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Les femmes sont « Dans la place », une exposition d’Ariane Pinel sur la parité dans la ville

L’illustratrice Ariane Pinel expose une série de dessins inédits au 5e lieu, place du Château à Strasbourg. Le thème : la place des femmes dans la ville. Elle a choisi 12 places de Strasbourg, plus ou moins connues, plus ou moins fréquentées, et nous montre son regard sur ces lieux du quotidien. Des lieux où se croisent, se fréquentent et cohabitent – ou non – les hommes et les femmes de Strasbourg.

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Les femmes sont « Dans la place », une exposition d’Ariane Pinel sur la parité dans la ville

Anne-Lise sourit devant certains dessins. Hausse les sourcils devant d’autres. Et acquiesce face à certaines planches. « Celle-là, oui, je vois bien ce qu’elle veut dire et je suis d’accord avec elle », lâche en souriant la jeune strasbourgeoise de 34 ans, venue voir l’exposition d’Ariane Pinel, en montrant un dessin où l’on reconnaît facilement la place de la Gare.

On y voit deux hommes qui sifflent et reluquent les jambes (poilues) d’une cycliste en jupe. Au loin, des soldats du plan Vigipirate sillonnent la place, et deux gendarmes en képi se promènent côte à côte. « Les regards, la lourdeur, on a toutes vécu ces situations devant la gare. Sur la place de l’Homme-de-Fer aussi, je partage son point de vue. »

La place de la Gare, à Strasbourg, vue par Ariane Pinel (photo MdC / Rue89 Strasbourg).

Les places : des espaces « de rencontres, d’agora et de sociabilité »

« Son » point de vue, c’est donc celui d’Ariane Pinel, une illustratrice et autrice de BD toulousaine de 38 ans, devenue strasbourgeoise en 2000. La jeune femme débarque alors pour intégrer la Haute école des arts du Rhin (Hear). « Et puis je suis restée, parce qu’il y avait une émulation créative dans la ville, il y a plein d’illustrateurs ici, et c’est un métier impossible à faire si tu es seule. C’est important d’être entourée », confie Ariane Pinel. Aujourd’hui, elle collabore parfois avec Rue89 Strasbourg (avec notamment une BD-reportage sur les stages de responsabilisation des auteurs de violences conjugales ou encore une BD-reportage sur le woofing en 2019). Elle a également illustré des ouvrages jeunesse comme Sasha et les vélos.

Le 5e Lieu est situé place du Château, au pied de la Cathédrale de Strasbourg. C’est un lieu culturel dédié à l’architecture et au patrimoine. (photo MdC / Rue89 Strasbourg).

En octobre 2020, le 5e Lieu contacte l’illustratrice. L’équipe de cette salle culturelle dédiée à l’architecture et au patrimoine, lui demande de réfléchir à une exposition « sur la thématique du genre dans l’espace public ». Edith Lauton, responsable du département architecture et patrimoine au 5e Lieu :

« C’est une idée qui venait de l’équipe, mais qui est aussi en lien avec toutes les actions menées par la collectivité, autour de l’égalité de genre et des femmes… Mais traiter les espaces publics, c’était large. Nous au 5e Lieu, on est sur une place. Et ce sont les dimensions d’agora, de lieu de rencontre, de sociabilité qui font que les places sont des lieux à part, et qu’on avait envie d’en parler. »

Ariane Pinel, illustratrice et autrice de BD toulousaine et strasbourgeoise d’adoption (photo Achille Kempf).

Le choix de l’équipe s’est ensuite très vite porté sur Ariane Pinel : « C’est une artiste, une femme, et on connaît sa sensibilité engagée, féministe et qui aime bien la satire et l’humour dans ses dessins. Donc ça collait bien ! », conclut Edith Lauton.

« Il y a des histoires que j’ai vécues, d’autres que des habitants m’ont racontées »

Ariane Pinel va donc passer son automne et son hiver 2020 – 2021 à sillonner Strasbourg sur son vélo, de places en places. « Il faisait froid, et c’était le confinement, donc je ne restais pas forcément longtemps sur chaque place, mais j’ai fait des croquis, j’ai pris des photos. Parfois, c’étaient des places que je connaissais bien, parfois moins. J’ai aussi parlé à des habitants pour qu’ils me racontent des anecdotes et des histoires, comme à l’Elsau par exemple. » Mais pour certaines places, les anecdotes croquées sont issues directement de la vie de la jeune illustratrice. Comme la planche de la place de la Gare par exemple, où l’on voit une jeune fille à vélo se faire siffler :

« À Strasbourg, je me déplace tout le temps à vélo. Je trouve que c’est une façon d’être moins confrontée au harcèlement. Dans ce dessin, on voit la fille qui fuit, et qui est donc en sécurité, puisque les harceleurs vont moins vite qu’elle. Ici, quand mon vélo crève, j’ai l’impression de découvrir des harceleurs potentiels à chaque coin de rue. »

12 dessins d’Ariane Pinel sur les places strasbourgeoises, sont exposés au 5e Lieu à Strasbourg depuis le mois de juin, et jusqu’au 19 septembre. (photo MdC / Rue89 Strasbourg).

Autre place où Ariane n’aime pas forcément traîner, celle de l’Homme-de-Fer.

« Je trouve que la statue de l’Homme-de-Fer fait vraiment peur. Je me suis fait agresser sur cette place, et pour moi, c’est un endroit dangereux la nuit pour les femmes. D’ailleurs ça s’appelle bien « L’Homme-de-Fer » ! Et la statue représente un homme en armure, avec un couteau et une hallebarde ! »

Pour Edith Lauton du 5e Lieu, c’est l’un de ses dessins préférés : « Il porte très fort le thème du harcèlement de rue, et il est un peu fantastique avec cet homme de fer descendu de son piédestal. »

La place de l’Homme-de-Fer, vue par Ariane Pinel, exposée au 5e Lieu (photo MdC / Rue89 Strasbourg).

« Il se passe beaucoup de choses sur la place publique, on s’y est habitué alors qu’on ne devrait pas »

Ariane Pinel a semble-t-il apprécié travailler sur cette thématique des femmes dans la ville. « C’est un sujet qui me touchait, mais auquel je n’avais pas forcément réfléchi. Par exemple, je ne m’étais pas rendu compte à quel point les femmes étaient de passage, et les hommes, eux, squattaient l’espace public. »

C’est ce qu’elle a voulu montrer dans son dessin de la place d’Austerlitz, où l’on voit uniquement des hommes, autour d’une fontaine représentant une femme nue.

« Il y a plein de détails dans ce dessin, plein de contrastes. Il y a par exemple la notion de consentement qui est évoquée, même si c’est métaphorique, avec cette statue de femme, nue, au centre, et tous ces hommes habillés, qui lui mettent un bonnet de force. Et puis il y a les collages anti-féminicides un peu partout dans mes dessins. »

Ariane Pinel, illustratrice et autrice de BD.
Place d’Austerlitz et ses squatteurs, hommes, qui habillent de force la seule femme du dessin, une statue. Dessin d’Ariane Pinel. (Photo MdC / Rue89 Strasbourg).

Des messages qui passent visiblement auprès du public. Anne-Lise, elle, a remarqué la femme SDF de la place Kléber. « Sur l’image de la place Kléber, je trouve que ce personnage qui mendie est fort. C’est vrai qu’il se passe beaucoup de choses dans la rue, et qu’on s’y habitue, alors qu’on ne devrait pas. »

La place Kléber, dessin d’Ariane Pinel, 5e Lieu (photo MdC / Rue89 Strasbourg).

Exposée depuis juin, Ariane Pinel reçoit quelques messages de félicitations du public venu admirer ses illustrations. « L’autre jour, j’ai même un message d’un homme. J’ai trouvé ça top, jusqu’ici je n’avais que des messages de femme ! »

L’exposition se termine le dimanche 19 septembre, avec un temps d’échange prévu, la veille, autour de l’illustratrice qui accompagnera le public lors d’une séance de croquis en groupe.


#Ariane Pinel

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