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Les chauves-souris alsaciennes, un trésor de biodiversité menacé

Les naturalistes dénombrent 23 espèces de chauves-souris en Alsace. Dotées d’ailes pour voler, de grandes aptitudes de chasse, ou encore de capacités de communication évoluées avec leurs congénères, elles régulent les populations d’insectes. Souvent établies dans la forêt, les populations de ce mammifère sont en baisse…

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Les chauves-souris alsaciennes, un trésor de biodiversité menacé

Les chauves-souris sont partout où elles peuvent trouver refuge : en forêt, dans les bosquets, les grottes, cachées dans des caves et des habitations… Les chiroptères forment le deuxième plus grand ordre au sein de la classe des mammifères, avec près de 1400 espèces. Lisa Thiriet est salariée du Groupe d’étude et de protection des mammifères d’Alsace (GEPMA). Elle est tombée sous le charme de ces êtres discrets, à tel point qu’elle s’est spécialisée dans le domaine :

« La plupart des personnes qui ne s’y connaissent pas et qui voient juste furtivement passer une chauve-souris de temps en temps, sont loin de se douter qu’en Alsace, il y a au minimum 23 espèces différentes. En plus, la variabilité entre celles-ci est impressionnante, dans les apparences, les modes de vie ou encore l’alimentation. Pour les naturalistes, les chiroptères sont très intéressants. »

Le différentes espèces de chauves-souris sont adaptées à leur environnement : certaines comme la pipistrelle commune peuvent vivre dans des immeubles ou des maisons. (Photo Olivier Hesnard GEPMA / Rue89 Strasbourg / cc)

Longtemps, les chauves-souris étaient méconnues

Pourtant, les spécialistes des chiroptères sont rares. Christelle Brand et Gérard Hommay font partie des auteurs de l’Atlas de répartition des mammifères d’Alsace. D’après eux, la quasi-absence de cavités naturelles dans la région a largement limité l’engouement pour les chauves-souris à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème. Ailleurs en France elles étaient très étudiées à cette période.

Les grottes constituent des refuges hivernaux connus où les naturalistes peuvent se rendre pour identifier les espèces. En Alsace, les chauve-souris sont difficiles à trouver car elles préfèrent les creux naturels, comme dans les vieux arbres suite au travail des pics.

23 espèces répertoriées en Alsace

Aujourd’hui, la majorité des naturalistes qui parviennent à identifier les espèces sont des bénévoles qui en ont fait leur passion. Le GEPMA s’appuie sur ces bonnes volontés pour réaliser des inventaires. Lisa a suivi une formation par le biais de l’association, mais s’est surtout formée sur le terrain lors de ses missions.

Au final, les 23 espèces répertoriées montrent une grande diversité. La pipistrelle commune, d’une taille de 4cm, peut vivre en ville. La noctule, qui mesure 8cm, habite plutôt les forêts. Il y a aussi l’oreillard qui détonne par ses grandes oreilles.

La noctule est la plus grande espèce alsacienne. (Photo GEPMA / Rue89 Strasbourg / cc)
L’oreillard gris est l’espèce avec les plus grandes oreilles dans la région. (Photo Jasja Dekker / Rue89 Strasbourg / cc)

Refuge en forêt ancienne

Les chauves-souris sont plus ou moins abondantes selon leur tolérance aux activités humaines et leurs exigences écologiques. D’après Lisa, la préservation de certaines forêts y a permis une plus grande diversité :

« En ville, on ne va retrouver que 4 ou 5 espèces qui se sont adaptées aux milieux urbanisés. Par contre, toutes celles qui nécessitent un écosystème complexe s’installent dans les bois de Haguenau, les forêts rhénanes, celles de la Hardt vers Colmar ou dans les Vosges. Elles ont besoin de forêts anciennes avec une grande diversité d’arbres pour que les gîtes et les ressources alimentaires soient variées. Avec 23 espèces, on ne s’en tire pas trop mal. Mais il faut rester vigilant parce qu’elles survivent grâce aux refuges de biodiversité qui subsistent. Dans certaines régions du sud comme l’Aveyron, le Tarn ou le Lot, on trouve à peu près le même nombre d’espèces mais les populations sont beaucoup plus importantes. Là-bas, la forêt occupe plus de territoire par rapport à l’Alsace où l’agriculture intensive est très développée, et induit notamment l’utilisation d’insecticides qui suppriment la ressource en nourriture des chauves-souris. »

En Alsace comme ailleurs en Europe, les chauves souris se nourrissent presque exclusivement d’insectes, et d’arthropodes comme des araignées ou des scolopendres. Elles régulent ainsi les populations très efficacement. La dentition de ces carnivores est adaptée par la présence de canines. Certains paysans installent même des gîtes pour les attirer et diminuer ainsi les populations de ravageurs. Contrairement aux idées reçues, les chauves-souris ne sucent pas le sang des être humains, elles ne représentent aucun danger.

Les chauves-souris possèdent une vraie dentition de carnivore avec de longues canines. (Photo J. Vittie GEPMA / Rue89 Strasbourg / cc)

Ces excellents chasseurs

L’ordre des chiroptères tire son nom du grec et signifie « qui vole avec les mains ». Il est constitué des seuls mammifères qui pratiquent le vol actif, à différencier du vol plané employé par certains écureuils. Cela leur confère la capacité de chasser au vol ou à l’affût (en se cachant pour voler vers les proies). En général, les chauves-souris cherchent leur nourriture la nuit, en plein ciel, dans la végétation, au sol ou encore au-dessus de l’eau selon les espèces.

Elles sont les seuls mammifères à pratiquer le vol actif. (Photo Pxhere / Rue89 Strasbourg / cc)

Les chauves-souris entendent des sons très faibles émis par les insectes. Elles s’orientent ainsi principalement grâce à l’écoute. Avec leur larynx, elles émettent des ondes ultrasonores qui sont renvoyées par les éléments qui les entourent. C’est en utilisant cet écho que les chiroptères parviennent à percevoir précisément leur environnement, à la manière d’un sonar. Aujourd’hui, les naturalistes se servent de ces sons émis pour étudier les chauves-souris grâce à des détecteurs d’ondes ultrasonores parfois appelés Bat Box.

Enregistrement au ralenti d’une sérotine commune avec un détecteur d’ondes ultrasonores. (Fichier GEPMA / Rue89 Strasbourg / cc)

Des êtres sociables

En terme éthologique, certaines espèces sont sociables. Gerald Kerth, Nicolas Perony et Frank Schweitzer publiaient en 2011 une recherche au sujet des murins de Bechstein, présents en Alsace. Ils y révélaient que certains individus peuvent tisser des relations stables sur plusieurs années. Ces liens, qui résistent à des séparations, s’expriment surtout par une proximité physique régulière notamment lors des phases de sommeil, ainsi que par des contacts corporels.

Ces noctules vivent ensemble dans la cavité d’un arbre et entretiennent des rapports sociaux. (Photo Erwann Thépaut GEPMA / Rue89 Strasbourg / cc)

Dans la vallée de la Bruche, des naturalistes sont tombés sur la plus grande colonie française de Sérotines de Nilson, soit 24 individus qui vivent ensemble. Typique des régions froides, cette espèce aurait subsisté depuis la dernière période glaciaire. Elle semble bien s’adapter aux régions montagneuses du nord-est de la France comme les Vosges. Les femelles se rassemblent pour mettre bas et forment alors des groupes qui peuvent aller jusqu’à 150 individus dans d’autres pays.

Un cycle annuel bien défini

Les chauves-souris pratiquent l’hibernation. Elles sont obligées de faire des réserves énergétiques importantes en automne car elles perdent 30 à 40% de leur poids en hiver. Les accouplements ont lieu à cette période. Les chiroptères passent ensuite plusieurs mois en léthargie, en restant accrochées la tête à l’envers sans la moindre contraction musculaire grâce au tendon rétracteur des griffes qui se bloque sous l’effet de leur poids.

Au printemps, les chauves-souris ingèrent une grande quantité de nourriture et les femelles commencent leur gestation. Pendant la période estivale, les femelles se regroupent pour mettre bas et les mâles rejoignent des sites où ils resteront jusqu’en automne. Entre octobre et novembre a lieu le transit automnal : mâles et femelles se retrouvent proche des sites d’hibernation.

Les chauves-souris passent plusieurs mois dans cette position, sans faire le moindre effort. (Photo GEPMA / Rue89 Strasbourg / cc)

Perturbées par l’Homme

Tout ce mode de vie nécessite des écosystèmes complexes, mais aussi une absence de perturbations anthropiques. Par exemple, la lumière et le bruit occasionnés par les activités humaines déstabilisent sévèrement de nombreuses espèces qui voient diminuer leurs périodes journalières de chasse. La qualité de l’alimentation étant indispensable à la lactation, on observe des forts taux de mortalité infantile chez les populations concernées.

Une étude parue dans la revue Current Biology met en évidence un autre problème que les chauves-souris peuvent rencontrer : les éoliennes. Ces dernières peuvent d’abord détruire des forêts et donc des habitats. Mais la proximité avec les pales peut aussi induire des barotraumatismes. Ce phénomène de surpression induit une hémorragie interne dans les poumons.

À l’inverse, en dépit de leur apparence un peu effrayante, les chauves-souris sont inoffensives pour l’homme. Aucune attaque ou blessure n’est répertoriée en Alsace.

De nombreuses espèces de chauves-souris s’installent loin des humains. (Photo C. Brand GEPMA / Rue89 Strasbourg / cc)

Ces mammifères fragiles ne sont pas les plus touchés par l’activité humaine. Mais leurs effectifs ont été très fortement amoindris par la destruction de leur habitat. Des projets tels que le GCO ou le remembrement agricole qui en découle ont encore détruit des refuges de chauves-souris comme les forêts anciennes de Vendenheim et Kolbsheim…

Les chauves-souris voient leurs populations diminuer à cause de l’agriculture intensive et de la déforestation. (Photo M. Brignon GEPMA / Rue89 Strasbourg / cc)

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