Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Législatives serrées à Strasbourg : deux circonscriptions à portée de la gauche

La Nupes est en tête dans deux des trois circonscriptions de Strasbourg. Elle devra néanmoins attirer des électeurs supplémentaires pour ne pas se faire doubler par Ensemble, qui espère profiter de reports de voix de toute part pour faire barrage à la gauche.

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Législatives serrées à Strasbourg : deux circonscriptions à portée de la gauche

Cinq ans après avoir complètement disparu de l’Alsace, la gauche est en mesure d’envoyer deux, voire trois, députés à l’Assemblée nationale. C’est le principal enseignement du premier tour des élections à Strasbourg. En Alsace, la majorité présidentielle (Ensemble!) s’est qualifiée dans 13 des 15 circonscriptions et sera le plus souvent opposée au Rassemblement national. (voir les résultats détaillés).

Mais même en tête à Strasbourg, la Nouvelle union populaire écologiste et sociale (Nupes) n’est pas assurée de l’emporter. Ayant déjà fait le plein à gauche grâce à l’alliance justement, ses reports de voix semblent incertains et son avance limitée. Face aux trois candidats strasbourgeois de la Nupes, les macronistes, au contraire, espèrent séduire les autres électeurs afin de créer une sorte de front « anti-Nupes ». À l’instar des ministres, les représentants d’Emmanuel Macron en Alsace devraient intensifier leurs critiques, et susciter la peur, sur le programme de la Nupes durant l’entre deux tours. En France, la coalition de gauche a remporté le plus de voix d’une courte tête (26,10%). Passage en revue des trois duels strasbourgeois et de la soirée des équipes.

L’écologiste Sandra Regol, et sous son parapluie Emmanuel Fernandes, sont les meilleurs espoirs pour la Nupes d’avoir des députés en Alsace. Photo : Danae Corte / Rue89 Strasbourg

Avance pour Sandra Regol, espoir pour Alain Fontanel sous les 30%

Du côté des candidats LREM, la soirée n’inspire pas l’inquiétude. Les macronistes de Renaissance ont réservé la terrasse de la brasserie du Tigre avenue du Faubourg-National, comme lors de l’élection présidentielle. Cette fois-ci en revanche, la soirée n’est pas ouverte au public ni à la presse. Postés devant les écrans avec des tartes flambées, ils ne souhaitent pas se prononcer sur les premiers résultats nationaux de 20h, qui mettent la Nupes et leur parti au coude à coude.

Entre 21h et 23h, les candidats du Bas-Rhin défilent dans les locaux de France 3 Alsace. La position avantageuse des Nupes se confirme à Strasbourg : avec 28,88%, Alain Fontanel est deuxième dans la 1ère circonscription, près de dix points derrière l’écologiste Sandra Regol (38,08%). Mais il ne s’inquiète toujours pas : « C’est une satisfaction, je fais grosso-modo le même score qu’Emmanuel Macron sur ma circonscription alors que nos adversaires, qui avaient fait 46% au premier tour de la présidentielle, sont en chute d’une dizaine de points », arrondit en sa faveur l’ancien premier adjoint. Malgré son retard, l’ancien candidat aux élections municipales se projette vers un deuxième tour « très ouvert ».

Réaction d’Alain Fontanel (vidéo DC / Rue89 Strasbourg)

Des scores convoités

Il faut dire que l’écart entre les deux favoris correspond au score du « troisième homme », Éric Elkouby avec 9,73%. Pour expliquer son score, l’ancien député PS pendant un an (2016-2017), déjà battu il y a cinq ans, s’en remet à un manque de visibilité, plutôt qu’à l’absence de parti politique à ses côtés :

« Je n’ai pas eu le même support médiatique que la candidate en tête. Et puis peut-être que certains strasbourgeois n’ont pas compris ma démarche, qui pourtant était honnête, claire et précise. »

Sur le plateau de France 3 Alsace, l’ancien élu départemental dit qu’il indiquera très vite son vote de second tour. Depuis cinq ans, il a beaucoup critiqué les macronistes et particulièrement son successeur Thierry Michels qui l’avait balayé en 2017. Mais les écologistes locaux, qui l’ont battu de quelques voix aux élections départementales en 2021, n’ont pas davantage ses faveurs.

Par le passé, il avait travaillé avec tout ce petit monde avant de claquer la porte de la majorité de Roland Ries pour devenir « un homme libre ». Ses voix feraient bien l’affaire d’Alain Fontanel, qui peut aussi regarder sur sa droite avec les 4,70% d’Audrey Rozenhaft (LR). Assez, en théorie, pour inverser une tendance défavorable.

Réaction d’Éric Elkouby (vidéo DC / Rue89 Strasbourg)

Avant d’entrer sur le plateau de France 3, Sandra Regol pense d’abord collectif et rappelle que dans les trois circonscriptions strasbourgeoises, et aussi celle du Kochersberg qui empiète sur l’Eurométropole, la Nupes se qualifie à chaque fois au second tour. Sa stratégie pour la semaine de campagne :

« On va continuer à faire de la pédagogie sur pourquoi voter peut changer l’orientation du gouvernement, continuer à dérouler notre programme et les 100 premiers jours de ce que serait la cohabitation avec la Nupes, pour montrer que nous avons le seul programme pragmatique, qui tient la route et apporte de la justice sociale et environnementale. Le projet de la LREM c’est pareil qu’avant, en pire ».

Réaction de Sandra Regol (vidéo DC / Rue89 Strasbourg)

En fin de soirée, une fois que les élus strasbourgeois ont rapporté au centre administratif les urnes de leur bureau de vote, certains convergent au bar Meteor pour célébrer le bon score de Sandra Regol. Dont la maire Jeanne Barseghian et son premier adjoint Syamak Agha Babaei, aux côté de la numéro 2 d’EE-LV.

Le V de la victoire, symbole de la Nupes, pour Sandra Regol d’EELV aux côtés de la maire Jeanne Barseghian et son premier adjoint Syamak Agha Babaei en fin de soirée. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

Sylvain Waserman devancé par un inconnu

À 20h30, en face du Auchan de Baggersee, une cinquantaine de personnes sont présentes pour soutenir Emmanuel Fernandes, le candidat La France Insoumise (LFI) pour la Nupes. Les yeux rivés sur leurs téléphones portables avec une chaîne d’information en fond, les militants, plutôt enthousiastes, suivent le dépouillement des différents bureaux. Les premiers résultats de sa circonscription proviennent d’Illkirch-Graffenstaden. Derrière Sylvain Waserman dans cette commune, il se réjouit tout de même de finir deuxième avec 23% des voix dans une zone « peu favorable sociologiquement » en comparaison des quartiers populaires du sud de Strasbourg.

Emmanuel Fernandes très fort là où la participation est faible

Les premiers retours font état de faibles participations dans les quartiers pauvres. Au bureau du Gymnase de l’école élémentaire Guynemer, au Neuhof, Emmanuel Fernandes a rassemblé 48% des voix, mais avec un taux d’abstention de plus de 70% ! Idem au bureau du Gymnase de l’école de la Canardière, avec 46%, et une abstention de 65,62%. Ces bons résultats ne permettent donc pas de creuser l’écart comme ils représentent à chaque fois peu de voix. « Plus ça participe, mieux c’est pour nous », assure Emmanuel Fernandes, avant d’insister sur « le très grand effort » de son équipe :

« Nous avons mené 60 actions par semaine pendant la campagne : du tractage, du boitage et nous avons sonné à 5 000 portes partout dans la circonscription. »

Une fois tous les bureaux dépouillés, Emmanuel Fernandes vire en tête avec 36,89%. Distancé de 2 279 voix, Sylvain Waserman reste à portée (30,31%). Il a néanmoins une difficulté : même si tous les électeurs d’Alexandre-Wolf Samaloussi (LR) avec ses 6,4% se reportaient sur lui, il lui manquerait encore quelques voix pour dépasser le candidat de la Nupes. S’ils se décident à choisir un des candidats, peut-être que les électeurs du RN (11,5%) peuvent faire basculer cette circonscription.

L’ambiance est plus silencieuse au QG de Sylvain Waserman (Modem) avenue de Colmar à l’arrêt de tram Schlutfheld. Une quinzaine de personnes accompagnent le député sortant. Devant la réaction de Jean-Luc Mélenchon à propos des résultats en France, aucune voix ne s’élève. On reste confiant même si les résultats des bureaux de vote à Strasbourg ne sont pas encore arrivés. 

Dans sa chemise blanche et son téléphone à la main, le député sortant se met à l’écart, il jette un œil sur les résultats. Dans une autre pièce, quelques membres de son équipe de campagne suivent les remontées, bureau par bureau. Les pizzas sont arrivées, elles ont le goût de l’enthousiasme, mais pas au niveau espéré. 

« Les résultats définitifs ne sont pas encore tombés, mais il semble que je sois au second tour derrière la France Insoumise », annonce Sylvain Waserman à ses troupes en « remerciant les électeurs qui l’ont placé au second tour ».

Débattre et proposer d’être révocable

Les résultats désormais connus ne modifient guère l’atmosphère, toujours atone, à peine perturbée par quelques discussions entre militants devant la porte. Le candidat estime que « le vrai débat démocratique commence » entre « deux visions du monde » et qu’il est temps d’avoir un débat « projet contre projet » face à son rival pour convaincre les électeurs de sa circonscription lors du second tour. Il ciblera notamment la « question européenne » ou les « enjeux locaux ».

Pour susciter la confiance, Emmanuel Fernandes annonce de son côté qu’il compte, s’il est élu député, proposer un référendum révocatoire dans sa circonscription en février 2024 :

« Au tiers du mandat, si une majorité des habitants souhaitent que je démissionne, je le ferai. C’est un engagement démocratique pour moi, et je n’en ai pas peur. Il faut recréer de la confiance entre les citoyens et les élus. »  

Les réactions des deux candidats

Réaction de Sylvain Waserman. (vidéo DC / Rue89 Strasbourg)
Réaction d’Emmanuel Fernandes. (vidéo DC / Rue89 Strasbourg)

Au nord de Strasbourg, Bruno Studer en tête, avec une marge limitée

Au restaurant du Cygne, le QG de la Nupes à Schiltigheim n’a pas attendu les premiers résultats pour être à la fête. Une musique funk des années 90 résonne dans les haut-parleurs tandis que des Schilikois présents mangent une tarte flambée et boivent une bière ou deux. Puis vers 20 heures, Sébastien Mas, candidat de la gauche unie dans la troisième circonscription du Bas-Rhin, se félicite déjà de sa troisième place à Reichstett, derrière le candidat du Rassemblement National et Bruno Studer en première position. « Ce score à Reichstett, ça veut dire qu’on progresse même là où la France insoumise a fait ses pires scores en 2017 (quatrième, avec 12% des voix de cette commune) », compare celui qui était déjà suppléant cinq ans plus tôt.

Sébastien Mas, candidat Nupes tout sourire dès les premiers résultats, au bar – restaurant « Au Cygne » à Schiltigheim. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Tout autour des tables rouges, une trentaine de personnes attendent impatiemment les chiffres des autres bureaux de vote. Gérard Schann, conseiller municipal écologiste à Bischheim, se montre agréablement surpris face à la première place de la Nupes dans sa commune (30,82% contre 30,30% pour Bruno Studer) :

« Cela montre que la Nupes bénéficie d’une vraie dynamique et que Bruno Studer paye son mauvais bilan notamment sur la question des moyens pour l’école, où il a été totalement absent. »

Vers 22h30, les résultats se précisent et donnent Bruno Studer en première position avec 34,70% des voix, devant le candidat de la Nupes Sébastien Mas (30,77%). La représentante locale du Rassemblement national arrive troisième, loin derrière.

Une difficile imbrication entre son terrain et son parti

Côté Renaissance, changement d’ambiance. Les soutiens de Bruno Studer sont réunis sur la terrasse de sa suppléante, la conseillère municipale schilikoise d’opposition Hélène Hollederer. Peu après 20 heures, les résultats provisoires sont trop imprécis pour permettre au député sortant de réagir. Mais il évoque rapidement les difficultés de sa campagne :

« J’ai aussi rencontré des électeurs qui apprécient mon bilan, mais pas mon étiquette. Dans cette élection, faire la part entre le local et le national peut être compliqué. »

Bruno Studer, député sortant et candidat du parti présidentiel récemment renommé Renaissance, dans le jardin de sa suppléante. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Puis l’ancien président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation rappelle son contact régulier avec la population : « J’ai tenu plus d’une centaine de réunions publiques. Tous les six mois, j’ai présenté le bilan de mon action c’était un engagement. » Mais sans effet sur la participation. Des trois circonscriptions strasbourgeoises, c’est celle de Bruno Studer où l’abstention est la plus forte avec 54,58%.

À ses côtés, Hélène Hollederer, sa suppléante, estime que le parti présidentiel l’emportera :

« Les gens entendent ce discours sur la nécessité d’avoir une action publique efficace. Pour ça, il nous faut une majorité absolue à l’Assemblée nationale ou alors une majorité d’action qui pourrait se faire avec des alliances. »

Réaction des deux candidats

Réaction de Sébastien Mas (vidéo DC / Rue89 Strasbourg)
Réaction de Bruno Studer (vidéo DC / Rue89 Strasbourg)

Cibler les abstentionnistes où les autres candidats ?

Des trois candidats d’Ensemble ! à Strasbourg, Bruno Studer est celui en meilleure posture. Son avance est maigre (1 250 voix), mais il devrait pouvoir compter sur des reports d’électeurs d’Imène Sfaxi (LR), quatrième avec 5,49%, soit 1 758 voix.

Pour Sébastien Mas, la partie semble difficile, mais pas impossible. Qui sait comment voteront les électeurs du Rassemblement national (13,46%), de Chantal Cutajar (4,48%) et sa bannière écologiste ?

Dans leurs réactions, les deux camps ne ciblent pas les mêmes personnes. Pour Bruno Studer « nous avons une semaine pour convaincre un maximum d’électeurs, j’appelle les candidats éliminés à me rejoindre ». La suppléante du candidat de la France insoumise, Marie Albera Meynioglu, pense de son côté à ceux qui ne se sont pas déplacés :

« Il y a encore eu beaucoup d’abstention dans certains quartiers populaires, (dans le quartier des écrivains à Schiltigheim, ou à Cronenbourg, NDLR), donc on va concentrer nos actions là-bas. »

Marie Albera Meynioglu, suppléante du candidat Nupes Sébastien Mas : « Il y a encore eu beaucoup d’abstention dans certains quartiers populaires, donc il va falloir qu’on concentre nos actions là-bas. »

Une abstention de nouveau forte, même dans les beaux quartiers

Comme redouté, l’abstention a retrouvé un niveau élevé, à l’instar de 2017. Dans un quart des bureaux de vote de Strasbourg, entre 58 et 80% des électeurs ne se sont pas déplacés. Comme souvent, c’est notamment dans les quartiers populaires qu’on retrouve le plus d’abstention, mais pas seulement. Des bureaux de vote au Conseil des XV, à la Bourse, à l’Esplanade, au Wacken ou à la Robertsau se sont abstenus à 50% environ, fait inhabituel.

Le deuxième tour a lieu dès dimanche 19 juin. Ensuite, il n’y aura plus d’élections jusqu’aux européennes en 2024. Puis suivront les municipales de 2026.


#élections législatives 2022

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