
Après cette longue absence, votre matou préféré est de retour. Il ne vous avait pas lâchement abandonné, que nenni ! Il se prélassait au soleil et réfléchissait aux miaulements qu’il pourrait produire à la rentrée. Après quelques tergiversations, la garde à vue s’est imposée à moi comme une évidence. Parce qu’elle est sans doute la démonstration la plus criante de l’impuissance de l’avocat.

Miaou !
La garde à vue est une mesure restrictive de liberté décidée par un Officier de Police Judiciaire (OPJ). De principe, elle peut durer jusqu’à 24 heures, cette durée pouvant être portée à 48 heures sur autorisation du Procureur de la République. Cependant sur le fondement de la loi sur la criminalité et la délinquance organisées, la garde à vue peut faire l’objet de deux prolongations supplémentaires de 24 heures chacune. De surcroit, s’il y a un « risque sérieux de l’imminence d’une action terroriste en France ou à l’étranger ou que les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement », la garde à vue peut être prolongée de 24 heures, renouvelable une fois.
Le régime de garde à vue en France a été souvent décrié et la Cour Européenne des Droits de l’Homme a souvent condamné la France pour des traitements inhumains et dégradants subis par les gardés à vue. Sans compter son exigence de l’assistance effective d’un avocat qui jusqu’au vote de la loi du 14 avril 2011 réformant la garde à vue n’assistait pas aux auditions du gardé à vue, laissé de ce fait à la merci des autorités judiciaires.
Espoir de l’Europe
J’attendais tout de cette réforme. J’allais enfin me sentir utile voire nécessaire. Je participerai enfin à la construction de ce magnifique État de droit que mes professeurs m’avaient décrit lors de mes années d’études à la Faculté de droit. Je serai à moi seul pendant la durée de ma permanence garde à vue (24 heures) une force du progrès. Un humaniste pratiquant. Un Avocat.
Je voulais tout cela parce que, jeune avocat, ma première garde à vue fut pour deux enfants âgés de 13 ans, mis en garde à vue parce qu’ils avaient jeté des pierres sur un édifice public et brisé quelques vitres. Je me souviens de leur terreur. Je me souviens de leur « monsieur, je vais aller en prison ce soir ? ». Je me souviens des larmes incessantes de l’un deux. Traumatisés les gosses. Et moi avec.
Comment ? Comment ce pays qui se prétendait la patrie de droits de l’homme pouvait permettre à des forces de police d’aller cueillir des enfants au réveil pour les ramener dans ce que nous appelons dans notre jargon des geôles pour une bêtise d’enfant ? Comment ces gamins ont-ils pu supporter cette odeur d’urine et de vomi, les autres gardés à vue hurlant ?
J’avais juste envie de les prendre dans mes bras ces gosses et de leur dire que ce n’était qu’un cauchemar et que bientôt ils se réveilleront. Au lieu de cela, j’étais là, à leur débiner des règles de procédure pénale et tenter de leur expliquer ce qui pouvait se passer. Je me suis senti minable, inutile, insulté dans ma profession et dans le serment que j’avais prêté quelques mois plus tôt devant la Cour d’Appel. Quelle dignité, quelle humanité pouvais-je trouver dans le rôle qui m’était assigné ? Aucune.
Pas de baguette magique contre la prison
Je constatai par la suite que lorsque j’arrivai en garde à vue, le gardé à vue me regardait comme si j’allais accomplir une espèce de miracle, comme un magicien qui avait une baguette pour le faire sortir de ce trou. Hélas. Il n’en était rien. J’étais là, inlassablement, à leur débiner mes conneries sur la procédure pénale et les possibles issues de leur garde à vue « déferrement devant le parquet, puis comparution immédiate », « convocation par officier de police judiciaire devant le tribunal », « prolongation de 24 heures » et autres options possibles. Bref. Un étudiant en deuxième année de droit aurait pu faire ce que je faisais.
J’ai vite perçu que la seule différence que je pouvais faire était mon humanité. Ma compassion. Mes sourires. Mes tentatives de les faire rire. Je me souviens très bien de ce fou rire avec ce gardé à vue. Nous avons ri jusqu’aux larmes. Rien que de l’écrire, j’en ris encore. Je me souviens encore de ce gardé à vue couvert de vomi et grelottant de froid dans un commissariat du nord de l’Alsace et auquel je donnais ma veste. C’est tout ce que je pouvais faire. Je n’avais pas accès à la procédure et je ne l’assisterai pas lors de ses auditions.
Ou encore de cet homme ayant uriné sur lui parce qu’on ne l’avait pas emmené assez rapidement aux toilettes en dépit de ses appels incessants aux policiers présents. Sa morve au nez. Son indignité involontaire et forcée. Pas même un morceau de papier toilette à lui offrir. J’ai cru vomir. De tout. Et ces gardés à vue en manque. Ramenés à l’état de bête, privés de toute humanité.
La garde à vue, une leçon récurrente d’humanité
La garde à vue, à défaut de vous apprendre le droit, vous apprend l’humanité. Et j’ai appris. Loin de mes codes, loin de mes livres. Si loin de l’image qu’a le public de l’avocat.
J’attendais donc beaucoup de la réforme de la garde à vue. Quelle ne fut pas ma déception à la lecture du nouveau texte de loi. Si le texte prévoyait bien l’assistance d’un avocat, c’est d’un avocat réduit au silence dont il s’agissait. En fait d’accès à la procédure, l’officier de police judiciaire nous donne accès à des procès-verbaux totalement inutiles (notification de la mesure de garde à vue par exemple).
Je ne dis pas que cette réforme ne sert à rien, attention. Au moins, sommes-nous là pendant les auditions et évitons, peut-être certains dérapages. Ma première garde à vue après la réforme fut pour un monsieur sous tutelle, alcoolique et analphabète. Il était accusé de viol sur le petit ami de sa fille. Il sentait mauvais, il était sale. Mais, sans même le savoir, il a sauvé ma vocation.
Au début de la réforme, même les officiers de police judiciaire ne savaient pas trop où ils allaient et si le texte de loi prévoit que les avocats peuvent faire des observations, il prévoit que ces observations ne peuvent se faire qu’après l’audition du gardé à vue. Ces officiers ne le savaient sans doute pas, de telle sorte que j’ai pu, tout à loisir, interrompre mon client et revenir sur une déclaration où il avouait avoir commis les faits qui lui étaient reprochés, alors que quelques heures plus tard, on apprenait que les plaintes étaient infondées. J’ai retrouvé la foi. Et je ne lui serai jamais assez redevable de cela.
Je vois le piège, je ne peux rien dire
Les choses se sont vite mises en place et l’avocat fut vite rappelé à l’ordre lorsqu’il tentait d’intervenir au cours de l’audition. Je me souviens de ce tout jeune garçon qui était accusé d’avoir volé des vêtements (pour sa petite amie). Je voyais l’OPJ lui tendre le piège de la bande organisée par ses questions. J’étais avec une de mes stagiaires à ce moment là. J’étais dépité. Excédé de lui offrir cette vision de notre métier.
Le code de procédure pénale ne m’autorisait pas à l’assister, à l’aider à ne pas tomber sous le coup d’une circonstance aggravante qui augmentait la peine encourue de 4 ans. J’ai pris ce droit et ait ordonné à ce jeune homme de ne plus répondre aux questions. Mention de mon intervention fut portée sur le procès-verbal d’audition. Je n’ai pas fait ce métier pour rester impuissant face à de si petites choses. Sinon, à quoi bon ? Dont acte.
Finalement, après mûre réflexion, j’ai décidé en toute conscience d’arrêter de faire des gardes à vue. Du moins en permanence. Parce que je trouvais cela davantage frustrant d’être là et réduit au silence. Un meuble. Une vulgaire chaise en plastique repliable après usage. Un avocat à qui on offre le café par courtoisie mais pas le plein exercice de son métier par crainte de je ne sais quoi.
La vérité est qu’aujourd’hui, l’avocat assiste aux auditions de son client mais en aucun cas, il assiste son client pendant son audition. C’est un simple acte de présence, non de conscience. Pas assez pour moi ou trop peut-être. Alors, oui, vous ne parlerez pas sans la présence de votre avocat, mais sachez que lui, se taira. C’est la loi.
Cela aura au moins servi à cela :)
Miaou
Merci pour cet article, en tout cas.