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Les Rats quittent le navire, un théâtre amoureux et inclusif au Hall des Chars

Une caravane collectant des récits d’amour, un festival annulé, et des costumes bariolés. Ce sont les ingrédients à l’origine du nouveau spectacle de Fou.Folle Théâtre. Les Rats quittent le navire ou une histoire sans fin se jouera au Hall des Chars, quartier Laiterie, du vendredi 9 au lundi 12 octobre.

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Les Rats quittent le navire, un théâtre amoureux et inclusif au Hall des Chars

Ce ne devait être qu’un petit événement au sein d’un festival. Durant l’hiver 2019, Sacha Vilmar et ses comparses ont arpenté le Grand Est dans une étrange caravane. Ils se sont rendus dans huit villes et ont convié le passant à leur confier sa vision de l’amour. Ce projet devait se conclure par une restitution des paroles recueillies lors de Demostratif, le festival universitaire des arts de la scène.

Face à l’annulation du festival pour cause de covid, la compagnie Fou.Folle Théâtre, à l’origine de la caravane, a choisi de ne pas abandonner les témoignages accumulés. Ils ont été transformés en un spectacle autonome.

Rester en place et parler, dans un temps indéfini (Photo de TAG by Teona)

L’héritage de l’absurde donné au monde moderne

La pièce est mis en scène par Sacha Vilmar, qui y est aussi acteur. Anette Gillard en a forgé le texte, à partir des récits d’amour du Grand Est. En résulte un spectacle inclassable, qui échappe même à la définition d’une intrigue. Dans la droite ligne de l’absurde d’un Samuel Beckett, Les Rats quittent le navire ou une histoire sans fin présente un groupe de personnages en perpétuelle attente. Le lieu est indéfini, espace transitoire et impersonnel. L’action est vaine, et le temps avançant ne semble que décomposer le peu de structure qui régissait la scène.

Ces figures sont l’incarnation de la culture LGBTQIA+ et de ses problématiques. Un groupe de personnages isolés qui cherchent à exister tout en ressentant la menace du monde environnant. Leur seule arme est l’expression. C’est en racontant leur histoire, en visibilisant leur existence qu’ils peuvent survivre. Ces trois personnages entrent en conflit avec eux-mêmes, car, groupe hétérogène, ils ont des approches différentes de l’amour, de leur vie et de leurs idéaux. Mais ils restent ensemble, autant par nécessité que par choix.

Bien que les personnages partagent beaucoup, jusqu’à leurs cheveux, les conflits ne manquent pas (Photo de TAG by Teona)

Le langage qui s’effondre pour rejaillir

L’une des caractéristiques insolites du spectacle est son rapport à la langue. Anette Gilllard a choisi de travailler sur l’écriture épicène, cette approche du français, cherchant à présenter une égale visibilité des genres. La plupart des critiques formulées l’encontre de ce sujet polémique portent sur son impossible application à l’oral. Défi relevé par ce texte qui montre comment le langage peut se tordre, changer, afin de servir au mieux le monde qui l’emploie. Rapidement, ces formes hybrides et mutées de mots étrangers prennent des airs de famille. Une nouvelle langue pousse sur scène. Cette démarche rappelle avec éclat la nature vivante du langage, sa plasticité et sa propension à évoluer.

Le travail du corps cherche aussi cette abrogation de la barrière du genre. Le travail sur les costumes de Charles de Vilmorin vient servir cette intention. Des pourpoints aux épaules vastes, taille serrée, prennent le pas sur les silhouettes et brouillent les repères. En complément de l’écriture épicène, ces choix esthétiques mettent à l’honneur un idéal d’androgynie et de fluidité.

Le théâtre doit être bizarre et outré

Les costumes sont aussi extravagants, dans leurs couleurs explosives et leurs motifs expressifs. C’est là l’autre revendication du spectacle : proclamer son artificialité. Pour Sacha Vilmar, le théâtre contemporain est dominé par une volonté de réalisme omniprésente. Ses costumes, ses décors et ses enjeux sont issus de la réalité, sans malice supplémentaire. Pour lui, le théâtre est un lieu d’excès. C’est un laboratoire d’expérimentations explosives où la liberté d’être extravagant doit être employée sans retenue. Une exubérance qui permet d’entrevoir un avenir pour ceux qui s’y prêtent.

Un costume extravagant qui évoque une armure d’amour (Photo de Studio Autres)

Là où Les Rats quittent le navire se distingue du théâtre de l’absurde beckettien, c’est dans son horizon. Les personnages ont de l’espoir, et n’attendent pas la fin du monde avec résignation. Et ce malgré les difficultés rencontrées et la douleur subie. Leur immobilité, la menace qui plane sur eux, rien ne les condamne. Le spectacle n’est pas naïf mais joyeux et optimiste.

C’est un théâtre engagé qui ne fait pas de politique. Il ne clame pas de discours ni ne distribue pas de bulletin. Mais il met en exergue une réalité qui est malmenée, incomprise, et pourtant bien concrète. Il se saisit de la langue commune, des représentations convenues et les passe à la moulinette de sa subjectivité. Il ne prétend donc pas donner de leçon. Ce qu’il offre, c’est une possibilité d’adopter une lecture différente d’un monde qui pouvait sembler univoque.


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