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GCO : quand le contournement devient la seule entrée dans la ville

Le GCO a réussi à faire l’unanimité… contre sa signalisation trompeuse. Une décision en dépit du bon sens prise entre administrations, et notamment à la demande du Conseil départemental du Bas-Rhin (ancêtre de la CeA), dans lesquelles personne n’a jugé opportun d’alerter la hiérarchie. Aujourd’hui, le ministère des Transports assure qu’il est prêt à changer les panneaux si on lui demande, bien que la préfète veut se laisser jusqu’à juin.

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GCO : quand le contournement devient la seule entrée dans la ville

Un contournement qui devient… la seule entrée dans la ville. C’est l’absurdité à laquelle est parvenue la signalisation du Grand contournement ouest (GCO). Les nouveaux panneaux sur l’A4 et l’A35, qui indiquent que la direction de Strasbourg, nécessitent forcément d’emprunter un tronçon de l’autoroute payante, puis par l’A351 le long de Hautepierre à l’ouest. Cette signalisation a déclenché la colère des automobilistes, qui ont l’impression d’être pris pour des imbéciles. Car en la suivant, l’itinéraire provoque un détour, parfois d’une dizaine de kilomètres, et concentre la circulation sur un seul axe, déjà saturé aux heures de pointe : un non-sens écologique, coûteux à cause du péage et problématique pour la fluidité du trafic.

Une décision fin 2018

Bien avant la mise en service, ces indications ont été actées dès le 30 novembre 2018 avec l’établissement de la « modification du schéma directeur de signalisation de l’autoroute A 355 » par le ministère des Transports. Mais pour comprendre le cheminement d’une telle décision, c’est l’embarras à tous les étages. Aucune transparence n’existe sur le sujet.

Au ministère, la directrice des Infrastructures, Sandra Bernabei Chinzi, signataire du schéma contesté, nous a renvoyé vers un collègue. Ce dernier a prudemment esquivé les questions de Rue89 Strasbourg. Le service de presse du ministère, comme c’est la règle désormais dans l’administration d’État, répond quelques banalités et assure avoir mené une « concertation avec les collectivités à partir de septembre 2016 ». Une dernière réunion s’est tenue le 4 juin 2018. Selon les différents témoignages, il semblerait que la décision soit restée l’apanage des services techniques, sans que les élus locaux ou le préfet de l’époque, Jean-Luc Marx, n’en soient directement saisis. À l’époque, près de trois ans avant la mise en service de la rocade, personne chez les spécialistes n’a vu l’aberration, ni la polémique, venir.

Une demande du Département du Bas-Rhin

Quelles étaient les positions des uns et des autres ? Le ministère se garde bien de donner des comptes-rendus de ces réunions. Pour l’Eurométropole, le vice-président en charge des Mobilités Alain Jund (EELV), opposant au GCO, assure que lors du mandat précédent, un courrier du 28 novembre 2017 demandait le fléchage de Strasbourg par l’accès gratuit au Nord et au Sud. Sauf qu’il est impossible de voir ce courrier. « Nous sommes dans une phase d’archéologie pour comprendre ce qui s’est passé. Les écrits restent, mais il y a-t-il eu des choses différentes dîtes à l’oral ? Nous étudions toutes les possibilités, y compris juridiques », justifie Alain Jund.

À la Collectivité européenne d’Alsace (CeA), qui a pris la suite du Conseil départemental du Bas-Rhin en 2021, on se refuse même à répondre à la question. « L’ancien directeur des routes est parti à la retraite », tente un interlocuteur gêné, comme si les dossiers n’étaient pas transmis. D’après un compte-rendu de la fameuse réunion du 4 juin qu’ont pu consulter les DNA, c’est bien les services du Département qui ont fait cette proposition, sans en détailler les raisons. Le compte rendu retient alors « la volonté de la métropole de délester l’A35 du trafic de transit, en prévision d’une requalification de cet axe pour une desserte plus urbaine », le fameux « boulevard urbain » imaginé depuis des années, et l’État reprend donc à son compte les propositions du Département.

Quant à l’exploitant Arcos (groupe Vinci), il se défausse en répondant que les « élaborations des panneaux de signalisation ne dépendent pas du concessionnaire autoroutier ». En contradiction avec… le ministère des Transports qui assure que le schéma directeur a été « élaboré par le maître d’ouvrage Arcos ». La société avait déposé le 28 septembre 2017 une « demande d’approbation » du schéma directeur de signalisation de l’autoroute A355 (contournement ouest de Strasbourg), sans qu’Arcos ne veuille aujourd’hui révéler son contenu. La société ne veut pas prendre position publiquement, afin de ne pas froisser ses interlocuteurs, l’État, comme les collectivités locales. Une manière de faire comprendre entre les lignes que ce n’est pas sa proposition initiale qui a été retenue. « Aujourd’hui, il n’y a plus de problèmes. On a eu quelques réclamations à la barrière de péage à Ittenheim les premiers jours et beaucoup de réactions sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, les automobilistes prennent leurs habitudes », répond le responsable communication d’Arcos, Jean-Luc Fournier.

La fausse surprise le 17 décembre

Les responsables politiques font parfois mine de découvrir cette signalisation. Posture théâtrale ou manque d’information ? Président de la CeA, Frédéric Bierry (LR) était déjà président du Bas-Rhin lorsque ses services ont fait cette proposition. Plus tard, un article des DNA faisait également état en janvier 2019 de l’affichage retenu, sans les entrées de Strasbourg par les axes gratuits. Dès 2015, Rue89 Strasbourg écrivait aussi qu’avec le GCO, davantage de trafic serait détourné vers l’A351, dans le but de délester les accès au nord et au sud. Déjà à l’époque, le GCO répond à une logique qui est de rabattre un maximum de trafic sur les axes autoroutiers et limiter au maximum la circulation sur les autres axes, l’A35 n’étant plus considéré comme une autoroute.

Dans la nouvelle mouture du GCO, relancé en 2013, l’échangeur nord à Vendenheim avait d’ailleurs été reconfiguré, quitte à davantage empiéter sur la forêt du Krittwald, de telle sorte qu’en restant sur l’autoroute, l’automobiliste est conduit « naturellement » sur le GCO et l’entrée ouest de Strasbourg. Pour continuer tout droit, vers Schiltigheim et Strasbourg-nord, il sort sur sa droite, ce qui est contre-intuitif par rapport à un plan et le sens de circulation précédent. C’est d’ailleurs surtout des automobilistes venant du nord qui ont rencontré des difficultés d’après Arcos. Ce n’est pas cet agencement qui a été déployé à l’entrée sud, où les sens de circulation précédents sont respectés.

« On aurait aimé faire comprendre ça »

Le collectif GCO Non-Merci avait aussi alerté sur cette future signalisation, en vain. « On aurait aimé faire comprendre ça aux gens » Bruno Dalpra, qui a aujourd’hui fondé un collectif des usagers de la M35 pour demander une modification des panneaux. « C’est comme ceux qui s’étonnent des tarifs, c’est ce que prévoyait le contrat dès 2016″, compare le militant écologiste pour caractériser la légèreté des élus locaux, et notamment Frédéric Bierry.

Interrogé fin décembre en marge d’un conférence de presse, Frédéric Bierry disait ne pas se souvenir d’avoir été consulté sur la signalisation, « mais c’est possible qu’on ait laissé passer quelque chose… », concédait-il. « J’ai saisi la préfète lundi 20 décembre, qui m’a répondu dès le lendemain qu’elle était attentive à la situation. Elle m’a dit qu’il y a une période transitoire et que la signalisation pourrait être revue », répondait-il.

Sur le plateau de France 3 Alsace, il a depuis plaidé que la rencontre de juin était une « réunion très technique », et que depuis, ses services « travaillent à une proposition » de nouveaux panneaux, en accord avec la préfète. Il devrait reparler de ses propositions lors de ses vœux à la presse le 24 janvier.

L’ancien président de l’Eurométropole, Robert Herrmann (PS), ardent défenseur du GCO, dit aussi ne pas avoir avoir été consulté. Il regrette le choix, mais il l’explique :

« Il y a une certaine logique professionnelle, notamment des agents de la DIR (la Direction interdépartementale des routes) qui consiste à détourner le trafic des centres-villes. C’est aussi le cas sur la nationale 83 qui n’indique pas Mulhouse, alors que le trajet est plus court. L’État a obéi à cette règle, qui ici est un non-sens ».

C’est en ce sens qu’il faudrait interpréter le communiqué du 22 décembre de la préfète du Bas-Rhin comme une défense de ses services. Josiane Chevalier vantait cette nouvelle signalisation et l’usage qui « vise à encourager les usagers à utiliser le contournement plutôt qu’emprunter la M35 (l’ex-A35), pour le trafic de transit mais aussi pour certains usages locaux » :

« L’entrée privilégiée dans Strasbourg est prévue par la M4 et la M351 pour que les usagers en provenance du nord et souhaitant rejoindre le sud de l’agglomération, ou l’inverse, empruntent le contournement. »

Communiqué de la préfecture le 22 décembre 2021

Est-ce uniquement la faute de la DIR Est ? L’Eurométropole assure dans un communiqué que par la suite, pendant l’année 2020, « la DIR Est (Direction Interdépartementale des Routes nationales) et l’Eurométropole de Strasbourg rappelaient qu’il était important de flécher Strasbourg avec différentes mentions et demandaient de prévoir des réserves nécessaires de panneaux pour conserver une souplesse sur les mentions à ajouter si nécessaire. À cette époque, l’Eurométropole n’étant pas gestionnaire de l’A35, cet avis technique n’a été considéré que comme consultatif. » C’est donc plus haut dans la hiérarchie que le message n’a pas été répercuté.

L’A35 permet d’accéder à Illkirch-Graffenstaden et Schiltigheim, mais pas Strasbourg ? Photo : PF / Rue89 Strasbourg

Peut-on changer ?

Le GCO ayant, pour la première fois, fait l’unanimité contre lui avec son fléchage défaillant, est-il simple de le rectifier ? Oui, assure Robert Herrmann, ancien président de l’Eurométropole :

« C’est une décision d’ordre technique. Si les collectivités locales demandent la même chose à l’État, la préfète n’a aucun intérêt à aller contre leur volonté. On a déjà changé des panneaux par le passé. Après, si on n’est plus d’accord sur ce qu’est le bon sens, c’est un autre problème… »

À sa successeuse Pia Imbs, il glisse au passage que « si elle s’était rendue à l’inauguration, elle aurait pu le signaler aux représentants de l’État ». Et s’il partage l’objectif de réserver une voie aux transports en commun et au covoiturage à certaines heures sur la portion strasbourgeoise de l’A35 (devenue M35), l’ancien patron de la métropole regrette néanmoins la signalisation. « Il aurait fallu des panneaux d’affichage dynamiques, qui selon les heures, indique à quelle vitesse on peut rouler et quelles voies sont réservées. L’affichage actuel est illisible et même dangereux ».

Interpellé, notamment par le nouveau collectif d’usagers de la M35, Frédéric Bierry a donc repris la main sur ce changement des panneaux. À l’Eurométropole, Alain Jund est plus prudent. « Il faut regarder tous les tenants et aboutissants, que Vinci ne se retourne pas contre nous s’il y a une baisse de trafic ». Une telle obligation existe dans le contrat signé par l’État, et transféré à l’Eurométropole, mais elle concerne l’interdiction des poids lourds en transit sur la partie strasbourgeoise de la M35.

La possibilité de changer facilement les panneaux, c’est en tout cas désormais la promesse du ministère des Transports. À Rue89 Strasbourg, il répond :

« Si les collectivités locales souhaitent aujourd’hui de façon partagée modifier la signalisation, l’État ne verra que des avantages à y procéder. »

Le ministère ne donne pas de calendrier et localement la Préfecture veut attendre jusqu’en juin. Alors que l’Eurométropole et la CeA ont du mal à dialoguer sur le choix de poubelles à l’Elsau, arriveront elles à s’entendre pour les automobilistes ? Au-delà d’un service rendu aux habitants et habitantes, qui après avoir été piégés prennent l’habitude du bon itinéraire, ce serait une manière de montrer que la politique sait encore rectifier les inepties technocratiques.


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