

Démonstration de police à Paris (Philippe Leroyer / FlickR / CC)
Au-delà d’un argument de campagne sur fond de récupération d’un certain électorat, cette proposition du candidat sortant mérite qu’on s’y arrête un peu et qu’on l’analyse. Pourquoi ? Parce qu’à mon sens, elle est dangereuse.
Miaou.
Le moins que l’on puisse dire est que la légitime défense est une notion souvent invoquée ces derniers temps : assassinat de Trayvon Martin aux États-Unis, tuerie de Breivik en Norvège, braqueur marseillais blessé par balle par le bijoutier qu’il braquait et enfin mise en examen d’un policier pour homicide volontaire après la mort d’un malfaiteur lors d’une course poursuite à Noisy-le –Sec.
Toutes ces affaires ont en commun le fait que la légitime défense y est invoquée aux fins de justifier d’atteintes à la vie humaine. Même Breivik invoque ce motif pour justifier de son acte barbare. Le moins que l’on puisse dire est que la légitime défense est dans l’air du temps.
Et même le chef de l’État ne s’y est pas trompé puisqu’il a proposé que soit mise en place une présomption de légitime défense pour les policiers dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, suite à la mise en examen d’un fonctionnaire de police ayant abattu un délinquant en fuite le 21 avril.
L’impossibilité d’être condamné pénalement en cas de légitime défense
La légitime défense est une cause exonératoire de responsabilité pénale. C’est–à-dire que la personne ayant agi en état de légitime défense ne pourra voir sa responsabilité pénale reconnue par un tribunal et sera ainsi ou relaxée ou acquittée. On a ainsi vu récemment une femme battue ayant tué son époux être acquittée par la Cour d’Assises du Nord au motif que l’acte de tuer ce dernier était justifié pour sauver sa propre vie.
Les magistrats considèrent ainsi que l’acte de tuer peut être accepté si cet acte est réalisé pour sauver sa propre vie ou celle d’autrui. C’est une permission de la loi reconnue a posteriori, même si juridiquement il s’agit plus d’une exonération de responsabilité pénale.
Cependant, la légitime défense est strictement encadrée par la loi et suppose que certaines conditions soient réunies. Les magistrats veillent scrupuleusement à ce que la lettre de la loi soit respectée dans le cas d’espèce présenté devant eux. N’agit pas en état de légitime défense qui veut.
Les conditions de la légitime défense
La légitime défense est prévue par l’article 122-5 du code pénal qui dispose en son premier alinéa que « n’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense et la gravité de l’atteinte ».
Les tribunaux posent ainsi plusieurs conditions à la reconnaissance de la légitime défense. La première est le caractère de l’agression subie par la victime : il faut que cette agression soit injustifiée, c’est-à-dire non conforme au droit.
Ensuite, l’acte de légitime défense doit être concomitant à l’atteinte portée par l’agresseur. Ainsi, par exemple, si une personne est agressée, qu’elle retrouve son agresseur quelques heures plus tard et qu’elle l’agresse à son tour alors que tout danger a disparu, elle ne pourra invoquer la légitime défense pour justifier de son acte. Il faut donc que la riposte de l’agressé fasse suite immédiatement à l’agression. Pourquoi ? Parce que la légitime défense suppose un danger réel et immédiat. Non putatif et non passé.
Enfin, la légitime défense ne peut être reconnue que si la riposte de l’agressé est proportionnelle à l’agression subie. On ne saurait imaginer un homme tuer son agresseur si celui-ci lui vole sans violence sa voiture par exemple. Le législateur ici opère un juste équilibre entre atteinte à la vie et atteinte aux biens commis sans violence.
Ces conditions sont cumulatives, c’est-à-dire, qu’elles doivent être toutes réunies. Une seule ne suffit pas à établir la légitime défense.
Ainsi, les tribunaux ont pu reconnaître l’état de légitime défense dans le cas d’un policier qui avait fait usage de son arme en direction de voleurs en fuite, blessant légèrement l’un deux, pour faire face au danger réel qui menaçait tant son collègue que lui-même. La légitime défense a cependant été refusée à un inspecteur qui avait reçu pour mission d’arrêter un individu connu pour dangereux alors que celui-ci avait pris la fuite en bicyclette et se trouvait ainsi dans une position difficile pour se retourner et répondre à ses sommations en se servant d’une arme à feu.
Les présomptions de légitime défense
Une présomption légale renverse la charge de la preuve. Plus clairement, un policier alléguant avoir agi en état de légitime défense n’aurait pas à prouver que c’est bien le cas. Cela serait au Parquet de prouver que le policier n’a pas agi en état de légitime défense et c’est une différence plus que notable. Le parallèle est à faire ici avec la présomption d’innocence qui implique que ce n’est pas à vous de prouver que vous êtes innocent mais au Parquet de prouver que vous êtes coupable. C’est lui qui doit en apporter la preuve.
Le code pénal institue une présomption de légitime défense pour celui qui agit pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité d’individus ou qui agit pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages, exécutés avec violence.
Les gendarmes bénéficient quant à eux des dispositions de l’article L2338-3 du code de la défense, mises en place par le régime de Vichy, qui les autorisent à utiliser la force armée lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de « halte gendarmerie » faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes. Ce n’est pas exactement une présomption de légitime défense mais les effets sont identiques car il y a alors exonération de la responsabilité pénale du gendarme. Cet article a connu en 2010 une rare illustration à Draguignan où un gendarme a été acquitté alors qu’il avait abattu un gardé à vue qui fuyait menotté. Pas de menace pour la vie du gendarme et pourtant un homme a été tué sans que la justice prononce un verdict de culpabilité. Cet article de loi est scandaleux surtout si on considère la période à laquelle il a été mise en place.
La proposition du chef de l’Etat
Miaou. Après ces longs miaulements, vous voyez parfaitement pourquoi je trouve cette présomption de légitime défense dangereuse. Même Claude Guéant avait annoncé il y a quelques mois qu’elle revenait à un permis de tuer parce que dans les faits, c’est exactement cela. Si dans certains cas, le Parquet arrivera à déterminer le déroulement des faits et arrivera à apporter la preuve que la légitime défense n’est pas de mise, dans combien de cas, n’arrivera-t-il pas à le faire ?
Quid de la situation du policier seul ou accompagné de collègues qui le couvriront ? C’est une porte ouverte aux bavures déjà trop nombreuses. Je ne préjuge ici en rien de l’honnêteté des policiers qui font, je le sais, un travail difficile mais ils bénéficient de la présomption d’innocence et c’est bien suffisant à mon sens. C’est aussi au nom de cette dernière qu’il faudrait que les policiers continuent à percevoir leurs traitements pendant le temps de l’enquête et jusqu’à ce que leur responsabilité pénale soit reconnue. Ce qui n’est malheureusement pas le cas actuellement au mépris de la présomption d’innocence à laquelle a le droit tout citoyen, policier ou pas.
Miaou, non mais miaou quoi.
Breivik était un peu excité, mais vous aussi. Mettre dans le même préambule des criminels comme lui et la question de la légitime défense...
Changez de pâtée, ils vous mettent des trucs dedans, c'est pas possible...
Une solide réforme de la police qui éliminerait les fafs et les ripoux, instaurerait un réel contrôle démocratique et transformerait radicalement la culture machiste, antisociale et raciste prédominante dans les commissariats (ce que Chevènement avait plus ou moins tenté d'ailleurs) aurait un impact largement supérieur au rejet de cette loi!
Les jeunes des banlieues sont globalement plutôt sympas (quoique prêts à partir en vrille s'ils se sentent insultés, et n'ont souvent plus de limites à ce moment-là) mais une partie d'entre eux ont bien assimilés les principes de l'accumulation primaire de capital - qui ne se fait pas par la douceur.
Votre commentaire appelle forcément à une réponse de ma part. Pardonnez-moi et avec tout le respect que je vous dois, je ne pense pas qu'une culture machiste, antisociale et raciste prédomine dans les commissariats. Je les fréquente assez pour le savoir. Je ne nie pas que, comme dans toutes les professions, il y ait des moutons noirs dans la police mais ne faisons pas de généralités. Cela serait insulter tous ces policiers qui font correctement leur travail dans des conditions de plus en plus difficiles.
Bien évidement que les jeunes de banlieue sont globalement sympas mais il y a aussi une certaine minorité qui pourrissent la vie des gens qui vivent dans ces quartiers. C'est un fait.
Ne faisons pas preuve d'angélisme et refusons la thèse selon laquelle poliicer = méchant raciste et jeune de banlieue = victime.
Les choses sur le terrain sont plus complexes que cela à mon sens.
je crois que vous m avez mal compris.
J avais bien compris que dans la legislation actuelle la police n a pas le droit de tirer si vous essayez de vous enfuir (sauf si vous les menacez). C est pour ca que j ecrivais qu on doit penser a prendre des policiers costaud et courant vite.
Mais personnellement ca ne me choque pas que si vous tentez de vous enfuir quand la police veut vous arreter, celle ci use de tous les moyens pour vous en empecher. Et l un des moyen c est de vous tirer dessus
C est ce qu on appelle les risques du metier. Si vous etes routier vous risquez avoir un accident de la route, si vous etes voleur de vous faire arreter et si vous vous laissez pas faire de prendre une balle
Apres, il est evident que ce type de lois risque de provoquer des derives. Mais je pense que l immense majorite des policiers est honnete et n en profitera pas (d ou ma comparaison avec les avocats ou je suppose l immense majorite ne favorise pas les evasions de malfrats)
Je crois qu il faut mieux faire confiance aux gens et sevir s il y a abus que penser que les gens vont en profiter et etre restrictif a priori.
Je sais que c est pas la mentalite francaise (cf par exemple http://www.amazon.fr/La-soci%C3%A9t%C3%A9-d%C3%A9fiance-fran%C3%A7ais-sautod%C3%A9truit/dp/272880396X) mais je pense que sincerement on devrait essayer de changer les choses
Merci d'avoir pris le temps de m'expliquer. Votre point de vue se plaide si j'ose dire mais je reste convaincu que les policiers n'ont pas besoin de l'instauration de cette présomption de légitime défense. Je pense néanmoins que la présomption d'innocence lors de leur mise en examen devrait leur être totalement appliquée et leur permettre ainsi de continuer à percevoir leurs traitements et ce jusqu'au prononcé du jugement. Là serait un bon équilibre à mon sens.
Merci de votre soutien.
Quand on voit comment l'outrage avait été utilisé pendant les manifestation et autres, je préfère qu'on encadre les policiers correctement car il ne sont que des hommes.
Non, si vous refusez qu'un policier vous arrête et que vous n'êtes pas armé, l'infraction est la rebellion, éventuellement l'outrage si vous l'insulter. S'il vous tue alors que sa vie n'était pas en danger, ce n'est pas de la légitime défense.
Ensuite, lisez-moi bien. Je ne condamne pas toutes les forces de police. J'essaie de ne pas être aussi caricatural. Je dis que le risque existe et que de ce fait, il ne faut pas favoriser tout terrain glissant et dangereux à mon sens.
La loi, pour l'instant, ne permet qu'aux gendarmes de faire usage de leur arme si la personne n'obtempère pas. Pas aux policiers.
Enfin, concernant les avocats, je crois que plus d'un sont des délinquants et c'est exactement ce que j'ai répondu à Dasee (cf. ma réponse au commentaire précédent). Aucun corps professionnel ne peut se prévaloir d'une perfection telle qu'elle le priverait de certaines règles de droit. Et qui partirait du principe que quand un policier fait usage de son arme, c'est forcément en état de légitime défense. C'est vrai dans la plupart des cas. Je n'ai pas de doute là-dessus mais pour le risque d'erreur d'appréciation qui existe, et parce que le policier reste un être humain, je préfère l'état actuel de la législation faite avec application réelle et effective de la présomption d'innocence pour ces policiers.
Enfin, je ne suis et ne serai jamais dans cette logique qui voudrait que l'on oppose policiers et avocats. Chacun fait ce qu'il a à faire et chacun a son utilité. Et chacun fait ce qu'il peut dans le respect de notre état de droit. Beaucoup de policiers ont toute mon estime et mon respect. Et j'ai le droit aux leurs. Nous travaillons à Strasbourg en bonne intelligence et c'est appréciable.
C est peut etre pas dans les textes de loi mais ca me parait logique.
Si on refuse ceci, on ne doit prendre dans les forces de polices que des hommes courant tres vite et particulierement costaud afin de pouvoir arreter a main nue les criminels
Il faut assumer les consequences de ses actes. Si vous vous enfuyez au lieu d obeir a la police, il faut en assumer les risques
Le risque que la police se mette a faire des cartons sur des innocents existe certes mais ce n est pas parce qu il y a des brebis galeuses qu on doit condamner tout le troupeau (doit on dire que tous les avocats sont complices de criminel car l un d entre eux l est ? http://fr.wikipedia.org/wiki/Karim_Achoui)
Je ne suis pas professeur de droit mais avocat. De telle sorte que je vis le droit au quotidien (audiences de tout type, garde à vue, maison d'arrêt etc...). De telle sorte que le problème de savoir si je sors de temps en temps chez moi semble être réglé.
S'agissant de mon article, oui, je l'affirme, nous vivons dans un état de droit. Il y a des règles qui s'appliquent à tous, dont la présomption d'innocence dont doivent bénéficier les forces de police, comme n'importe quel citoyen. Et c'est pour cela que je dis qu'ils devraient avoir leurs traitements tant qu'un verdict définitif n'a pas été prononcé.
Concernant les bavures, pardonnez-moi mais je pense qu'une, même une seule, est toujours de trop. L'erreur est humaine mais persister est diabolique.
Je connais bien les forces de police à Strasbourg. Je peux même me targuer d'avoir d'excellentes relations avec ces dernières. Je dis simplement que cette présomption de légitime défense n'est pas justifiée et pertinente, parce que la présomption d'innocence existe, et que oui, les forces de police comptent parfois des gens inexpérimentés ou des moutons noirs (tout comme ma profession d'ailleurs).
Les forces de l'ordre ne sont pas parfaites et ce n'est pas ce que leur demande d'ailleurs. C'est pour cela qu'il y a des règles de droit. Vous n'êtes d'ailleurs pas sans ignorer que dans la plupart des cas, l'état de légitime défense est reconnu pour les forces de l'ordre.
De plus, face à une population de plus en plus en défiance, croyez-vous que cette réforme serait de bon aloi par rapport à l'image qu'elle donnerait de la police aux citoyens? Je ne le crois pas.
Quant aux amalgames dont vous parlez, c'est justement pour les éviter que j'ai rédigé cet article en expliquant quelles sont les conditions légales de la légitime défense. Elle n'est pas un concept politique mais juridique. N'en déplaise à Breivik.
Je fais ici appel à la raison. Pas à la passion.
Miaou.
Je persiste et signe :)
Vous dîtes que la présomption de légitime défense conduit à des bavures, soit. Les gendarmes disposant de cette présomption, pouvez-vous relever, sur 10 ans (Soyons raisonnable), le nombre de bavures par arme à feu commises par des gendarmes?
Votre article tend à faire passer les forces de l'ordre pour des bleus sans expérience, totalement incapable de cerner le cadre de légitime défense.
Je connais plusieurs personnes dans les forces de l'ordre, toutes m'ont raconté des histoires d'interpellation qui frôlent le drame, aucune d'entre elles n'a fait usage de son arme. Un de mes amis travaillant pour un service du GRI s'est fait tiré dessus par une petite frappe de banlieue, il n'a pas fait usage de son arme.
Au final, votre article, intéressant au passage, se contente de donner un cours de droit pénal sous couvert de lancer la pierre sur les services de police et de gendarmerie.
Sachez qu'après une course-poursuite en voiture, puis à pied, dans le noir, qu'une personne vous fait face avec une arme, vous ne réfléchissez pas à la portée du 122-5, vous sauvez votre peau, pas celle d'une pourriture.
Quand un danger ou une menace vous fait face, votre sécurité prime. Ne comparez pas les délires de Breivik avec les situations tendues vécues à chaque instant par les forces de l'ordre. C'est incomparable.
Pardonnez le retard à vous répondre mais j'avoue honteusement que je n'avais pas vu votre commentaire.
Merci de votre soutien et un spécial miaou pour vous, fée de mon enfance.