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Le Port du Rhin cherche encore l’équilibre entre ses anciens et ses nouveaux habitants

Longtemps immobile, les bords du Rhin entrent dans des années de transformation et de travaux. Peut-être pendant 20 ans ! De nouveaux arrivants s’installent dans la résidence Deux-Rives, encore en construction. Trouver le bon équilibre pour tous s’annonce délicat.

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Le Port du Rhin cherche encore l’équilibre entre ses anciens et ses nouveaux habitants

Le quartier résidentiel historique du Port-du-Rhin (doc Google Maps)
Le quartier résidentiel historique du Port-du-Rhin (doc Google Maps)

Quand on parle du Port du Rhin, trois grands ensembles se dégagent. Au nord, les usines du port autonome de Strasbourg et le site de la Coop, le quartier résidentiel historique, avec son nouvel ensemble du jardin des Deux-Rives dont la construction s’achève, et la zone portuaire au sud. Les programmes de réhabilitation et d’urbanisation ont pour ambition d’en faire un ensemble plus homogène. Avec comme mot d’ordre : la mixité.

Une inauguration de place en demi-teinte

Le samedi 13 septembre, nombre d’élus locaux étaient dans le quartier pour l’inauguration de la place de l’Hippodrome, autrefois place des Deux-Églises, qui se font toujours face. Sur cette place piétonne, quelques jets d’eaux sortent des pavés. Des bancs et des balançoires permettent à tous les générations de s’y retrouver. Pernelle Richardot, adjointe (PS) au maire en charge du quartier, le président de la CUS Robert Herrmann, Philippe Bies, député socialiste du Bas-Rhin sont présents. Même les services de l’État ont participé au projet via à l’Agence nationale de Rénovation urbaine (Anru) à hauteur de 250 000€ sur un budget total de 5,6 millions d’euros.

Pernelle Richardot (de dos), Robert Herrmann (à droite) et Philippe Bies (au fond) inaugurent la nouvelle place du quartier le samedi 13 septembre (photo JFG/ Rue89 Strasbourg)
Pernelle Richardot (de dos), Robert Herrmann (à droite) et Philippe Bies (au fond) inaugurent la nouvelle place du quartier le samedi 13 septembre (photo JFG/ Rue89 Strasbourg)

L’événement se déroule dans le cadre de la fête du quartier. Situation assez symptomatique d’un quartier où l’abstention a frôlé les 60% aux élections municipales de mars, le pavillon du cocktail la mairie est d’un côté de la nouvelle place, tandis que ceux des associations et des habitants sont de l’autre. Après une bonne heure, seuls les locaux restent pour la fêter autour de la scène quelques stands et de DJ qui passent désormais du hip-hop. Mais d’ailleurs de quels habitants parle-t-on ? Ceux du tout petit historique de 1500 habitants et isolé du reste de la ville ou des nouveaux ensembles ? Dans leurs discours, les édiles ont mis l’accent sur « les nouveaux » et les « anciens » habitants. Philippe Bies décrit la place ainsi :

« Elle doit être un trait d’union entre le quartier actuel et celui situé de l’autre côté, qui doivent former le même quartier. »

La précision semble nécessaire. L’ensemble moderne de 380 logements au sud de l’avenue du pont de l’Europe, une 2×2 voies avec terre-plein central où circulent de nombreux camions, intrigue. Pernelle Richardot ne l’ignore pas :

« C’est un quartier où, il est vrai, pendant longtemps rien n’a été fait. Les changements inspirent toujours à la fois de la crainte et de l’espoir. Les aménagements ont été pensés pour que le quartier ne se vide pas de ses habitants actuels. »

Les premiers habitants sont arrivés depuis plus d'un an, mais les alentours de la nouvelle résidence sont encore en travaux (photo JFG/ Rue89 Strasbourg)
Les premiers habitants sont arrivés depuis plus d’un an, mais les alentours de la nouvelle résidence sont encore en travaux. (photo JFG/ Rue89 Strasbourg)

L’avenue du pont de l’Europe reste une frontière psychologique et sociale

On se doute qu’une place piétonne, aussi jolie soit-elle, ne suffira pas à faire tomber toutes les barrières, parfois psychologiques, mais aussi sociales. « Là-bas c’est pour les bourgeois. », lance Nordine, retraité et habitant du nord du quartier. La critique n’est pas nouvelle. Pourtant 80 logements sociaux, du T2 au T5, ont été intégrés à cet ensemble construit par Vinci et Franck immobilier. Ces logements-là seront disponibles à la fin de l’année.

D’après Pernelle Richardot, quelques habitants du côté historique seront invités à y déménager à partir de la fin de l’année, bien que les dossiers déposés chez CUS Habitat n’aient pas encore été sélectionnés. Les enfants des « nouveaux » comme ceux des « anciens » vont aussi partager la même école au groupe scolaire du Port du Rhin ou se côtoyer à la crèche binationale de la Maison de l’enfance.

En juillet 2013, déjà 80% des biens avaient trouvé preneur d’après les promoteurs. En février de la même années, les premiers arrivants ont emménagé début 2013. Parmi eux, l’élu de quartier Jean-Baptiste Mathieu, également secrétaire du PS 67.

« Les nouveaux résidents ont résolument choisi de venir habiter dans ce nouvel ensemble et ce quartier rénové. Il y a beaucoup de jeunes actifs et de familles, attirés notamment par la maison de la petite enfance ou encore le jardin des Deux Rives. Quelques Allemands ont aussi été intéressés par cet espace frontalier. »

A la Foire européenne, le stand de la Ville de Strasbourg présente les projets au bord du Rhin. (Photo JFG/ Rue89 Strasbourg)
A la Foire européenne, le stand de la Ville de Strasbourg présente les projets au bord du Rhin. (Photo JFG/ Rue89 Strasbourg)

Les quelques associations de loisirs dans le quartier semblent davantage à destination vers les « nouveaux » que les anciens. Les clubs de cirque ou d’équitation restent des activités relativement onéreuses. L’inscription à Graine de cirque coûte entre 211€ et 430€ selon l’âge et la formule choisie. Au club d’équestre, il faut compter au moins 12€ de l’heure pour les moins de 14 ans et davantage au-delà. Yannick Panchot, directeur de Graine de Cirque, connait d’ailleurs quelques familles adhérentes depuis plusieurs années qui sont venus s’installer à deux pas de son grand chapiteau :

« Nous avons quelques tous petits qui viennent du quartier, mais toutes les familles n’ont malheureusement pas les moyens d’y inscrire leurs enfants. Depuis 2 ans nous avons plus de contacts avec la population grâce à un partenariat avec le centre socio-culturel Au-delà des Ponts. Des interventions au groupe scolaire du Port de Rhin sont prévues dans le cadre de la mise en place des rythmes scolaires, ce qui sera une nouvelle occasion de passer du temps »

Malgré ces rapprochements, pas de club de foot, de basket, de danse ou de skatepark à l’horizon au grand regret des adolescents qui s’ennuient.

A l'entrée du quartier, un panneau sur les changement à venir indique des dates un peu floues : "horizon 2017" ; "long terme". (Photo JFG/ Rue89Strasbourg)
A l’entrée du quartier, un panneau sur les changements à venir indique des dates un peu floues : « horizon 2017 » ; « long terme ». (Photo JFG/ Rue89Strasbourg)

Les artistes de la Coop un peu circonspects

Au nord du quartier, encerclé par des murs et des rails de chemin de fer, la « bulle » de la Coop reste elle aussi une énigme. Un collectif d’artistes est locataire de l’un des entrepôts, depuis 21 ans. Là-bas aussi les changements intriguent :

« Quand il y a du changement dans un quartier, c’est souvent là que l’on met les artistes dehors. » glisse le plasticien Daniel Depoutot aussi ironique qu’inquiet. Lucide sur sa situation, il explique que « l’artiste vit toujours au crochet de quelqu’un. Un donateur, un mécène, un public, une collectivité locale. C’est un statut par nature précaire. »

Daniel Depoutot dans son atelier, prêt à faire "jouer" ses oeuvres à l'aide de sa guitare électrique (Photo JFG/ Rue89 Strasbourg)
Daniel Depoutot dans son atelier, prêt à faire « jouer » ses oeuvres à l’aide de sa guitare électrique (Photo JFG/ Rue89 Strasbourg)

Depuis son atelier, Daniel Depoutot et ses amis ont été les des premiers témoins du déclin de la Coop « qui marchait du feu de Dieu », emblème de la stagnation du quartier. Difficile pour celui qui va exposer ses œuvres dans le cadre du millénaire des fondations de la Cathédrale de se projeter sur l’avenir du lieu. Il espère qu’il deviendra progressivement un lieu de culture alternatif, « avec des jeunes ». Les premières annonces de la ZAC semblent aller dans ce sens, même si l’accueil d’entreprises spécialisées dans le domaine numérique n’assure pas de faire bon ménage. En plus de 20 ans de présence, Daniel Depoutot n’a pas créé de liens privilégiés avec les habitants du quartier où les artistes ne résident pas. Les priorités sont différentes à quelques centaines de mètres de là, où le taux de chômage est proche de 50%. S’il a pu intervenir au groupe scolaire du port du Rhin, mais « pas plus qu’ailleurs », il n’estime pas qu’en tant qu’artiste installé à proximité, lui et ses travaux doivent davantage être mis en avant :

« Ce n’est pas mon rôle de porter la bonne parole. Je ne suis pas un exemple. »

L’embourgeoisement, angoisse des artistes

Le plasticien observe avec détachements les transformations du quartier. Il ne se sent pas directement concerné :

« Les nouveaux appartements luxueux vont sûrement entrainer une « boboïsation » du secteur et amener plus d’argent. Petit à petit, il y a plus de passage et de vélos devant chez nous. L’arrêt de tram permettra de désenclaver ce quartier loin de tout, mais ce qu’il faut en priorité c’est de l’emploi. Pour notre atelier d’artistes, nous ne pourrions être mieux ailleurs. C’est un lieu reculé où les gens qui viennent là sont vraiment intéressés, pas par hasard pour tuer le temps. »

Vu en 3D reconstituée du bâtiment du siège historique de Coop Alsace (doc Google Maps)
Vu en 3D reconstituée du bâtiment du siège historique de Coop Alsace (doc Google Maps)

La majorité est attendue sur les réalisations pour son deuxième mandat

Artistes ou habitants, l’harmonie avec ces nouveaux arrivants, à côté de jardin des Deux-Rives, mais aussi à l’ouest sur l’emplacement Starlette est loin d’être acquise. S’il n’est plus un sujet de discussion, le souvenir douloureux du sommet de l’OTAN en 2009, reste le dernier événement marquant dae l’histoire du quartier. Pour le personnel politique, les manifestations ont agi comme un réveil sur la situation de ce secteur. Cinq ans après, une fois les ravalements de façades terminés, les changements concrets se font attendre. Une éducatrice qui a l’habitude d’intervenir au Port du Rhin explique :

« En 2010 les subventions tombaient de manière illimitée ou presque, puis après plus rien. Alors on s’est posé beaucoup de questions. Aujourd’hui, on commence à voir les premiers vrais changements, mais il faut plus qu’une place. Le tram pour que la ville soit plus accessible est très attendu et les premiers reports n’ont pas été un très bon signal. Les habitants sont amenés à beaucoup sortir du quartier puisqu’il n’y a pas grand-chose à y faire. »

Le tram, la clinique en 2017, des commerces… La Ville espère que ces aménagements vont apporter de l’emploi et des opportunités. Contrairement à d’autres quartiers, l’embourgeoisement, le remplacement de la population historique par de nouveaux arrivants plus riches, ne s’opère pas pour le moment. Il s’agit davantage de deux quartiers parallèles. Ce mariage forcé doit encore se matérialiser. À plusieurs reprises, la Ville comme la CUS ont annoncé que le quartier restait l’un des secteurs prioritaires, malgré la baisse du budget des investissements. Bien qu’elle ait recueilli 55% des voix en 2014, la liste de Roland Ries a perdu 13 points par rapport à 2008, et l’abstention a frôlé les 60%. Si les changements ne concernent que les « nouveaux », le risque de sanction n’en sera que plus grand.

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