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Après six semaines d’occupation du TNS, maigre bilan mais des étudiants toujours révoltés

Les élèves du TNS occupent depuis le 9 mars les locaux de leur école. Sur fond de revendications sociales multiples et d’invitation à la fête, ils appellent la jeunesse mais aussi les intermittents et les travailleurs à rejoindre leur lutte. Une convergence qui rend leur message peu lisible.

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Après six semaines d’occupation du TNS, maigre bilan mais des étudiants toujours révoltés

C’était la principale revendication. Dès le premier jour d’occupation du Théâtre National de Strasbourg, le 9 mars, il s’agissait pour la cinquantaine d’élèves de l’École du TNS de réclamer la réouverture des lieux culturels, et en l’occurrence des théâtres. Mais petit à petit, les choses ont changé. Et le nom qu’ils ont repris, Ouvertures Esssentielles, est trompeur. « Il y a eu une migration du mouvement, ce n’est plus notre première revendication », explique Manon. L’étudiante en première année de régie création précise : « Au nom de la jeunesse, on se bat pour une société dans laquelle il est possible d’exercer la culture comme métier et d’en vivre décemment. »

« Une des mes amies est sortie d’une école de théâtre en juin 2020. Elle n’a rien : pas de statut, et pas d’aide. C’est ce système que nous voulons changer. »

Manon, élève en première année de régie-création.
La liste des nouvelles revendications, mise à jour la semaine du 12 avril 2021 (photo CB / Rue89 Strasbourg).

Redéfinition d’un message 

Marion, élève en seconde année de dramaturgie à l’école du TNS, complète : « Notre lutte n’est pas pour la culture, elle est pour une société dans laquelle la culture a une place. » Une première distinction qui paraît claire pour celui qui suit le mouvement avec assiduité, mais qui a encore du mal à être relayée clairement auprès du public.

Mi-avril, les revendications des élèves et des occupants sont au nombre de huit, partagées avec les étudiants de la Haute École des Arts du Rhin et la Coordination des Intermittents Précaires d’Alsace : le retrait de la réforme de l’assurance chômage, qui doit intervenir à l’été, un plan d’accompagnement pour les étudiants en fin d’études, des mesures de soutien aux intermittents et travailleurs précaires, une année blanche prolongée pour les intermittents, un accès à l’intermittence facilité en début de carrière, et l’abrogation de la distinction entre secteur essentiel et non essentiel.

Marion explique : « On ne veut pas de ces catégories qui se basent sur la valeur marchande et économique des activités professionnelles. »

Leur revendication principale n’est donc plus la réouverture des lieux de culture. Celle-ci n’arrive d’ailleurs qu’en dernière place de cette nouvelle liste. Sont-ils prêts à bloquer les réouvertures si elles ne sont pas accompagnées de mesures spécifiques ? Oui, assure Marion : « Une réouverture sans accompagnement est un suicide du monde théâtral, » assène-t-elle.

Difficile donc de s’y retrouver entre les différents acteurs de la lutte dans le secteur. Dominique Lecoyer, directrice des études depuis 1995 à l’École du TNS, craint qu’ils ne soient perçus comme des privilégiés : « Je ne sais pas quel impact on a, parce qu’on est dans une grande institution. »

Si l’administration soutient ses étudiants, les cours sont maintenus et les élèves répètent au théâtre normalement.

Des élèves du TNS prennent la parole lors du forum du 14 avril pour inviter les participants à trouver des slogans en vue de la manifestation du samedi suivant (photo CB / Rue89 Strasbourg).

De l’habitation à l’occupation

Dès le 31 mars, l’habitation des lieux se transforme en occupation. « On veut donner aux gens un endroit de parole, » explique Marion. Une tentative d’ouverture aux acteurs extérieurs, même si dans les faits les occupants restent en très grande majorité des élèves de l’école. Vendredi 16 avril, seulement 6 personnes extérieures au TNS occupent effectivement le lieu avec les étudiants. S’ajoutent parfois des militants d’autres lieux occupés, qui viennent voir l’organisation au sein du TNS. Car le théâtre est encore utilisé par la centaine de salariés qui y travaillent. « On a un protocole pour accueillir des gens extérieurs, il faut un test PCR car on veut prendre soin des salariés, ce n’est pas un lieu vide », précise l’étudiante. 

Parmi la centaine de théâtres occupés en France depuis le mois de mars, l’Odéon à Paris, le Graslin à Nantes, ou celui d’Orléans sont occupés par des intermittents. La spécificité du TNS : ses occupants sont ses étudiants. « On joue à domicile, » plaisante Manon. Mais contrairement à Orléans où le théâtre est accessible à tous, la restriction à l’entrée du TNS n’aide pas à démystifier ce qu’il se passe à l’intérieur.

Manifestation sur le parvis le 16 avril : les acteurs se battent pour avoir accès à leurs « Zaki Socio » (photo CB / Rue89 Strasbourg).

Une multiplication d’assemblées générales et d’actions

Le parvis du théâtre, 1 rue de la Marseillaise, est le principal lieu d’action des étudiants. Au début, ils y organisaient des « forums quotidiens » tous les après-midis. Puis, faute de participation, les horaires de ces forums ont été réduits aux mercredis, vendredis et samedis à 13h. « On ne réussissait plus à toucher de nouveau public », explique Manon. Lors du forum du 14 avril, les étudiants, lycéens et toute personne volontaire pouvaient participer à la création de pancartes pour la manifestation du 17 avril. Une trentaine de personnes se sont rassemblées pendant une heure, sur fond de musique et de prises de paroles ouvertes.

Deux élèves du TNS inscrivent les slogans proposés sur des pancartes, en vue de la manifestation « Strasbourg Réveillée » de samedi 17 avril 2021 (photo CB / Rue89 Strasbourg).

Les élèves organisent également des assemblées générales publiques, dont la quatrième a eu lieu vendredi 16 avril. Rassemblant en moyenne plus d’une cinquantaine de personnes, elles sont l’occasion d’ouvrir le débat au-delà des occupants du théâtre. Marion détaille l’objectif : « La meilleure façon de se battre, c’est de réfléchir ensemble. Et vu que tout est fermé, le théâtre peut aussi servir à ça. Ouvrir la lutte, c’est surtout sortir de notre parvis. » La directrice des études complète : « C’est utopiste, mais j’ai l’optimisme de penser que ça englobe plus que le TNS. »

Prise de parole lors du débat mouvant le 16 avril, en réponse à la question : « Peut-on faire la fête et la révolution » (photo CB / Rue89 Strasbourg).

Autre tentative pour s’inscrire dans un mouvement plus global, les étudiants du TNS ont également participé à la marche pour une « vraie loi climat » du 28 mars. Torses nus, ils ont défilé avec des slogans inscrits en noir sur leurs corps. Un choix d’action réitéré lors de la manifestation du 17 avril, face au Parlement Européen. Marion explique :

« C’est une manière de montrer la chair dans ce qu’elle a de vulnérable. On a besoin de montrer notre mécontentement, assez fort pour interpeller le gouvernement et susciter leur réaction. »

Les élèves du TNS manifestent devant le Parlement Européen le samedi 17 avril Photo : CB / Rue89 Strasbourg

Ils mènent aussi des actions flash comme des représentations courtes dans les trams, ou le samedi 10 avril dans un supermarché de la place Kléber. Les élèves se saisissent de l’espace public pour y jouer des prestations théâtrales, des scènes où des comédiens s’allongent sur les tapis de caisse voire à même le sol, pour symboliser la mort du milieu culturel.

Des réactions mitigées

Lors de ces parades dans la ville, « on a eu des réactions comme un sourire, ou de l’indifférence parfois, » se souvient Manon. La chaîne humaine créée le 17 mars par exemple, a suscité de la part des passants de vagues sourires. « C’est comme s’ils nous trouvaient mignons de faire du théâtre, » déplore l’étudiante.

Leur manifestation du 17 avril a réuni 350 personnes. Organisée avec le collectif La Finca, la marche était festive, animée par des représentations et un DJ set d’une heure entrecoupé de prises de paroles sur les revendications des élèves.

Mais les gens réagissent de plus en plus. Marion se rappelle d’une dame âgée qui, dans le tram lors d’une action flash, a manifesté son soutien aux étudiants après un monologue des comédiens sur l’indifférence du public. « Il y a parfois de l’inquiétude face à des slogans très forts, et c’est ce sentiment-là qu’on cherche à susciter, » explique l’étudiante. Lorsqu’ils distribuent leurs tracts, elle constate que le public est dans l’ensemble d’accord avec leurs revendications. « Quand on parle avec des passants, ils nous soutiennent sur le principe, » estime-t-elle.

Représentation des élèves du TNS le 16 avril, mettant en scène les différents secteurs de la société et leur évolution durant la crise (photo CB / Rue89 Strasbourg).

Au niveau politique, « la Ville de Strasbourg nous soutient, » assure également Manon. Six militants du mouvement à travers la France ont rencontré un membre du cabinet de la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, le 25 mars. Après avoir élu des délégués de différents secteurs, et mis au point leurs revendications communes, les militants ont demandé à leur ministre des rencontres plus fréquentes et une plus grande transparence sur la suite de la gestion de la crise. « On attend encore leur réponse, » déplore Marion. « Ils ne comprennent pas qu’il y a urgence, » poursuit-elle. Manon elle, a la sensation que les politiques « sont à l’aise dans le système en place, et qu’ils n’ont pas envie d’en changer. »

La mobilisation pourrait s’étendre aux lycéens. Le 14 avril sur le parvis, un groupe d’élèves de terminale dont fait partie Lunéa s’enthousiasme. « Nous avons les mêmes préoccupations qu’eux, et on essaye de venir participer dès que l’on peut, » explique-t-elle.

Des idées de slogans lors du forum du 14 avril, sur le parvis du TNS (Photo CB / Rue89 Strasbourg).

Un appel à la convergence des luttes pour pérenniser le mouvement

Mi-avril, les occupants ont appelé à une « convergence des luttes ». Jeudi 15 avril, une assemblée générale étudiante – à ne pas confondre avec celles du TNS –, voyait se rassembler étudiants, syndicalistes, militants, travailleurs précaires et chômeurs dans un amphithéâtre de l’Unistra. S’il était difficile de comprendre le but de cette réunion et les spécificités de chaque assemblée générale, tous les participants se sont accordés pour se soutenir les uns les autres.

Il ne s’agit pas d’avoir un cahier de revendications conjoint. Les syndicats et représentants des Gilets jaunes soutiennent les actions des occupants du TNS, et ont pris part à la manifestation du 17. Plus qu’une convergence totale ou une mise en commun de leurs actions individuelles, les participants veulent s’épauler et partager leurs réseaux de communication pour mettre en avant les initiatives de chacun. Un souci de préserver le peu de lisibilité de chaque mouvement, pour ne pas amalgamer les tendances mais œuvrer ensemble à un réseau de communication plus large. Grossièrement, le TNS veut fédérer la jeunesse et les étudiants ; et les syndicats parlent aux travailleurs et aux chômeurs. Une distinction qui reste ambigüe quant à la place donnée aux intermittents par les élèves. « On se bat aussi pour eux, car on a le temps de lutter, » estime Marion.

« On veut peut-être leur ouvrir notre occupation, » précise l’étudiante en dramaturgie. Mais cela passerait par l’occupation d’un autre lieu, La Fabrique. Peut-être cette dissociation entre le bâtiment du théâtre et les revendications portées apportera-t-elle plus de cohérence quant aux acteurs mobilisés, et sur le but de leurs actions. 

Vis-à-vis des syndicats, Marion reste formelle : les étudiants veulent préserver leur indépendance totale. « Ils l’ont d’ailleurs bien compris, » précise-t-elle. Si Force Ouvrière et la CGT soutiennent les étudiants, ils ne sont pour le moment pas en collaboration, ni affiliés.

Manifestation sur le parvis du TNS le 14 avril (photo CB / Rue89 Strasbourg).

Au-delà de l’été

Mais qu’adviendra-t-il du mouvement à la fin des cours ? Dominique Lecoyer précise que, déjà en 2020, le théâtre n’avait pas cessé son activité. L’occupation serait donc encore possible. « La fin des cours ne marquera pas la fin de l’action, » précise Marion. « On a besoin de mettre nos corps quelque part pour qu’ils puissent parler, » ajoute-t-elle.

Sont évoqués l’occupation d’autres lieux, la possible tenue d’États Généraux, la rédaction d’un manifeste, et d’autres actions dont les occupants parlent entre eux et avec les autres mouvements en France. S’il est difficile de prévoir l’ampleur de ce mouvement, le désir des étudiants du TNS est de le voir continuer au delà du cadre de leur école, et de leur calendrier scolaire.


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