas et puis de toutes façons, s’il l’avait trouvé par terre, dans une salle vide… C’est comme les primes de 10 000 euros par mois de Guéant, l’argent était là, pourquoi ne pas le prendre ?
Un autre me regardait récemment droit dans les yeux : « Non monsieur, j’ai pas recopié mon devoir sur internet ! ». Mais comment un élève médiocre de seconde pourrait-il écrire, et penser qu’on puisse croire qu’il ait écrit qu’« ayant connu la tentation et le péché, Elvire a pu sublimer son amour profane en charité divine : c’est un itinéraire de la chute à la grâce. » ?
Le tricheur, un acteur en formation
Il y a chez tout tricheur une part de naïveté que je trouve touchante, une malice plus ou moins aboutie, couronnée d’un talent d’acteur en formation. Et bien cet élève ne mentait pas ! Son frère l’avait aidé à faire ce devoir et c’est le frère qui avait fait un tour sur la toile pour dénicher le joyau ! Le loup de La Fontaine avait bien raison : « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère ! ».
Au journal Le Monde qui lui demandait : « Eclairé par les six mois de lectures et d’auditions du rapport, comment définissez-vous le plus simplement la « morale laïque » ? », le ministre de l’éducation nationale Vincent Peillon répondait : « La morale laïque est un ensemble de connaissances et de réflexions sur les valeurs, les principes et les règles qui permettent, dans la République, de vivre ensemble selon notre idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité. Cela doit aussi être une mise en pratique de ces valeurs et de ces règles. »
Les valeurs, les principes, les règles et leur mise en pratique ! Il ne reste plus qu’à développer une pédagogie par l’exemple…
A dire que je suis entièrement d'accord avec le commentaire de mon prédécesseur et ne comprend guère le sens de la question posée: soit on va dans le sens d'une interrogation morale et alors la réponse est bien entendu non. Soit on va dans celui d'une nécessité de survie et alors la réponse oui serait manifestement immorale.
L'argument selon lequel il ne serait tout simplement pas nécessaire de tricher parce que de toute façon tout le monde l'a en fin de compte ce bachot me parait non seulement immoral mais de plus fallacieux. Si l'on prend les chiffres, seuls 17% d'une classe d'âge des bacheliers sortent du milieu ouvrier. Donc il est évident que tout le monde ne l'a pas, à moins de réduire ce tout le le monde à la seule classe bourgeoise et petite-bourgeoise. Et de plus sans se poser la question du post bac qui se règle non plus à partir des résultats du bac, mais bien avant lors des demandes d'inscriptions au deuxième trimestre dans ce truc barbare (le "tunnel", la "plate forme" ?) qui est l'inscription par internet et qui exige à soi seul une formation universitaire en informatique.
Quant au Grand Rabbin de France on ne voit guère ce qu'il vient faire là. Sauf peut-être à signaler pour équilibre que le prof de philo qui a levé le lièvre vient d'être promu dans la Hors-Classe des Agrégés.
De plus votre logique m'échappe : "quand certains élus sont soupçonnés de payer leurs électeurs, pourquoi se priver de glisser dans sa trousse la date de la révolution française, d’écrire dans le creux de sa main la composition de l’oxygène ou de recopier sur un site gratuit que « Jean-Paul Sartre présente le marxisme comme « horizon philosophique indépassable de notre temps» "
1/ Ce n'est pas l'immoralisme des autres qui pourrait me permettre de justifier le mien.
2/ Et s'il s'agissait simplement de recopier bêtement.... Encore s'agit-il réellement de comprendre. Ainsi selon le philosophe Jean-Luc Nancy qui le cite lui aussi, Sartre aurait plutôt écrit que c'est "le communisme" qui serait l'horizon indépassable de notre temps et non pas tant le marxisme bien que sans doute on puisse trouver les deux dans son oeuvre. La différence étant simplement que le marxisme est une théorie de compréhension et d'action politique alors que le communisme est avant tout un désir profond de communauté pacifiée.
Mais ce qui m'étonne le plus dans votre texte, c'est cette étrange complaisance envers les élèves tricheurs. Comme si l'immoralisme de notre société pouvait justifier l'immoralisme de notre jeunesse sous prétexte qu'on leur donne mauvais exemple. Comme si la guerre du Vietnam et celle d'Indochine avant n'étaient pas des mauvais exemples aussi. Comme si les massacres d'Algériens en plein Paris n'étaient pas de mauvais exemples également !
Quant à la morale laïque de Peillon, elle est tout droit issue de la troisième République en référence à un modèle plus religieux que laïque d'ailleurs, et se veut même "religion laïque". Or qu'est-ce qu'une religion laïque si ce n'est une idéologie ? Et elle n'a rien de socialiste soit dit en passant, mais relève plutôt d'un clientélisme (FSU, PEEP) Et oui on a beua avoir été facteur, on n'en garde pas moins des contacts avec le monde syndical... :-)
Quant au "tricheur en formation", permettez-moi de doucement rigoler.
La "naïveté" à coup sûr n'est pas du côté que vous dites...
Bon dimanche, avec magasins ouverts ou non...
Cependant, je ne pourrais pas non plus m'empêcher de pointer quelques manques d'approfondissement, quelques développements qui auraient été bien utiles à la bonne compréhension du phénomène.
Sans vouloir palier à ces petits manques, je voudrais d'abord soumettre à votre réflexion ces quelques phrases de Brecht dans "Dialogues d'Exilés. De fait je conseille de lire toutes la partie III sur L'Education. Mais contentons-nous de ces quelques phrases à méditer : *
"Je sais que l'on met souvent en doute l'excellence de notre éducation scolaire. L'admirable principe sur quoi elle est fondée n'est pas apprécié à sa juste valeur, pour ne pas dire qu'il est méconnu : il consiste à plonger d'emblée l'adolescent, en âge le plus tendre, dans le monde tel qu'il est ! Sans détours sans commentaires, on le jette dans le bourbier : qu'il nage ou bouffe de la vase !"
Et de poursuivre en montrant que l'hypocrisie et la perversité de l'éducation est ce qu'il y a de mieux pour préparer à la corruption de la société et de permettre d'y survivre. Il me paraît que ce n'est pas loin de ce que vous dites . Ou non ?
Sans vouloir bien entendu attribuer cette ligne de conduite à ces deux grandes tendances "pédagogiques" que vous appelez en France celle des Républicains et celle des Pédagogistes ( bien que paradoxalement, comme l'a montré Natacha Polony, l'idéologie "libertaire" de cette seconde tendance s'accorde fort bien avec l'idéologie libérale de "libre" concurrence que décrit Brecht...)
Mais revenons-en à votre article mon cher Monsieur !
Vous posez, à la manière d'un l'intitulé de dissertation de philo la question : Faut-il tricher pour avoir le bac ?
Et là vous le savez aussi bien que la réponse est claire : l'impératif catégorique kantien est sur ce plan sans concession et la réponse évidemment : NON ! Rien dans la morale du vieil Emanuel ne saurait justifier une quelconque entrave à l'exigence morale, dont l'exigence constitue un horizon aussi bien absolu qu'indépassable. Horizon de plus toujours fuyant. Nous aurions donc là matière à une première partie d'un raisonnement qui se tient.
Mais à lire la fameuse controverse entre Kant et Constant sur le prétendu droit de mentir par humanité, (http://fr.wikisource.org/wiki/D%E2%80%99un_pr%C3%A9tendu_droit_de_mentir_par_humanit%C3%A9)
et bien que l'argumentation de Kant semble plus forte, il nous vient quand même un doute qui s'est, à une époque, exprimé par la formule : "la fin justifie-t-elle les moyens ?" OU comme dirait Sartre : "Il ne faut pas désespérer Billancourt" On passe du catégorique à l'hypothétique. La question serait alors : peut-on justifier moralement une entrave à la loi morale ? Et pour rester dans Sartre se serait la question des Mains Sales. Chez Camus cela devient celle des Justes...
Si nous étions profs de philo, il me semble que nous donnerions une assez bonne note à ces deux premières parties, non ? ;-)
Mais nous ne le sommes pas, et de plus, votre raisonnement est, si je puis me permettre en toute amitié, plus pernicieux que cela.
- En premier lieu, vous pointez l'imbécilité qu'i y a à tricher étant donné " que rater le bac relève de l’exploit". Tricher serait donc pour vous contre-productif. L'argument n'est pas moral mais pragmatique.
Bon, pour ma part je ne pense pas que l'on puisse, même si on prétexte une "courante", avoir une bonne note rien qu'en recopiant un devoir de philo aux chiottes. Il restera toujours des trucs comme : "Albert Camus a beaucoup fait pour la révolution française" (Académie de Strasbourg) "Socrate a probablement pensé à Lucy en "écrivant" le Mythe de la Caverne (Bordeaux) et "Le Christ a été crucifié entre deux lardons (au lieu de larrons)" (Tel Aviv Licence d'Histoire !)....
Mais ce n'est pas même cela le problème !
Un des gros problèmes est que les inspecteurs imposent des moyennes ! "Durant l'année notez comme à l'habitude, mais au bac le ministère veux une moyenne de dix. Débouillez-vous !"
Et quand se pose la question de la crédibilité du prof et des possibilités d'autoévaluation de l'élève en vue de l'examen la question est éludée. (Soit dit en passant qu'en Russie cela ne fonctionne absolument pas comme cela...)
Comment s'étonner alors de voir aux infos qu'un élève sorte triomphant de l'épreuve pérorant avoir eu 06 durant l'année mais s'attendre à un 14 au bac ?
Et comment expliquer -- si tout le monde a le bac - qu'une mère barge passe les épreuves à la place de sa fille ? On HALLUCINE !
- En second lieu, vous pointez la corruption généralisée de la société. Cahuzac comme bouc émissaire ? N'est-ce pas un peu facile ? Et le grand rabbin de France, "démasqué" à partir du blog d'un philosophe alsacien... ;-) et d'autres encore.... On entend bien ce que vous voulez signifier : il y a tant de mauvais exemples jusqu'aux plus hautes sphères de l'autorité qu'on ne voit plus comment peut survivre ce que Montesquieu donnait comme la valeur cardinale d'une République : la Vertu !
Et les élèves se trouvent tellement corrompus par l'idéologie ambiante qu'ils ne se rendent même plus compte d'être dans le mal faire : ce que Montesquieu formulait à peu près ainsi : la corruption d'un type de gouvernement commence toujours par la corruption de la valeur qui y préside, où du moins le devrait.
- Mais pour conclure ,car je m'éternise bien qu'il y aurait beaucoup encore à dire, la fameuse "religion laïque" à laquelle se réfère Peillon dont il semble qu'il fut naguère philosophe et avait même écrit de bonnes choses sur Merleau-Ponty, n'est rien d'autre qu'un moralisme naïf plus destiné à rassurer les parents qu'à attaquer le problème en sa réelle profondeur. Sans même parler de l'antinomie de l'expression....