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La Fracture de Catherine Corsini, film nerveux sur une société en crise

Dans son treizième long-métrage, Catherine Corsini ausculte la société française en pleine crise des Gilets jaunes. En plaçant son histoire au sein de l’hôpital public, le film trouve un écho encore plus fort aujourd’hui. Elle raconte une double fracture : intime et sociale. Rencontre avec une réalisatrice qui revendique sa responsabilité politique et sociale.

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La Fracture de Catherine Corsini, film nerveux sur une société en crise

En essayant de rattraper son amoureuse qui la fuit, Raf (Valéria Bruni Tedeschi) tombe et se casse le coude. Julie (Marina Foïs) et Raf se retrouvent à l’hôpital, alors qu’une manifestation de Gilets jaunes a lieu sur les Champs Élysées. Les blessés arrivent en masse. Yann (Pio Marmaï), routier qui est venu à Paris pour manifester, laisse éclater sa colère. L’hôpital devient alors le théâtre shakespearien de la société française : la réalisatrice Catherine Corsini met en scène dans un huis clos rageux, la fracture sociale doublée d’une crise de l’hôpital et d’un couple en crise.

La réalisatrice s’est mise en scène à travers le couple formé par Valéria Bruni Tedeschi et Marina Foïs et montre sans complaisance le regard qu’ont pu porter les intellos de gauche sur les Gilets jaunes. Catherine Corsini a soif de montrer que les Français peuvent encore faire société, en lutte contre ceux qui voudraient que l’on pense le contraire.

Bande-annonce de La Fracture.

Rue89 Strasbourg : Le récit passe d’un point de vue à l’autre entre les trois personnages clés : Raf, issue d’un milieu intellectuel de gauche, Yann, un Gilet jaune, chauffeur routier et Kim, qui est infirmière. On sent que Raf représente votre regard sur les choses, mais comment avez-vous construit les deux autres personnages ?

Catherine Corsini: Je suis partie effectivement de mon couple, un couple en crise, mais surtout fatigué dans ses idéaux. La question qui me taraude est de savoir quelle pensée politique on peut avoir aujourd’hui, quand on voit l’état de la gauche. Comment parler de la société actuelle ? Quel regard porter et comment parler de la crise actuelle en France ?

L’accident que j’ai eu m’a fait passé une nuit à l’hôpital et je me suis dit que cela ferait un formidable terrain d’observation, de conflits, de tensions mais pouvait aussi apporter des situations drôles. Au départ j’avais construit plein de personnages, des gens que j’ai rencontré à l’hôpital, sur les ronds points. Puis petit à petit, l’hôpital a pris de plus en plus de place et je me suis recentrée. Le personnage de Yann, incarné par Pio Marmaï, s’est imposé assez instinctivement, j’aime cette figure assez chevaleresque du camionneur, qui roule la nuit…

« J’ai voulu travailler avec des soignants »

Votre infirmière est une sainte…

Kim est interprétée par Aissatou Diallo Sagna, elle est aide-soignante dans la vie. J’ai voulu travailler avec des soignants pour être au plus juste. Tous les gens que j’ai castés étaient extraordinaires : ce sont des gens qui aiment leur métier, qui sont dans l’abnégation, ils ont la foi ! Oui, c’est une sainte, elle a une grâce incroyable, dans la manière de tenir un enfant, de caresser la main d’une dame en train de mourir. Beaucoup d’infirmières ont cette capacité d’empathie très forte, de réconfort.

Les Gilets jaunes en manifestation à Paris affluent progressivement vers l’hôpital Photo : doc. remis

Le film s’ouvre dans un appartement bourgeois, sur une dispute de couple, un lieu commun du cinéma français… Puis vous sortez ce couple de chez elles et vous les plongez dans le chaos social. Est-ce une critique d’un certain cinéma français ?

En tout cas, il y a une partie de la critique, peut-être parce qu’elle n’est pas politisée, qui n’est pas très enthousiaste vis à vis du film, qui a vu l’hôpital comme un prétexte. Au contraire, je me suis mise en scène pour montrer le processus de l’ouverture à l’autre, comment nos idées préconçues se transforment. Nous ne sommes pas aussi divisés qu’on veut nous le faire croire, il y a moyen de faire sens commun. Aujourd’hui, on peut avoir l’impression que c’est impossible mais c’est faux.

Malgré tout le constat final est très dur, on sort secoué de votre film.

La fin du film a été beaucoup discutée mais ça ne pouvait pas se terminer bien. Ce corps blessé, c’est le corps social, qui travaille, qui est abimé. Il faut se réveiller ! Le gouvernement vient encore de supprimer 5 000 lits, beaucoup d’infirmières quittent l’hôpital. J’ai montré le film à un comité de 200 soignants et ils m’ont interpellée, en quelque sorte appelée à l’aide. Je me sens une responsabilité avec ce film. Plus personne ne soutient les grèves, on ne s’occupe plus de nous. L’hôpital c’est nos enfants qui vont y être soignés, nos personnes âgées. On a un outil merveilleux en France et on est en train de fabriquer une machine à deux vitesses.

Un dialogue tour à tour drôle et tendu entre Raf (Valéria Bruni tedschi) et Yann (Pio Marmaï) Photo : doc remis

En terme de direction d’acteurs, vous racontez que vous avez mis tout le monde sous tension pour donner à voir ce stress des urgences, comment avez-vous procédé pour créer cette tension ?

Alors ça je sais faire : mettre tout le monde sous tension ! (Elle rit) Je suis complètement angoissée pendant un tournage. J’ai fait en sorte que tout parte sur les chapeaux de roue, que les acteurs se sentent sur le grill, à chercher les accidents… J’ai choisi des acteurs qui aiment ça, être déstabilisés, donner quelque chose d’inattendu, c’est comme un jeu entre nous. Mais les dialogues étaient très écrits, Pio Marmaï a besoin de connaître son texte à fond, pour pouvoir s’oublier dans le texte. Valéria Bruni Tedeschi fonctionne par vagues, elle se laisse porter par ses émotions et a pu changer des choses.

Elle joue une femme au bord de la crise de nerf, parfois insupportable…

Elle n’a pas de surmoi, elle le dit. Elle a peur de mourir, elle a a peur de devoir vivre sans son amoureuse. Mais elle se rattrape toujours, par la drôlerie. Elle est insupportable, très centrée sur elle, et Julie, interprétée par Marina Fois, au contraire est celle qui aide. C’est un binôme qui s’exaspère et qui s’attire.

Vous tournez des longs plans séquences caméra à l’épaule, qu’est-ce que vous avez retiré de cette nouvelle façon de travailler ?

J’ai eu l’impression de me lâcher complètement ! C’est aussi la première fois que je tournais dans un lieu unique, avec des acteurs professionnels et non-professionnels. Il fallait que je rende ce lieu très vivant et donc j’ai cherché à créer du mouvement, de la fluidité, j’ai adoré !


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