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« Les intranquilles », un film tendu et déchirant sur le trouble bipolaire au quotidien

Pour son neuvième long métrage, le réalisateur belge Joachim Lafosse retrouve son thème de prédilection : une cellule familiale en crise, confrontée à la maladie du père. Un film fort, sur un sujet si peu abordé au cinéma. Rencontre avec un réalisateur intranquille.

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« Les intranquilles », un film tendu et déchirant sur le trouble bipolaire au quotidien

Damien, interprété par Damien Bonnard, est peintre. Il vit avec sa femme, Leïla, et son fils, Amine. Le film « Les intranquilles » raconte comment l’euphorie gagne progressivement Damien jusqu’à la perte de contrôle totale. Cette dernière est suivie d’une phase de « descente » où le personnage, assommé par le lithium, n’est plus là pour personne. Avec son dernier long-métrage, le réalisateur Joachim Lafosse, dont le père a souffert de maniaco-dépression, arrive à montrer cette maladie de l’intérieur, mais aussi à faire ressentir la fatigue, l’exaspération, la destruction qu’elle entraîne chez les proches.

Les intranquilles (Bande Annonce)

« Un film sur la capacité à résister à la défaillance de l’autre »

Joachim Lafosse n’écoute pas toujours les questions mais il parle de son film avec ferveur. Le réalisateur l’a annoncé d’emblée, l’exercice de l’interview l’ennuie. Il en a « marre de lire ses propres paroles, ça ne l’intéresse pas. Il ne fait que se répéter ». Effectivement, je n’arrive pas à finir ma première question. Qui n’était pas une question, mais la volonté de lui dire que son film, je l’attendais, car personne n’a jamais raconté le quotidien d’une famille qui vit avec une personne bipolaire. Le cinéma aborde souvent les maladies psychiatriques sous l’angle de personnages extrêmes. Pourtant la maniaco-dépression ou la schizophrénie sont des maladies répandues, à des degrés d’intensité variés, et sont au cœur de nombreuses vies amoureuses, d’amitié, de famille.

Joachim Lafosse : Ce n’est pas un film à thème sur une pathologie mais sur la capacité de chacun à résister à la défaillance de l’un ou de l’autre. Quand le soin que l’on prend de l’autre devient un sacrifice, cela ne va plus. Les personnages de Leïla et Damien, je les aime beaucoup, parce qu’au fond, ils défendent la même chose : lui refuse d’être figé dans cette maladie, il veut être aussi un père, un amoureux, un peintre et elle refuse de devenir son infirmière.

Quand Leïla Bekhti a lu le scénario, ce qui lui a plu c’est la volonté de cette femme de faire vivre cette histoire d’amour. Elle m’a dit : « Aujourd’hui, on jette trop vite les histoires d’amour ». Et en effet, cette femme ne veut pas lâcher l’affaire, elle teste ses limites, par amour. J’ai beaucoup aimé cette perception parce qu’elle n’en a pas fait une victime, mais quelqu’un qui choisit de se battre.

Mais la défaillance de Damien vient déséquilibrer tous les membres de la famille. Avec lui, c’est aussi Leïla qui dévisse. On aurait la même problématique avec l’alcoolisme, une dépression, la schizophrénie : comment fait-on quand l’un d’entre nous défaille ?

Damien Bonnard a travaillé avec le peintre Piet Raemdonck pour composer les oeuvres du film Photo : Doc. remis

Rue89 Strasbourg : Votre père a souffert de bipolarité, le petit Amine du film, interprété par Gabriel Merz Chammah, c’est vous ?

Au départ il devait y avoir deux garçons, en quelque sorte mon frère et moi, mais j’ai eu envie de concentrer le film sur mon ressenti uniquement. Ce film est le plus intime, le plus proche de mon enfance. Il s’est passé quelque chose de très particulier, parce qu’à travers ce qu’en ont fait les acteurs, je retrouvais les émotions que j’avais ressenties, mais de façon plus vivable.

Mon père était photographe, mais c’est Damien qui m’a invité à faire du personnage un peintre. J’ai d’abord hésité parce que cela devenait trop proche de la vie de Gérard Garouste, peintre bipolaire qui a écrit une autobiographie intitulée justement L’intranquille. Mais au final, je me suis dit que cela me permettrait de m’éloigner de ma petite histoire. Puis les acteurs ont proposé de garder leurs prénoms, cela devenait un peu moins mon histoire et un peu plus la leur. Finalement, pour arriver à cette intimité, je me suis appuyé sur d’autres intimités. C’est mon plus beau film, celui dont je suis le plus fier.

Ces figures tutélaires, Gérard Garouste, votre père, ont-ils vu le film?

Oui, Gérad Garouste a été très touché par le personnage d’Amine. C’est un film qu’il veut maintenant montrer à ses enfants. Mon père m’a parlé de la justesse du film sur la difficulté à vivre cette maladie, mais il m’a dit : « Dis aussi que c’est possible d’aller mieux, qu’on peut en faire quelque chose s’il y a une réelle prise en main ». Mon père n’a plus été hospitalisé depuis 20 ans.

Leïla Bekhti et Gabriel Merz Chammah (Amine) Photo : Doc. remis

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