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Grève graduelle à Alstom-Aptis, alors qu’un mystérieux repreneur est évoqué

L’usine de bus électrique haut de gamme d’Alstom va-t-elle fermer ? À quelques jours de la fin des négociations du plan social, les syndicats ne souhaitent pas signer la proposition de la direction et appellent à la grève. La direction parle d’un mystérieux repreneur et demande deux semaines supplémentaires de négociations.

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Grève graduelle à Alstom-Aptis, alors qu’un mystérieux repreneur est évoqué

« Gâchis », c’est le mot qui revient sur plusieurs lèvres ce lundi 30 août devant l’usine des bus électriques Aptis à Hangenbieten, une société détenue par Alstom (lire notre enquête). Autour de quelques tartes flambées et de boissons, une centaine de salariés grévistes échangent sur le plan social qui attend les 141 salariés.

À quelques jours de la rentrée scolaire, le sentiment général est surtout l’incertitude. Le Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) doit être soumis à la signature de syndicats le 9 septembre, pour des premiers licenciements à partir du 31 octobre. Mais quelques jours plus tôt, la direction a finalement proposé de décaler de deux semaines ce délai pour trouver un repreneur. Dès lors, la question traverse les esprits : « Il y a-t-il un repreneur sérieux ou est-ce un repreneur fantôme pour continuer à mobiliser les équipes ? Il y a une pression pour continuer à produire, et pour arrêter les protestations qui pourraient effrayer un repreneur, » remarque Florian Bouché, secrétaire du Comité social et économique (CSE) et représentant syndical de la CFDT. « La direction a voulu mener de front la recherche de repreneur et les négociations du plan social et on a le sentiment qu’aucun des deux n’a été bien fait », juge de son côté Dagalayan Niyazi, électricien et élu de la CGT.

Son collègue Pascal Felice, de la CGT, doute de l’existence d’une société intéressée par l’usine :

« Notre crainte, c’est que les repreneurs industriels aient décliné, mais que l’entreprise en lice soit plutôt une société financière, plus ou moins spécialisée dans les plans sociaux. Alstom est prêt à verser plusieurs millions d’euros à un entreprise pour un accompagnement de la reprise. Mais il n’y a pas du tout de montant similaire pour les salariés qui, eux, jouent leur survie. Un accord de transition peut durer un an, 18 mois ou jusqu’à 24 mois grand maximum, mais ne garantit pas de pérenniser une activité ici pour les salariés. Il vaut parfois mieux un bon plan social qu’un mauvais repreneur ».

Du côté du groupe Alstom, la direction indique que « seules les offres fermes qui pourraient être formulées en fin de processus » seront communiquées aux syndicats et au personnel, comme le permet la loi. La démarche se déroule sous clause de confidentialité. « La priorité est d’avoir un repreneur solide, ce qui nécessite aujourd’hui un peu plus de temps », précise un porte-parole qui insiste sur le fait que « 300 entreprises » auraient été contactées pour cette activité « qui n’a jamais été rentable ». Les salariés devraient être fixés le 22 septembre.

Grève graduelle

À ce jour, aucune des organisations syndicales ne compte signer la proposition parallèle (concernant les indemnités, les reclassements, etc.) de la direction, dans le cas où il n’y aurait pas de repreneur. « On pense que la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets, les nouvelles Direccte ndlr) sera réceptive au fait que les choses n’ont pas été faites proprement si un accord unilatéral leur est soumis », projette Florian Bouché. Parmi les manquements, selon les organisations syndicales : l’absence de pré-retraites ; une « toute petite prime » pour création d’entreprise et surtout un congé de reclassement de seulement 12 mois. « Compte tenu des licenciements en automne, un an ne correspondrait pas aux dates de formations habituelles et des périodes d’embauches dans les entreprises. Il nous a été répondu “c’est pas grave il y a le chômage derrière” », poursuit Florian Bouché. Les syndicats rappellent les excellents chiffres financiers d’Alstom : 74 milliards de commandes à venir, 3,7 milliards de chiffre d’affaires au premier semestre pour un groupe « dans le top 10 du CAC 40 ».

En attendant, les salariés ont lancé une grève graduelle. Les équipes reprendront le travail mardi 31 août, mais leur mobilisation dépendra des propositions mercredi (négociations sur le plan social) et jeudi (discussion sur le décalage de deux semaines du plan social). Il reste une vingtaine des 50 bus commandés par la RATP à assembler d’ici la fin de l’année.

« Un repreneur ? Je n’y crois pas »

Un peu plus loin, quatre collègues échangent entre elles, partagées sur la suite. Les employées oscillent entre la volonté de tourner la page au plus vite et le soulagement de conserver un emploi. « Un repreneur, je n’y crois pas, Alstom cherche depuis longtemps, pourquoi deux semaines de plus maintenant ? », interroge Julie (prénom modifié) du service informatique. Comme ses amies, elle a déjà connu le changement d’employeur lorsqu’Alstom a racheté cette branche d’activité du groupe alsacien Lohr Industries :

« Il y a eu un changement de mentalité, avec du mieux au début, mais beaucoup de décisions incompréhensibles, comme d’avoir forcé un planning court alors qu’on n’avait pas de recul sur notre produit ».

Un moyen de transport historique face à une usine de transports du futur. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

« J’ai connu Alstom avec plus d’éthique »

Salarié d’Alstom depuis 21 ans, Michaël (prénom modifié), en charge des achats, avait demandé sa mutation de l’usine de Reichshoffen en Alsace du nord, où une partie de l’assemblage du bus est assuré, pour rejoindre l’aventure du bus électrique. Il ne reconnaît plus le groupe :

« On a le sentiment d’être baladé par la direction pour gagner du temps. Fin juillet, on nous disait qu’il y avait beaucoup de repreneurs et maintenant il n’y en aurait plus qu’un seul, alors que ça fait plus d’un an que des contacts ont été noués… On dirait que ces éléments transmis au compte-goutte servent juste à dégonfler la tension. Pour les personnes dans les bureaux, il n’y a pas trop d’inquiétudes pour retrouver du travail, mais il y a celles à l’assemblage pour qui cela va être compliqué. J’ai connu cette entreprise avec plus d’éthique. »

Aptis peut-elle continuer sans Alstom ? Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Avec plus de 30 ans d’ancienneté, Grégory s’occupe du service production à Hangenbieten et Reichshoffen. Il fait part de ses craintes pour lui et ses équipes :

« Il y a une grosse frustration après que les ouvriers aient beaucoup donné, avec des heures en soirées et des samedis. Maintenir la fin de la production dans ce climat social est compliqué. Pour les ouvriers, ça va être difficile de retrouver de l’emploi, car il y a d’autres fermetures comme celles de Knorr, ce qui fait que beaucoup d’ouvriers, parfois âgés, vont se trouver en concurrence, le tout dans le contexte du Covid. Pour les personnes qui sont mobiles géographiquement, il y aura des opportunités de reclassement à La Rochelle ou Belfort ».

Pas de prime supplémentaire en cas de déplacement

C’est l’un des autres reproches des syndicats. Comme l’usine de Reichshoffen va être vendue dans le cadre de l’accord avec Bombardier, le site Alstom le plus proche est l’usine de Belfort, à 150 kilomètres. « Pour la mobilité, il y a seulement ce qui est prévu dans les accords d’Alstom, mais rien de plus avec ce plan social, comme si ces indemnités étaient un cadeau », regrette Arnaud David-Verdoncq, représentant CFE-CGC. « Cela pourrait faire l’objet de discussions si l’on devait activer le PSE » répond-on, prudent, du côté d’Alstom.

Le maire de Hangenbieten, Laurent Ulrich est venu en soutien aux grévistes, accompagné d’un adjoint, ancien salarié. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Les manifestants ont reçu le soutien du maire d’Hangenbieten, Lauren Ulrich. L’élu local sans étiquette souhaiterait qu’une activité industrielle se maintienne sur le site. « Cette présence crée des besoins en crèches, écoles et dynamise le commerce local ». Sans oublier des recettes fiscales importantes pour cette petite commune de l’Eurométropole. Le maire était accompagné de son adjoint Damien Galmiche, ancien programmeur de Lohr Industries et de Translohr, devenu Aptis. À la retraite, il se rappelle que l’avenir « n’était pas très clair » lorsqu’Alstom a racheté cette branche d’activité en 2012. Autre élu de l’Eurométropole, le schilikois Antoine Splet (PCF) aimerait voir une mobilisation plus politique :

« C’est une activité qui a du sens, un bus made in France et qui permet de limiter l’impact carbone des déplacements. Il faudrait que la Région, l’État et l’Eurométropole se mettent autour de la table pour maintenir une activité ici, peut-être sous la forme d’une coopérative. L’État a aidé Alstom quand ça allait mal, l’Eurométropole aussi grâce à une piste d’essai à Entzheim et c’était bien de le faire. Il ne peut y avoir d’aides sans contreparties. Où sont tous les élus qui nous parlent d’attractivité ? »


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