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« Le braquage, c’est une bulle de liberté infinie, ça rend accro »

Bob a 63 ans et plus d’une centaine de braquages derrière lui. Gangster d’une autre époque, il raconte pour Rue89 Strasbourg une vie intense, faite de gros casses et de cambriolages, de fêtes en club jazz et de deux décennies derrière les barreaux.

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« Le braquage, c’est une bulle de liberté infinie, ça rend accro »

Bob compte sur ses doigts. « C’est bon je peux en parler, il y a prescription ». À 63 ans, l’ancien braqueur reste vigilant. « T’es pas en train d’enregistrer? », vérifie-t-il avant de reprendre une histoire de braquage, de compagnon de prison ou une anecdote en bijouterie. « Mon oncle, tu pourrais écrire un livre avec tout ce que t’as vécu », répète Yesman (le surnom de son neveu), sourire aux lèvres, les yeux admiratifs. Alors Bob reprend son discours. Celui d’une vie « intense », faites de gros casses, de fêtes en club jazz… et de prison.

Pour ses braquages, Bob utilisait des pistolets, mais surtout des fusils à canon scié « Ca impressionnait beaucoup plus », explique-t-il.

Violence et soif de liberté

Dans l’existence de Bob, la liberté a toujours été une valeur cardinale. Sa grand-mère, son père et d’autres encore ont connu les camps de travail en Allemagne. La première a sauté du camion au moment de sa déportation. Elle en est morte. Son père s’en est tiré. Mais la violence de la guerre ne l’a jamais quitté.

« Mon père, c’était une masse. » À 17 ans, il faisait 120 kilos. Il se battait souvent, parfois avec la police. Les enfants subissaient aussi la violence paternelle. Alors quand le frère de Bob s’est mis au banditisme, la réputation de Bob était déjà faite. « À 12 ans, j’avais déjà intégré cette marge qu’est le banditisme. D’un côté, les exemples qu’on me donnait, c’étaient des gangsters. De l’autre, la société me voyait déjà comme un voyou. »

« J’ai juste accompagné mon frère »

Moustache fine, juste au-dessus des lèvres, lunettes rectangle sur le nez, Bob se souvient en souriant de ses « compagnons de route ». Il égrène quelques noms : Michel, Constantin… Puis il rit en regardant au loin, ouvre une petite boite à cigarettes et boit une gorgée de rosé. « Ce qui m’a poussé à faire tout ça, c’est aussi l’amitié, explique-t-il, ça a commencé par mon frère qui braquait déjà. Je l’ai juste accompagné. »

Dès la fin des années 60, Bob enchaîne les braquages et les casses. Plus d’une centaine de vols dans des supermarchés, des banques, des entreprises ou chez des particuliers fortunés. « On ne s’arrêtait jamais… Quand t’as goûté à ça, si tu fais rien pendant deux ou trois jours, tu t’ennuies… »

« Maniaque et précis » : la méthode

Comment Bob, son frère et quelques amis proches ont-il pu amasser des « briques » pendant tant d’années? « Je suis maniaque et précis », répond-il. Le braquage comporte plusieurs étapes. Il y a d’abord le repérage. Un braqueur se gare à proximité d’une banque, d’un supermarché. Dans le rétroviseur, il guette les entrées et sorties des employés. Quelques jours plus tard, l’air de rien, il prend connaissance de l’intérieur du bâtiment. Une information essentielle : la position du coffre et du vigile qui le surveille. « Mais le plus important, c’est de choisir un lieu proche d’une sortie de la ville, et loin du commissariat ou de la gendarmerie », ajoute l’expert en braquage.

Dans un bar tenu par une connaissance, les gangsters prennent un verre en fin d’après-midi : « Le taulier me connaissait depuis que j’étais gamin, on était tranquille là bas. » Ils discutent longuement du plan, font l’inventaire des scénarios possibles… sans jamais définir de date : « On se décidait toujours au dernier moment pour éviter de se faire cueillir sur place… » Même le jour de son mariage, Bob a quitté les festivités quelques heures pour revenir « avec quelques briques. » Pourquoi ? « J’avais l’alibi parfait », répond-il en sourire en coin.

Spécialité : voiture bélier

La spécialité du gang de Bob : le braquage à la voiture bélier. « Tu rentres avec la caisse en défonçant la vitre à l’entrée, tu braques le vigile et tu te barres », explique-t-il. Les braqueurs portent des gants, un chapeau et un col roulé : « Au dernier moment, tu remontes juste le col jusqu’au nez, tu te fais pas remarquer avant. C’était plus pratique qu’une cagoule », décrit le sexagénaire. La clé du succès : « rester zen. Il faut être sérieux dans ce que tu fais mais rester détendu. On blaguait beaucoup pour évacuer le stress… »

Une fois sortis de la ville, les braqueurs s’isolent dans une forêt, près d’un lac. Ils ouvrent le coffre au chalumeau, puis le balancent à l’eau. Mais les gangsters ne se séparent pas une fois l’argent réparti. « On était toujours ensemble, en autarcie. Quand tu te retrouves avec des millions de francs, tu vas tout claquer dans les clubs avec tes potes », raconte Bob, en tirant sur sa fine cigarette. Mais le choix des bars, des boites, n’est jamais anodin : « On connaissait les propriétaires, parfois c’était eux qui nous aidaient à revendre la quincaillerie… Bien sûr, tu vas pas te faire remarquer devant des inconnus… Sinon t’es mort. »

« Tu vas pas le croire »

Le neveu avait prévenu : « Il y a des histoires que tu vas pas croire. Mais je sais que tout ce qu’il dit est vrai, parce que mon père, et mon autre oncle m’ont raconté les mêmes braquages. » Une nuit, vers 2 heures du matin, Bob et deux complices transportent un coffre au beau milieu de la rue à Paris. Une autre fois, de retour d’un braquage, Bob conduit une voiture en direction d’un lieu sûr. Un coffre caché sous une couverture se trouve a l’arrière. Les pistolets et autres fusils à canon scié se trouvent sur la banquette. Soudain, les phares éclairent le visage ensanglanté d’une femme, debout sur la route. Sa voiture, accidentée, est sur le bas-côté. « J’ai hésité. Puis je me suis arrêté et on l’a ramenée chez elle. Elle a dû voir notre tête dans le journal un an plus tard », raconte-t-il en pouffant de rire.

Bob a passé près de 20 ans en prison. Deux fois 10 ans. La première fois pour un échange de tirs avec un vigile, blessé. La deuxième fois, un complice a balancé une série de braquages… Le sexagénaire se souvient de ces parenthèses dans sa vie : « Au bout de quelques années, t’as tout laissé dehors. Il y a plus que la vie derrière les barreaux », explique celui qui a connu les prisons de Fresnes, Muret, Fleury, Colmar… Bob parle d’abord de l’année passée dans le même centre de détention que son père. Puis il se rappelle de ses amitiés nouées à l’ombre, avec le voleur d’art Stéphane Breitwieser, le chimiste et fabriquant d’héroïne Jo Cesario ou tel complice de Mesrine. « Lui et sa bande m’avait pris sous leur aile parce que j’étais à la bibliothèque à l’époque, je leur faisais passer ce qu’il faut », dit-il tout en restant évasif, toujours.

Accro au braquage

Pour certains, la prison est une leçon. Enfermés, ils prennent conscience de leurs actes. Le braquage restera un coup de tête, motivé par le rêve d’un voilier ou d’une vie sur une île. Mais pour d’autres, le prochain braquage s’organise derrière les barreaux : « Quand tu passes des mois, voire des années en taule, tu repères les types en qui tu peux avoir confiance, ceux qui tiennent parole… » Pour ces gangsters, l’argent n’est plus l’unique motivation. L’acte du braquage, du vol, suscite une dépendance, à l’adrénaline, au sentiment de surpuissance : « Ce qui rend accro dans le braquage, c’est cette bulle de liberté infinie. »

Aucun remord donc. Juste des regrets : « De ne pas avoir fait mieux, et plus, lâche-t-il sans hésiter. J’ai pu fréquenter d’autres milieux, moins interlopes, j’ai trouvé qu’une telle vie n’en valait pas la peine. Maintenant, il n’y a pas un jour qui passe sans que je pense à tous les copains, ceux qui m’ont tiré du pétrin… Je vois leurs sourires. Si j’avais vécu une existence plate, je ne serais plus là aujourd’hui. »


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