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Policiers, serveurs, balayeurs, soignants… Paroles de travailleurs mobilisés un jour de finale

Serveurs, policiers, infirmiers, médecins, pompiers, balayeurs… Ils ont travaillé pendant la finale de la Coupe du monde entre la France et la Croatie, ont encadré les festivités nocturnes et nettoyé les rues jonchées de détritus… Ils racontent une soirée bien différente de celle de millions de Français à Rue89 Strasbourg.

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Policiers, serveurs, balayeurs, soignants… Paroles de travailleurs mobilisés un jour de finale

Il y en a qui bossent pendant la finale. Certains Strasbourgeois ont passé leur soirée du 15 juillet à servir des bières ou à assurer la sécurité des fêtards. D’autres ont dû nettoyer les rues jonchées de détritus au petit matin. Pour eux, la finale de la Coupe du monde a le goût de la victoire mais aussi celui, plus amer, d’un travail parfois plus difficile que d’habitude. Témoignages des travailleurs de la finale.

Le serveur

Enno, 25 ans, est serveur aux Dubliners, un bar irlandais de la rue du Vieux-Marché-aux-Poissons. Ce dimanche 15 juillet, comme pour tous les matches de l’équipe de France de cette Coupe, le pub diffuse la finale. Lui est derrière le bar dès neuf heures le matin. À midi, il n’y a déjà plus de chaises. Tous se réservent un siège le plus proche possible de la télévision. Pour 200 places assises, 300 personnes sont venues encourager les Bleus :

« Tout le personnel est venu travailler. Devant le bar, c’était un stade, il y avait des gens jusqu’au bout de la rue. C’était stressant, mais on n’a pas eu d’incidents. Il y avait l’excitation du match, c’est sûr, mais c’était un moment joyeux. Les buts s’enchaînaient et la bière coulait à flots. »

Jusqu’à la fermeture des Dubliners, à minuit, Enno a servi des verres aux supporters déchaînés. Des spectateurs sont montés sur les tables, d’autres ont fait ruisseler le champagne sur leurs voisins. Pendant cette journée du 15 juillet, le bar a écoulé cinquante fûts de bière. Presque l’équivalent d’une Saint-Patrick.

Les policiers

Changement d’ambiance au commissariat de police de Strasbourg. Romain (tous les prénoms des policiers ont été changés) est officier à la sécurité publique de Strasbourg. Et pour lui, la journée de dimanche a été « normale » :

« Les plannings de permanences sont calés fin mars… Donc on savait qu’il allait y avoir une Coupe du monde, mais on n’avait pas forcément anticipé la France en finale. De toutes façons, il était trop tard pour rappeler du monde, les congés sont calés et les succès des Bleus ne constituent pas un motif suffisant pour faire appel aux procédures d’interruptions d’absences… Quand on rentre dans la police, on sait qu’on va devoir travailler lorsque d’autres s’amusent, ça fait partie du contrat en quelque sorte. Des soirées comme celle de dimanche, c’est même plutôt motivant pour les policiers, car c’est dans ces moments que la population a encore plus besoin d’être protégée. »

Affecté à Strasbourg dimanche avec le reste de la CRS 59, Roger détaille :

« Les victoires en Coupe du monde, c’est essentiellement de la viande saoule à canaliser, c’est pas bien méchant même si on a eu quelques soucis, avec des jeunes qui ont escaladé des échafaudages qui auraient pu s’écrouler. Je regrette que les lieux prévisibles de rassemblement n’aient pas été sécurisés en amont… Avec seulement une trentaine de collègues, on n’était quand même pas assez nombreux pour tenir la place Kléber. On a su seulement le 13 juillet qu’on serait à Strasbourg pour sécuriser les conséquences de la finale. Ça ne changeait pas grand chose pour nous de toutes façons, on savait qu’on allait travailler ce jour-là… Ça ou surveiller des lieux de culte… Mais bon, on s’était entièrement équipé parce qu’on savait que ce ne serait pas évident. J’étais à Paris sur les Champs-Élysées en 1998 et j’en ai gardé un souvenir nettement plus festif. »

Le chauffeur de bus

Lucas travaille pour la Compagnie des Transports Strasbourgeois (CTS) depuis bientôt trois ans. Le conducteur de 27 ans n’a pas pu suivre la finale de la Coupe du monde :

« Comme j’étais de service, je n’ai pas pu suivre le match, même à la radio car je n’avais plus de batterie. Mais j’ai pu fêter avec les gens. Et c’était sympa car c’était bon enfant. Les gens étaient souriants, ils abordaient tout le monde. Il n’y a pas eu de casse. »

Les emplois du temps des conducteurs de CTS sont prévus six mois à l’avance. Pour la finale de la Coupe du monde, Lucas et ses collègues n’ont pas eu de prime spéciale comme c’est le cas pour les jours fériés. Le chauffeur a essayé de négocier en prenant de la « récup » mais il n’y avait personne pour le remplacer. Le personnel de réserve a été affecté à la conduite des trams.

Pendant tout le match, le bus de Lucas est resté vide. Suite à la victoire de l’équipe de France, son véhicule s’est rempli de joyeux supporteurs :

« On roulait doucement, on klaxonnait, on faisait la fête avec les autres. Je n’ai pas pu voir le match mais je l’ai pris du bon côté même si on était bloqué dans les bouchons… Cette fois-ci, c’était pour de bonnes raisons. »

Le pompier

Thierry (prénom modifié) est pompier à Illkirch-Graffenstaden. Il a vécu une soirée éprouvante :

« J’ai pris mon service à 8h le 15 Juillet pour le finir 24 heures plus tard. À la caserne, tout le monde attendait la finale. Avec les collègues, on avait prévu un repas sur le pouce pour ne pas rater le début du match. Certains d’entre nous auraient bien aimé profiter de l’occasion pour prendre un jour de repos, mais puisque nous sommes en sous-effectif, c’était impossible. »

Les pompiers pensaient pouvoir regarder le match à la caserne. Mais ils ont très vite été sollicités :

« Quelques minutes après le coup d’envoi, on a eu des appels. J’ai pu voir seulement les premières minutes et un morceau de la deuxième mi-temps. Une fois le match terminé, c’est devenu difficile. On a multiplié les interventions pour des feux de véhicules, de poubelles, ou des gens qui sont tombés des toits de voitures ! »

Le pompier est habitué à être en service pendant les soirées de liesse :

« Si je devais donner un point de comparaison, c’était pire qu’un nouvel-an à Strasbourg. Le 31 décembre, il y a une importante présence policière dans les rues, mais c’était moins le cas dimanche soir, ce qui augmente les problèmes. C’était impossible de rentrer dans la cité [dans le quartier du Neuhof, ndlr], sous peine de se faire caillasser. On devait envoyer la police en reconnaissance, qui vérifiait si les feux de voiture ne pouvaient pas se propager, puis on intervenait sous protection ! »

L’interne de médecine et l’infirmière

Interne en neurologie, Pauline était de garde ce dimanche à l’hôpital de Hautepierre :

« Un ami avait demandé à échanger sa garde il y a plus d’un mois, pour une autre raison que le football. Quand j’ai su que la France jouait la finale ce jour-là, j’étais un peu déçue. Je ne suis pas une grande fan de foot, mais j’aurais regardé car ce n’est pas quelque chose que l’on vit très souvent. Mais je n’ai pas essayé d’échanger car je savais que mes autres collègues avaient autant envie que moi de voir la finale. À l’hôpital, à peu près tous les écrans disponibles diffusaient le match, donc je regardais entre les chambres ou le service des urgences quand j’étais appelée. Il y a eu un moment où j’ai pu rester 20 minutes avec les infirmières qui avaient ramené quelques cakes et boissons pour l’occasion. Aux urgences, c’était assez calme pendant le match, mais ensuite c’était l’horreur, avec tous les stéréotypes de ce qu’on peut imaginer en termes d’alcool. Quelques soignants avaient les peintures bleu blanc rouges sur les joues, mais l’atmosphère est restée très sérieuse. Comme je suis dans un service assez triste, c’est un peu mal placé d’être exubérant. »

Ambiance détendue à la clinique Rhéna où Clémence est infirmière et travaillait aussi, juste à côté de la grande « Fan zone » :

« Avec d’autres infirmiers nous travaillons un week-end sur deux et c’était tout simplement notre tour. La clinique a installé un rétroprojecteur dans une salle à manger, que nous avions un peu décorée avec les drapeaux, où les patients qui ne voulaient pas regarder tout seuls pouvaient se réunir. Quand j’avais un temps mort, je jetais un œil, mais j’ai surtout regardé depuis les chambres où j’enchaînais les visites et où la télévision était très souvent allumée. Je n’ai pu voir qu’un but en direct, le dernier des Croates. Depuis la clinique, on entendait bien la fan zone au Jardin des Deux-Rives à côté. Une fois le match terminé, beaucoup de gens sont passés devant la clinique car ils allaient vers le tram, ce qui donnait quelque chose à regarder depuis les fenêtres ou même en bas pour ceux qui pouvaient descendre. Un supporter, sûrement très alcoolisé, nous a pris dans ses bras et nous a dit qu’on était fabuleux et qu’on faisait le plus beau métier du monde. »

L'équipe de nettoyage n'a pas été renforcée par rapport aux matinées normales... (Photo GK / Rue89 Strasbourg / cc)
L’équipe de nettoyage n’a pas été renforcée par rapport aux matinées normales… (Photo GK / Rue89 Strasbourg / cc)

Le balayeur

Il est 3h30. La plupart des fêtards sont endormis après avoir célébré ce grand moment de fierté nationale. Toufik (le prénom a été modifié) vient de se lever. Dans une heure et demi, il doit nettoyer les places et les rues de Strasbourg. Après 20 ans d’expérience, le balayeur sait que les lendemains de fête sont compliqués. Pourtant, l’emploi du temps des agents de propreté reste le même que d’habitude. Il y a l’équipe du matin, de cinq heures à midi puis celle de l’après-midi, de 13h à 20h. Lendemain de finale ou pas, les effectifs sont identiques.

Lundi 16 juillet, Toufik et son équipe ont nettoyé la place Kléber jusque midi. Des gouttes de transpiration coulent encore sur son front lorsqu’il raconte cette matinée « harassante » :

« Quand j’ai vu la finale et les vidéos de Rue89 Strasbourg en direct, j’ai tout de suite su qu’il y aurait beaucoup de travail le lendemain. Quand je suis arrivé ce matin, j’ai vu le bordel que c’était. C’est l’équipe de l’après-midi qui finira le boulot tellement il y a du verre partout… »

Ce matin, les badauds étaient de meilleure humeur. Certains ont félicité les balayeurs : « Heureusement que vous êtes-là », a entendu Toufik. L’agent de la Ville de Strasbourg apprécie ce moment de joie générale. Il est plus pessimiste pour les semaines à venir :

« Partout dans la fonction publique, il y a des problèmes de sous-effectif. Et puis il y a des choses plus graves encore, comme les migrants qui meurent dans la Méditerranée. Je crains que la joie générale ne fasse oublier les vrais problèmes et que le gouvernement Macron en profite pour continuer d’attaquer les acquis sociaux… »


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