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Julia Reda, la « pirate du Parlement, » se sera battue jusqu’au bout contre la réforme du droit d’auteur

Le Parlement européen s’exprime ce mardi sur la réforme du droit d’auteur. Ce texte vise à adapter les règles du droit d’auteur à l’économie numérique dans l’Union européenne. Dès le début des pourparlers, Julia Reda, seule eurodéputée du parti Pirate, s’est distinguée en essayant de préserver l’ouverture initiale d’Internet. Mais ses espoirs ont été douchés et l’élue se dit « très déçue » du résultat des négociations. Chronique d’une désillusion.

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Julia Reda a été élue au Parlement européen en 2014. (Photo domaine public)

Mardi 26 mars, 12h30, Strasbourg. La date est entourée en rouge dans l’agenda de Julia Reda. Après des mois de négociations hors norme, pendant lesquels les lobbyistes se sont livrés à une guerre sans merci et ont redoublé d’efforts pour tenter d’influencer les négociateurs, la directive « droit d’auteur » doit être formellement validée par le Parlement européen.

Pour Julia Reda, 32 ans, « la pirate du Parlement » comme elle se définit elle-même sur son site web, c’est une catastrophe. Les tensions se cristallisent autour de l’article 13 de la directive. Taxée de « machine à censure », accusée de « tuer internet », cette disposition vient instaurer le principe d’une « responsabilité » pour les plateformes numériques. Plus question pour elles de se retrancher derrière la responsabilité des utilisateurs : elles devront s’assurer que les contenus qu’elles rendent disponibles respectent bel et bien les règles du droit d’auteur.

Et tant pis pour la liberté d’expression, Internet rejoint le monde des espaces régulés… Sur Twitter, en allemand parfois, mais le plus souvent en anglais pour se faire comprendre du plus grand nombre, la députée multiplie les messages assassins. En ligne de mire : tantôt Berlin, tantôt Paris, tantôt certains de ses pairs à Bruxelles.

L’autre mesure phare du texte, l’article 11, c’est la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse, qui vise à les doter du droit d’autoriser la reproduction de leurs contenus, mais aussi de se faire rémunérer. Certaines plateformes comme Google News tirent en effet profit des publications de presse (par le biais de la publicité ou de la récolte de données personnelles notamment) sans reverser le moindre centimes aux éditeurs. Mais pour Julia Reda, cette disposition mettra les éditeurs dans la poche de Google et sapera l’un des fondements d’Internet, la capacité de faire des liens.

Plus qu’une bataille, un choix de société

Si Julia Reda, 32 ans, s’est rapidement distinguée dans ces négociations et a fait tant parler d’elle, c’est parce qu’elle s’est d’emblée investie corps et âme dans le dossier, qui lui tient à coeur depuis longtemps. Elle raconte :

« Réformer le droit d’auteur en Europe, en réalité, c’est ce qui m’a donné envie de devenir eurodéputée. Je n’étais qu’alors assistante de recherche à l’université, et travaillais sur les questions de droit d’auteur, de propriété intellectuelle, etc. C’est à ce moment-là que j’ai eu le déclic. J’ai su ce qu’il me restait à faire. »

Julia Reda a été élue au Parlement européen en 2014. (Photo domaine public)
Julia Reda a été élue au Parlement européen en 2014. (Photo JuliaReda.eu / cc)

En décembre 2013, la Commission européenne met sur pied une vaste consultation afin de réfléchir aux meilleurs moyens de repenser des règles du jeu du droit d’auteur, pour les voir mieux adaptées à un environnement numérique en pleine mutation. Ni une, ni deux, Julia Reda fonce. Elle répond avec le plus grand soin aux quelque 80 questions de l’exécutif européen, avant de faire de la réforme du droit d’auteur son principal argument de campagne. L’eurodéputée membre du groupe des Verts / Alliance libre européenne (ALE) au Parlement européen se souvient :

« A ce moment-là, j’étais encore très optimiste. Je pensais qu’une fois que la Commission avait entre ses mains toutes ces réponses – dont certaines étaient assez prometteuses, il faut le dire – à sa consultation, elle allait agir vite. Et bien. Cela ne s’est pas exactement passé comme prévu… »

Julia Reda est bel et bien élue le 25 mai 2014, mais la Commission européenne ne met sa proposition de réforme sur la table qu’en septembre 2016. Comme l’impose le processus législatif européen, le Parlement et le Conseil de l’UE s’emparent alors du texte. Ce n’est que dans un second temps que les co-législateurs cherchent un terrain d’entente, jusqu’à trouver un accord provisoire. C’est celui-ci qui est soumis aux votes à Strasbourg aujourd’hui.

Les sirènes des lobbyistes

Au Parlement, l’Allemand Axel Voss, membre du groupe du Parti populaire européen (PPE), Allemand lui aussi, devient « rapporteur » du texte, au grand dam de Julia Reda. Tout au long des négociations, elle n’aura de cesse de fustiger le travail de son collègue, l’accusant de céder aux sirènes des lobbyistes – notamment ceux de l’industrie culturelle qui lorgnent du côté des profits de Google et Facebook.

Julia Reda décroche pour sa part le rôle de « rapporteure fictive » pour son groupe des Verts / ALE. Chaque groupe a son rapporteur, responsable de mener à bien les travaux. Mais aucun d’entre eux ne semble autant faire de cette réforme un combat personnel que Julia Reda.

Julia Reda ne veut bringuer un nouveau mandat (photo domaine public).
L’article 13 de la réforme est la bête noire de Julia Reda. (Photo : Domaine public)

« Je ne lâcherai rien »

C’est avant les deux premiers votes (le premier négatif, le second positif) en plénière au Parlement (en juillet 2018, puis en septembre) que les campagnes de lobbying ont atteint des sommets. Celle intitulée « Save the internet » invitait les internautes à appeler ou à envoyer un e-mail aux eurodéputés pour les inciter à barrer la route à l’article 13. Les boîtes électroniques des élus débordent ; dans leurs bureaux, le téléphone sonne sans cesse. Beaucoup s’arrachent les cheveux, mais pour Julia Reda, une telle mobilisation n’avait rien de malsain :

« C’est fantastique de voir des gens s’engager pendant les négociations. La plupart du temps, l’opinion publique attend qu’un texte soit entré en vigueur pour s’en plaindre. Cette fois, les choses ont été différentes. D’autant que les eurodéputés ont l’obligation d’écouter leurs électeurs ! »

À partir du mois d’octobre, les « YouTubeurs » ont aussi été appelés par la plateforme de vidéos en ligne de Google à prendre position contre l’article 13. Et beaucoup ne s’en sont pas privés. En parallèle, les négociateurs du Conseil de l’UE et du Parlement européen se rencontrent, le temps de nombreuses réunions, tenues à huis clos, parfois à Bruxelles, parfois à Strasbourg. Fervente défenseure de la transparence, Julia Reda n’hésite d’ailleurs pas à rendre publics des documents de négociations supposés rester secrets.

Pour Julia Reda, le Parlement européen, c'en est fini : elle ne briguera pas un nouveau mandat. (Photo : EP)
Pour Julia Reda, le Parlement européen, c’en est terminé : elle ne briguera pas un nouveau mandat. (Photo EP / cc)

En février, l’accord dit « provisoire » entre les co-législateurs est enfin trouvé, après moult rebondissements. Pour Julia Reda, c’est le début de la désillusion. Elle n’aura pas réussi à barrer la route aux appétits des éditeurs. L’Allemande originaire de Bonn ne mâche pas ses mots :

« Cet accord est mauvais. Les éléments positifs dans ce texte sont trop rares… Les articles 11 et 13 sont franchement problématiques, bref, à mon sens, il faut rejeter cet accord. Je nous pensais vraiment capables, en tant qu’Européens, de négocier un meilleur texte. Je suis très déçue. »

Mardi 26 mars, 12h30, Strasbourg. Si la date est entourée en rouge dans l’agenda de Julia Reda, c’est aussi car au fond, elle le sait : cette bataille-là, maintenant, est derrière elle. Dans un message sur son blog, elle décrit comme la bataille va se dérouler mardi au Parlement, comme une sorte de pièce de théâtre déjà écrite… Mais l’Allemande n’a pas encore dit son dernier mot :

« Je ne veux pas me présenter aux élections européennes de mai. Mon but n’a jamais été de devenir politicienne professionnelle. Par contre, je vais maintenant me battre en Allemagne pour que cette directive soit mise en oeuvre de la « moins pire » manière possible. Une chose est sûre : je ne lâcherai rien. »


#Parlement européen

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