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Guillaume Herbaut à Stimultania : l’Ukraine photographiée entre les lignes

Jusqu’au 31 mars 2019, le pôle de photographie Stimultania expose le travail de Guillaume Herbaut. Entre 2013 et 2017, au cœur de la crise ukrainienne, partant des manifestations pro-européennes de Maïdan jusqu’à la guerre civile, le photojournaliste livre son témoignage d’un pays en plein déchirement.

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Guillaume Herbaut à Stimultania : l’Ukraine photographiée entre les lignes

Vue de l’exposition (Photo Matthieu Armand)

C’est sur un portrait issu de la série The New Amazons que débute l’exposition l’Ukraine, de Maïdan à la guerre. Dans cette photographie en grand format une jeune femme aux longs cheveux blonds, coiffée d’une traditionnelle couronne de fleurs ukrainienne, pose torse nu, un poing levé vers le ciel, l’autre posé sur sa hanche. La carnation légèrement dorée de sa peau se détache de l’herbe jaunie et de l’arrière plan, où le ciel gris se confond avec une barre d’immeubles de la banlieue de Kiev. Une composition forte qui reprend une symbolique revendicatrice, questionnant la place des femmes et de leurs corps dans la société.

Ce portrait de Guillaume Herbaut pris en novembre 2012, est celui d’Inna Shevchenko, une jeune protestataire du groupe féministe Femen, en lutte pour les droits des femmes en Ukraine, avant de connaître l’exil politique en France et d’y développer le mouvement à l’international. À partir de cette note contestataire l’exposition développe un message visuel et politique percutant sur l’Ukraine des années 2010 et les revendications sociétales qui bouleversent le pays.

Vue de l’exposition (Photo Matthieu Armand)

Depuis un premier voyage à Tchernobyl en 2001, Guillaume Herbaut, photographe français né en 1970, développe un travail au long cours sur l’Ukraine. Sur les murs plutôt chargés de la galerie Stimultania, dans une scénographie semi-circulaire organisée chronologiquement, le spectateur découvre une soixantaine de clichés, issus de différentes séries photographiques débutées en 2012. En angle de vue frontal, les clichés se positionnent au même niveau que le spectateur, l’exhortant à se confronter directement à la crise ukrainienne mise en images.

Le portrait d’un pays en crise

Soigneusement composées, les vues de zones urbaines, structurées par leurs architectures, saisissent l’ampleur des manifestations de Maïdan, le mouvement d’opposition populaire apparu le 21 novembre 2013 en réaction au changement de cap du gouvernement ukrainien envers l’Union européenne. Il se transforme progressivement en lutte contre la corruption généralisée et l’ingérence du pouvoir russe dans les affaires du pays. Les clichés du photojournaliste présentent les affrontements. Les cadrages géométriques en plan large, s’attardent sur la détermination des manifestants, ou sur les rangs des Berkout, la police antiémeute, dans une opposition qui devient meurtrière.

Kiev – rue hrushevskoho – 22 janvier 2014 – 14h16 (Photo Guillaume Herbaut)
Des affrontements violents se déroulent entre forces de l’ordre et manifestants pro-européens depuis le 21 janvier. Les unités spéciales antiémeutes, les Berkouts, utilisent des armes à feu contre la foule. À la fin de la journée, on dénombre cinq morts et plusieurs centaines de blessés.

Tandis que les manifestations de Kiev aboutissent en février 2014 à la destitution du président Viktor Ianoukovytch, les provinces ukrainiennes du Sud-Est, à forte population russophone, connaissent des soulèvements puis des référendums d’autodétermination au printemps. Ces évènements débouchent sur l’installation d’une guerre dans le Donbass qui se poursuit depuis près de cinq ans.

L’Ukraine, de Maïdan à la guerre suit l’évolution politique du pays et les spectateurs découvrent alors les ravages de ce conflit, que ce soit sur les territoires ou sur les populations. Cependant, les photographies ne présentent jamais directement de scènes de violences. En photographiant les paysages ruraux de l’Est ukrainien, Guillaume Herbaut explore une large gamme chromatique, changeant au fil des saisons. Les lignes de force horizontales sont souvent entravées par des éléments architecturaux dévastés, autant d’éléments de ruptures symptomatiques d’un pays divisé.

Savur-Mohyla – 5 octobre 2014 – 16h55 (Photo Guillaume Herbaut)
Le monument de Savur-Mohyla, à la mémoire des soldats soviétiques morts durant la Deuxième Guerre mondiale pour contrôler cette ligne de crête stratégique, a été détruit. Le 21 août 2014, après des semaines de bombardements entre les forces pro-russes et pro-ukrainiennes, l’obélisque du mémorial est tombé.

Dépasser le sensationnalisme de l’actualité

Cette exposition, dont la date de clôture, le 31 mars, coïncide avec le jour du premier tour de l’élection présidentielle ukrainienne, offre le panorama d’un quotidien contrasté, fait d’attentes souvent déçues. Dans ce pays partagé en différentes zones et rongé par la corruption politique, s’est installé un conflit fratricide. Via ses photographies, Guillaume Herbaut confronte le public à des problématiques géopolitiques complexes, alors même que l’Ukraine, observée par ses voisins, l’Union Européenne et la Fédération de Russie, s’enlise depuis bientôt cinq ans.

Les photographies présentées lors de cette exposition naissent souvent dans l’urgence, ce sont des instantanés qui multiplient les points de vues sur la crise ukrainienne. Alors que notre société est submergée par les fake-news, il est essentiel pour le photographe de replacer les images dans leurs contextes. Aussi chaque cliché, s’accompagne d’une légende détaillée à la minute près.

Grâce à sa scénographie et à sa médiation, l’exposition de Stimultania nous propose une réflexion nuancée autour de ce conflit, l’explorant à la fois du côté ukrainien et du côté pro-russes. Tant par leurs parti-pris visuels que par leurs thématiques, les séries photographiques présentées engagent un vaste chantier de questionnements sur les origines d’un conflit, la nature d’une opposition, les notions de combattants et de héros.


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