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À la SPA Strasbourg : « À un moment de ma vie, je me suis sentie aussi abandonnée que ces animaux »

Dans des conditions parfois difficiles, bénévoles et salariés de la SPA strasbourgeoise font leur maximum pour accueillir dignement des dizaines de chiens, parfois plus de 200 chats, des tortues, des lapins… Mais l’association offre aussi un refuge aux âmes perdues, parfois isolées, aux amoureux des animaux en tout cas.

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À la SPA Strasbourg : « À un moment de ma vie, je me suis sentie aussi abandonnée que ces animaux »

9h30. Le téléphone sonne à l’accueil de la SPA de Strasbourg. L’appel concerne un abandon. Sur le ton d’une phrase répétée à l’infini, l’une des deux secrétaires répond : « Nous n’acceptons plus de chats, nous sommes déjà plein. » Quelques heures plus tard, Anne fait face à une directrice d’Ehpad venue remplir « un formulaire d’abandon pour Pépette, la tortue d’une résidente décédée. » En contrat aidé depuis octobre 2020, Anne s’est « remise dans le circuit » grâce à la SPA strasbourgeoise. Suite au diagnostic d’un cancer, elle a perdu son travail. Son mari l’a quittée. À l’accueil de l’association de protection des animaux, la femme aux cheveux bouclés se sent bien ici : « Peut être parce que ça fait du sens pour moi de ma vie, à un moment, je me suis sentie aussi abandonnée que ces animaux. »

Anne, à l’accueil de la SPA Strasbourg : « A un moment, je me suis sentie aussi abandonnée que ces animaux. » Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

« Ici, tout le monde est surmené en général »

En tenue sportive à côté du comptoir, Simon jette un œil au programme de la journée : 14h, présentation d’un chien pour adoption. 15h, abandon de tortue. 17h, départ pour enquête sur des signalements de maltraitance. « Ici, tout le monde est surmené en général, les bénévoles comme les salariés », annonce le jeune homme. Avec le début des vacances d’été et la fin de son contrat d’assistant d’éducation au lycée Fustel, le trésorier et bénévole de l’association passe plus de temps ici : « Certaines semaines, je peux atteindre les 50 heures sur place », estime-t-il, le sourire aux lèvres.

Simon fait visiter les lieux, à commencer par les bureaux de l’association. À côté des ordinateurs, une tortue nage dans un aquarium. Dans la salle de réunion, à côté, un étrange amphibien blanc se cache dans un autre cube de verre, climatisé celui là. C’est la première fois que la SPA strasbourgeoise doit accueillir un axolotl, une espèce aussi fragile que menacée à l’état sauvage, qui ressemble à un têtard géant.

Simon présente un premier chien à Audrey et Laurent. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Une fiche pour améliorer le replacement

Au-delà de son bâtiment administratif à Cronenbourg, la SPA de Strasbourg se divise en deux grandes parties. Des enclos pour chiens d’un côté, difficilement séparés par un double grillage. Lors de notre visite, vendredi 30 juillet, 57 petits toutous, chiots, bergers allemands et autres molosses attendaient l’adoption.

Dans un brouhaha d’aboiements croissant, Simon passe devant chacun d’eux en passant les doigts dans les trous des barrières metalliques. L’obsession du jeune homme : replacer correctement les chiens et éviter au maximum de les voir revenir :

« J’ai mis en place une fiche pour avoir le maximum d’informations sur le chien. Est-ce qu’il est sociable ? Est-ce qu’il peut vivre dans un appartement, avec des enfants ? C’est pour ça qu’on préfère quand les propriétaires viennent déposer leurs animaux plutôt que de les laisser comme des objets… Si on connait le chien, ça nous permet de mieux organiser l’adoption. »

« On est souvent dépassé par la situation »

En face des chiens, un bâtiment accueille les chats et autres lapins. Du côté des félins, la SPA déborde : plus de 240 chats se trouvaient ici à la fin du mois de juillet. Les locaux offrent une capacité d’accueil de 172 félins… Simon ouvre la porte sur une pièce pleine de petites cages de 30 cm sur un mètre. Les chats y sont parfois entassés. Ici, une mère semble habituée se reposer dans sa litière. À ses côtés, des chatons partagent le peu d’espace restant. « C’est tellement galère, entre le nombre d’abandons et nos moyens, on est obligé de produire de la maltraitance », regrette Simon.

Dans une salle voisine, une jeune femme de 25 ans passe la serpillère depuis 8 heures du matin. Il est presque midi. Elle ne finira de nettoyer dans une heure ou deux. Il faudra ensuite passer au nourrissage de tous les chats. Sur le papier, Morgane est censée travailler huit heures par jour. Après avoir obtenu une licence en psychologie, l’étudiante a eu besoin d’une « pause ». Mais la parenthèse est loin d’être reposante. L’ancienne service civique, désormais en CDD, vient souvent plus tôt, et part plus tard : « On est souvent dépassés par la situation », explique-t-elle.

« Lui, si je ne viens pas le matin, personne ne le sort »

Toute la journée, des bénévoles passent devant un tableau sans cesse actualisé : il présente la liste des chiens à promener. Au fond de la SPA se trouvent les canidés les plus excités. Lorsque l’on passe devant, que les aboiements vont crescendo, un bénévole calme un berger allemand en lui parlant près de l’oreille et le caressant. L’homme semble toiser du regard le journaliste étranger qui a excité son toutou préféré. À deux reprises, l’homme ignore les tentatives d’approche. Thierry, promeneur bénévole depuis plus de trois ans, n’est pas étonné par ce comportement : « Ici, on trouve aussi des gens peu enclins à discuter, mais ils donnent tout aux animaux, c’est comme ça qu’ils trouvent de l’amour. »

Thierry, promeneur bénévole : « Ici, on trouve aussi des gens peu enclins à discuter, mais ils donnent tout aux animaux. C’est comme ça qu’ils trouvent de l’amour. »

Pour Martine, enseignante en collège et promeneuse bénévole, l’engagement à la SPA est une « addiction ». Lors des vacances scolaires, le week-end, elle s’occupe des quelques chiens difficiles. Ils sont là depuis plusieurs années parfois. Du fait de leur agressivité, des mauvais traitements subis, aucune famille ne veut d’eux. « Lui, si je ne viens pas le matin, personne ne le sort », explique-t-elle en désignant un vieux berger allemand. Son plaisir, elle le trouve « dans le regard du chien, je vois qu’il est content de me voir arriver, parce qu’il me fait confiance. »

Adoption et mains croquées

En début d’après-midi, un couple arrive de Mulhausen pour adopter. Le premier chien présenté, Rio, porte une collerette. Il aboie sans cesse. Lorsque Simon le lâche, il commence par me pincer vivement le mollet. Puis il égratigne l’avant-bras du mari. Alors le bénévole retourne dans les autres enclos, avec Laurent et Audrey. La femme s’arrête devant chaque cage où le chien ne montre pas les crocs : « Oh t’es mignon toi, mon pauvre, ils t’ont abandonné… »

Le couple s’en va après avoir payé les 280 euros pour l’adoption… mais sans le chien. Deux stagiaires de la SPA iront dans l’après-midi même chez Laurent et Audrey pour s’assurer que le petit chiot nommé Colette sera en sécurité chez eux.

Malaurye fait partie du duo qui se rendra chez le couple. Étudiante pour devenir auxiliaire spécialisée vétérinaire, la jeune femme de 23 ans a les deux mains bandées. La première porte deux points de suture provoqués par Tyson, un staff bull terrier. La seconde main a été blessée lorsque Malaurye a voulu dégagé sa première main des crocs du chien. « C’est un chien de combat, il a juste de mauvaises habitudes », dit-elle en souriant. Simon rétorque du tac au tac : « Ce n’est pas un chien de combat, avec ses énormes oreilles, c’est impossible qu’il a fait des combats… Et si tu dis ça, personne ne va l’adopter ensuite. »

Signalements et enquête de terrain

La fin de la journée approche. Catherine s’apprête à partir. Active dans l’association depuis 28 ans, elle enquête suite à des signalements de maltraitance sur des animaux. Aujourd’hui, elle se rendra devant quatre domiciles de l’Eurométropole de Strasbourg. Ce sont souvent les voisins, parfois des proches ou des passants, qui signalent un chien qui a trop maigri, des animaux malades ou coincés dans une cage minuscule ou sur une petite terrasse… De cette tournée ponctuée d’insultes et de menaces, Catherine rentrera, non sans l’aide de la police, avec deux chiens supplémentaires pour la SPA de Strasbourg.


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