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Sur le tracé du GCO, l’opposition s’organise

Les travaux du Grand contournement ouest de Strasbourg (GCO) doivent commencer en 2017. Sur le terrain, les opposants convaincus de l’inutilité de cette autoroute payante, réfléchissent à la meilleure manière de préserver des terres agricoles et les espaces naturels du Kochesberg.

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Sur le tracé du GCO, l’opposition s’organise

Les jeunes. Ici avant de camper dans la cabane de Kolbsheim (JFG / Rue89 Strasbourg / cc)
Les jeunes. Ici avant de camper dans la cabane de Kolbsheim (JFG / Rue89 Strasbourg / cc)

Le Grand contournement ouest de Strasbourg (GCO) réuni foule d’opposants : pour différentes raisons, on retrouve les écologistes, mais aussi le MoDem, des cadres du PS local mais qui restent silencieux lors des votes, le Parti de gauche, le Parti communiste, l’association des usagers des transports urbains de Strasbourg (ASTUS) – où siègent d’anciens élus de droite -, des maires sans étiquette des villages sur le tracé, des associations de protection de la nature, ou encore des agriculteurs. « Mais entre ceux qui se disent contre et ceux qui agissent, il y a un monde », regrette Luc Huber, maire de Pfettisheim et porte-parole du collectif GCO Non Merci. Les plus motivés en tout cas ne désarment pas.

Lors de l’inauguration d’une cinquième cabane le 30 janvier, 250 personnes ont fait le déplacement. Le jeudi 4 février, la secrétaire nationale d’Europe Écologie Les Verts (EELV), Emmanuelle Cosse, s’est rendue à l’une des cabanes d’où elle a solennellement interpellé le gouvernement – gouvernement qu’elle a entre-temps rejoint.

Des occupations courtes mais régulières

Samedi 5 février, huit membres de l’association des Jeunes écologistes d’Alsace, pour certains venus à vélo, ont occupé la cabane de Kolbsheim et cinq d’entre eux sont même restés y dormir. C’est la cinquième « occupation temporaire » de ce type depuis 2014, explique Simon Baumert, co-animateur du groupe local d’EELV et à l’initiative de cette occupation, entrain d’installer des bâches isolantes :

« Ce sont des courtes occupations dans le temps. On évite de faire un seul grand événement et puis plus rien, et pour montrer qu’on est toujours vigilant sur ce sujet. On sent que la pression monte et s’il le faut, on augmentera ce type d’action. »

Ces constructions en bois symbolisent les futurs péages du GCO (le tarif de 3 à 5€ par passage est souvent évoqué) et doivent sensibiliser les passants. Le soir, autour du feu, les soutiens défilent. Deux maires des communes voisines, des riverains, un agriculteur… Sur la route, des voitures klaxonnent en signe d’encouragement.

5 cabanes ont été construites sur le parcours. Deux autres seront inaugurées au printemps. (photo JFG / Rue89 Strasbourg / Flickr)
5 cabanes ont été construites sur le parcours. Deux autres seront inaugurées au printemps. (photo JFG / Rue89 Strasbourg / Flickr)

Une zone « interdite aux bulldozer » en avril

« Occuper le terrain n’a jamais été dans nos habitudes en Alsace. Mais quand on voit comment les Bretons qui cassent tout obtiennent gain de cause, on s’interroge », remarque Alain, la quarantaine, habitant d’Ernolsheim-sur-Bruche, passé soutenir les jeunes occupants. Il est venu présenter une autre occupation, qui se profile le week-end des 2 et 3 avril, le festival de la réserve du Bishnoï.

Contacté quelques jours plus tard, Guillaume Bourlier, habitant du même village et militant à l’initiative du festival, décrit :

« Cela se passera au niveau de la maison éclusière entre Kolbsheim et Ernolsheim. C’est sûrement le plus bel endroit sur le tracé. On organisera deux jours de concerts et de conférences-débats, avec des campements. Il faut sensibiliser sur ce qui va arriver ici en termes de pollution, de bruit. On appellera ça « la réserve du Bishnoï« , un personnage sympathique, mais têtu. On décrétera que c’est une zone sans bulldozer ni grue. Et s’il faut s’opposer de manière non-violente, mais pérenne, le jour où il y aura des travaux, pourquoi pas.”

Entre jeunes écologistes, on débat de la suite. On sait qu’être en permanence sur le terrain sera difficile. « Même les plus partants ont une famille. Le tracé fait 24 kilomètres et le calendrier n’est pas connu », commente Nicolas Falempin qui reste dormir à la cabane.

Les travaux doivent commencer en 2017

Le contrat de concession liant l’Etat au constructeur Vinci a été publié au Journal Officiel fin janvier. Le constructeur injectera 700 millions d’euros dans la construction de cette autoroute. En 2016, Vinci lancera les concours pour les ponts et travées, entamera les processus d’expropriations, avant que les travaux ne commencent, théoriquement en 2017. La mise en service de l’autoroute est prévu pour 2020. Les opposants espèrent néanmoins encore que leurs arguments seront audibles dans la population, alors que la question du GCO ne fait plus vraiment débat dans la sphère politique depuis sa résurrection en 2013.

« Nous avons toujours été constants sur la question. Je sais que certains sont contre, mais nous pensons que ce projet diminuera la pollution dans Strasbourg », a botté en touche Philippe Richert (LR), président de la Région Alsace, puis de la grande région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne, lors des élections régionales. Un argument, longtemps l’apanage par Fabienne Keller (LR) à Strasbourg, et repris récemment par le maire Roland Ries (PS) et le président de l’Eurométropole Robert Herrmann (PS).

L'autoroute payante doit passer en contrebas de ces terres agricoles, jugées fertiles. (photo JFG / Rue89 Strasbourg / Flickr)
L’autoroute payante doit passer en contrebas de ces terres agricoles, jugées fertiles. (photo JFG / Rue89 Strasbourg / Flickr)

Le tandem strasbourgeois espère interdire les camions sur l’actuelle A35 qui serait, d’ici une dizaine d’années, transformée en boulevard urbain, avec feux tricolores et voies réservées aux transports en commun. Des travaux qui coûteraient au moins 150 millions d’euros et seraient « phasés » en plusieurs tranches.

Pour le maire sans étiquette de Kolbsheim, Dany Karcher, il est regrettable que les arguments des pro-GCO changent avec les années :

« D’abord, le GCO devait être contre les bouchons, puis pour créer de l’emploi. Maintenant c’est pour lutter contre la pollution. Il y a un problème d’accès à Strasbourg par la route, mais le GCO n’est pas la solution. Les embouteillages sont concentrés le matin et le soir, quand les gens de la campagne vont vers la ville [ndlr, 77 000 personnes habitent hors de l’agglomération, mais viennent y travailler, soit un tiers des emplois eurométopolitains]. Et même parmi ceux qui la traversent, qui va prendre un contournement payant quand la route qui passe au plus près de la ville est gratuite ? »

Les études de l’association pour la protection de l’air (Aspa), elles, prévoient moins de pollution sur les grands axes de la ville après la mise en service du GCO, mais plus de pollution de fond sur tout le Bas-Rhin. « Et les vents dominants sont vers Strasbourg », précise Dany Karcher. Avec ses collègues maires, ce dernier est en posture difficile : il est contre un projet qui impacterait sa commune, mais n’a aucun moyen légal de s’y opposer.

Les agriculteurs touchés, mais qui négocient déjà

Au total, 350 à 400 hectares de terres agricoles seront recouvertes par de béton. À la cabane de Kolbsheim, Thibaut Dimer, agriculteur de 26 ans, est préoccupé :

« Ici les exploitations sont divisées en parcelles. J’ai par exemple 100 îlots répartis sur 65 hectares. Si on m’enlève 30% de ma terre, ce sera autant de chiffre d’affaires en moins. Ça c’est un chiffre clair, alors que mon emprunt et sur 20 ans, tandis que pour les compensations et les remembrements, on est dans le brouillard. Même le tracé exact n’a pas été dévoilé, donc on ne sait pas comment on sera impacté ! Si on ne veut plus des agriculteurs, on importera d’ailleurs, mais il faut le dire. En dix ans, on a perdu l’équivalent de la surface d’un département. »

Si le combat se durcit sur le terrain, il faudra faire sans les représentants du syndicat majoritaire de la profession, la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA), même si certains se disent toujours farouchement opposés au projet. Dominique Daul, agriculteur et président de la section de Pfettisheim de la FDSEA, ne veut pas suivre les opposants dans une confrontation directe avec les engins de chantier :

« Si le projet ne se fait pas, c’est sûr que serait la meilleure solution. Pour une fois, nous sommes d’accord avec les écologistes. On peut regarder les différentes études : le GCO ne réglera pas le problème de la circulation vers Strasbourg. C’est un projet politique et imposé par la ville.

Mais nous ne voulons pas de double peine. Le projet semble acté et nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas négocier de compensations dès à présent, car les agriculteurs seront les premiers impactés. Au-delà des compensations légales, nous fixons des exigences plus élevées. Je sais qu’on va dire qu’on abandonne, mais nous avons trop à perdre pour aller dans des situations extrêmes avec des occupations sur le terrain de type « ZAD ». Nous avons été reçus par Vinci qui semble disposé à écouter nos propositions. Ils ne peuvent pas se permettre de se mettre à dos le monde agricole. »

Objectif des agriculteurs : obtenir un fonds pour moderniser les exploitations restantes, afin qu’elles deviennent plus rentables.

La suite devant les tribunaux ?

Le conflit pourrait s’exporter sur le terrain juridique. Alsace Nature, fédération des associations de protection de la nature dans la région, avec un pôle de juristes extérieurs, scrutent le contrat de concession et le cahier des charges, gardé sous clé par l’Etat depuis près de 18 mois. Le délai pour attaquer ce type de texte auprès du tribunal administratif est de deux mois.

Le contrat pourrait être en contradiction avec des directives sur la protection d’espèces protégées, comme le Grand hamster d’Alsace. Les opposants montent par ailleurs un collectif d’assistance juridique pour les futurs expropriés. Pour Luc Huber de GCO Non Merci, c’est la meilleure manière de retarder le projet :

« On n’a pas la puissance de lobbying de la CCI [ndlr, Chambre de commerce et d’industrie, qui avait fait campagne pour le GCO en 2012], mais on a plusieurs cartouches que l’on utilise les unes après les autres. »

Si les travaux n’ont pas commencé avant janvier 2018, la déclaration d’utilité publique (DUP) ne serait plus valable et il faudrait recommencer toutes les procédures. L’an dernier, Alsace Nature, avec l’appui d’élus et de riverains, avaient réussi à retarder les travaux du projet de golf public de la Sommerau. Quelques mois plus tard, l’État avait retiré sa part du financement et le projet s’était écroulé. Un exemple que les anti-GCO rêvent de reproduire, conscients que les enjeux, politiques et financiers, sont ici bien plus lourds.


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