Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Dans une circonscription de droite et macronisée, Bruno Studer doit prouver qu’il mérite d’être réélu

Ancien bastion de droite, nettement macronisé depuis cinq ans, la circonscription 3 doit décider si elle redonne un mandat à Bruno Studer. La Nupes est outsider, mais cherche à modifier le centre de gravité de ce secteur.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

Dans une circonscription de droite et macronisée, Bruno Studer doit prouver qu’il mérite d’être réélu

Les quartiers de la Robertsau et Cronenbourg à Strasbourg, les communes populaires de Schiltigheim, Bischheim, Hoenheim et, plus au nord, deux petites villes paisibles, Souffelweyersheim et Reichstett. Bienvenue dans la circonscription 3 du Bas-Rhin, où le député sortant de la majorité, Bruno Studer, brigue une réélection. Contrairement aux deux autres circonscriptions strasbourgeoises, Emmanuel Macron y a réalisé un score légèrement meilleur que Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle (30,7% contre 29,2%).

Après 20 ans de droite, une conquête macroniste

Depuis 1997, la droite y a régné avec quatre mandats consécutifs d’André Schneider. Mais en 2017, la vague « En Marche » a brisé cette série, en l’emportant largement (59,77%) face à la droite. Le candidat LR de l’époque, le maire de Reichstett Georges Schuler, est depuis devenu un soutien d’Emmanuel Macron. Tout un symbole d’une droite locale qui se macronise… Le maire de Bischheim Jean-Louis Hoerlé, étiqueté LR, a par exemple annoncé qu’il votera Bruno Studer dès le premier tour.

Mais en 2022, c’est de la gauche que Bruno Studer va devoir se méfier. Unie grâce à la Nouvelle union populaire écologiste et sociale (Nupes), la gauche a de bonnes chances d’accéder au second tour. Depuis 2017, la gauche s’est ancrée et structurée à Schiltigheim en remportant (deux fois) les élections municipales. Comme partout en France, l’enjeu pour la Nupes sera de mobiliser l’électorat populaire et jeune qui avait voté Jean-Luc Mélenchon lors de l’élection présidentielle.

Bruno Studer, Sébastien Mas et Imène Sfaxi. Photo : docs remis

Les multiples causes de Bruno Studer

Député LREM (Renaissance) sortant, Bruno Studer reconnait que la bataille de 2022 sera plus difficile qu’en 2017 :

« Il y a 5 ans, on faisait campagne uniquement sur un projet. Cette fois-ci c’est aussi sur un bilan, on a quelque chose à perdre. Il y a le bilan collectif mais aussi le bilan personnel sur des lois que j’ai portées et l’application de celles-ci. »

Quasi-néophyte en politique, Bruno Studer s’est investi sur de nombreux sujets : la lutte contre les fake-news, les rodéos urbains, les punaises de lits ou encore les enfants influenceurs, « dont le décret d’application a paru il y a quelque semaines ». Sans que cet investissement tous azimuts ne règle ces problèmes. « Une loi n’est jamais miraculeuse », concède-t-il, lucide.

Il n’empêche, ce sont des arguments à opposer aux critiques de « députés Playmobil » auxquelles font face les Marcheurs, c’est-à-dire qu’ils ont voté pour tout ce que le gouvernement leur a demandé. « Sur la prolongation du délai d’IVG, c’est le Parlement qui l’a imposé au gouvernement. Parfois, le rapport de force se créée », rétorque Bruno Studer en contre-exemple. « Il y a beaucoup de débats en interne mais une fois les arbitrages gagnés ou perdus, il y a une discipline de groupe. On s’est beaucoup battus pour garder des classes ouvertes, alors qu’il y avait une forte pression politique pour en fermer. »

Studer ne veut plus rimer avec Blanquer

Car au-delà de ces lois, qui ont peu marqué le quinquennat, Bruno Studer a surtout été président de la Commission Éducation et Culture de l’Assemblée nationale. Sur ce sujet le plus politique et brûlant, il a été amené à beaucoup travailler, et défendre, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. La non-reconduction de ce dernier et la nomination de Pape N’Diaye a été interprété comme un désaveu par l’Élysée et un changement de cap.

Cela va-t-il impacter le futur de Bruno Studer ? Dans ce contexte, le député oscille entre soutien, mais aussi prise de distance avec l’ancien ministre :

« Le dédoublement des classes en Rep et Rep+ porte ses fruits, personne ne le critique. Dans ma circonscription, il y a 600 élèves en moins à la rentrée prochaine et un poste en plus. La réforme du Bac reste intéressante, mais elle a été percutée par le Covid et il est nécessaire de revoir des choses. Mais si tout avait été parfait, on n’aurait pas les problèmes actuels de recrutement. Avec des postes non-pourvus, ce n’est pas un problème de moyens pour l’Éducation, mais d’attractivité du métier. C’est un chantier à mener d’urgence et que je souhaite suivre de près. Je me suis aussi opposé au ministre sur les langues régionales. »

Bruno Studer dit « ne pas connaître particulièrement » Pape N’Diaye et comme beaucoup, il se demande quelle sera la teneur de ses premières prises de parole.

Tout au long du mandat, Bruno Studer a bien ratissé le terrain, notamment à coup de réunions publiques, deux fois par an dans les communes de sa circonscription pour défendre son bilan et celui de la majorité présidentielle. Une présence régulière et physique qui pourrait être utile pour mobiliser l’électorat dans une campagne atone, où l’on attend une faible participation comme en 2017. Ainsi, Bruno Studer n’a pas fait de faux pas majeur en cinq ans. D’un point de vue plus local, tout juste peut-on lui reprocher de n’avoir rien fait contre la fermeture de l’antenne strasbourgeoise de la radio FIP (contrairement au Marcheur Alain Fontanel, candidat dans la circonscription voisine), mais est-ce le genre de chose qui fait basculer une élection ? « J’ai été honnête et transparent, je me suis battu pour qu’il y ait plus de programmes culturels sur France Bleu et le maintien de France 4 », se défend-il.

La 67-3, baromètre de l’élection française ?

Déjà suppléant pour la France insoumise en 2017, le candidat de la Nupes devra faire le plein de son électorat pour avoir une chance. Sébastien Mas estime que cette circonscription sera un thermomètre de la tendance nationale :

« Si je suis élu, ça voudra sûrement dire que la Nupes a une majorité à l’Assemblée nationale. En revanche, je me vois mal l’être dans un contexte où l’on n’aurait pas la majorité. »

La circonscription est classée sociologiquement à droite, mais en 2012 par exemple, le deuxième tour avait été serré (50,99% pour la droite, face à une alliance PS / EE-LV). Contrairement aux autres circonscriptions de Strasbourg, il n’y a pas de candidature au centre-gauche qui pourrait handicaper de quelques voix le candidat Nupes.

Pour Sébastien Mas, l’union de la gauche se retrouve dans son entourage, au-delà des questions de partis :

« Mon mandataire financier est du Parti ouvrier indépendant et démocrate (POID), mon directeur de campagne du Parti communiste, quelqu’un d’EE-LV s’occupe des réseaux sociaux… Au-delà des partis, on se connait directement des luttes sociales. J’ai été investi un peu plus tôt que les autres candidats de la Nupes, ce qui m’a laissé plus de temps pour débuter ma campagne et organiser mon équipe. Ce qui n’est pas plus mal dans une circonscription difficile. »

Originaire de Cronenbourg, Sébastien Mas reconnaît que les choses mettent un peu de temps à se mettre en place à Schiltigheim, puisque la France insoumise n’est pas partie prenante de la majorité vert-rose-rouge à la mairie. Mais il a récemment rencontré la maire Danielle Dambach « qui est au combat pour imposer un rapport de force aux lobbys de l’immobilier ». Il compte sur un soutien accru de la municipalité schilickoise pour la dernière ligne droite.

Lors d’un pique-nique avec les jeunes militants de la Nupes, Sébastien Mas en a profité pour dire que sa candidature incarne aussi un état d’esprit : « Jean-Luc Mélenchon nous dit souvent, ne baissez pas la garde. C’est quand on baisse la garde que les pires mesures passent. » Il espère que le second tour lui donnera l’occasion de débattre directement avec Bruno Studer : « L’école est un domaine où ils ont tout pété, on se retrouve à faire des job dating pour recruter des professeurs en 30 minutes », critique-t-il notamment face à ses jeunes soutiens.

Une nouvelle tête à droite

Dans cet ancien bastion, la droite peut-elle jouer les troubles fêtes ? Le manque de dynamique nationale risque de peser. L’opposant à Strasbourg et élu départemental Jean-Philippe Vetter s’est désisté après le mauvais score de Valérie Pécresse. Le délégué de circonscription, Stéphane Bourhis, a également décliné. La tache incombe donc à Imène Sfaxi, toute nouvelle chez « Les Républicains ». Alors qu’en 2017, la mode à droite était de se présenter comme « Macron-compatible », ce n’est pas son axe de campagne :

« J’ai un bon accueil quand je dis que je suis de la droite et du centre et pas avec la majorité. On ressent beaucoup de déception vis-à-vis d’Emmanuel Macron. Et de questionnements. Est-il de droite ? De gauche ? Que veut-il faire avec le Concordat ou le droit local…? »

Bien qu’elle ait adhérée à LR il y a moins d’un an, Imène Sfaxi a déjà fait de la politique comme citoyenne. Depuis des années, elle est impliquée à Strasbourg comme parent d’élève, et notamment auprès de la mairie sur la question des cantines scolaires, sur les menus, ainsi que dans les instances de démocratie locale. Ce qui la frappe dans cette campagne : « le désintérêt total pour le rôle de député, alors qu’il est là pour contrôler le gouvernement ».

En candidatant sous les couleurs LR, elle veut apporter sa spécificité sur les questions de démocratie directe. « Par rapport aux autres candidats, j’ai l’expérience de ce qu’est une idée portée par des habitants ». Sur les cantines scolaires elle donne l’exemple d’un amendement parti de Strasbourg pour supprimer d’ici 2025 les barquettes plastiques des cantines. D’abord rejeté, il avait finalement été adopté par la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale.

Elle intègre un parti classique après avoir vu les limites des démarches non-politisées :

« Les mouvements citoyens ont leur avenir et je les soutiendrai, car ils intègrent différentes sensibilités politiques. Mais leur fonctionnement interne n’est pas toujours plus démocratique qu’au sein des partis. »

Imène Sfaxi a écumé ces formations dites citoyennes. Elle avait participé aux élections municipales de 2020 dans l’équipe des « Citoyens engagés » avec Chantal Cutajar, ancienne adjointe à la démocratie locale. Avant de quitter l’aventure et se retrouver sur une autre liste « citoyenne », avec Patrick Arbogast, sous la bannière « Égalité active ». Candidate à de nombreuses élections depuis les années 2000 (liste UDF ; Modem ; liste PS ; sans étiquette), Chantal Cutajar est également en lice dans la même circonscription. Elle représente cette fois le parti « Écologie au centre » de Jean-Marc Governatori, candidat méconnu de la primaire des écologistes qui n’en avait pas accepté le résultat. En présentant des candidats dans de nombreuses circonscriptions, ce parti vise à obtenir des financements publics. Même si les candidats de la Nupes veulent lutter contre « la municipalisation du scrutin » de cette élection nationale, la politique strasbourgeoise est un microcosme.


#élections législatives 2022

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles
Plus d'options