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« Pourquoi les filles ne pourraient pas faire du foot ? »

Ces dernières années, le football féminin s’est développé en Alsace, pour atteindre près de 5 500 licenciées. Mais malgré ce progrès, des crispations demeurent. Immersion dans un entrainement des U15 de l’AS Kochersberg.

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« Pourquoi les filles ne pourraient pas faire du foot ? »

Les joueuses de l’équipe de l’AS Kochersberg commencent à affluer. Il est 13h55 ce mercredi 19 juin, leur entrainement commence dans 5 minutes. Le thermomètre affiche 30 degrés, la saison est déjà terminée et malgré tout, 12 membres de l’équipe U15 (14/15 ans) féminine ont répondu à l’appel. Même sans enjeu, Cali, 14 ans, tenait à venir :

« C’est vrai qu’il n’y aura plus de match cette année, mais j’ai encore envie de jouer ! Je suis passionnée. J’ai commencé avec mon voisin il y a plusieurs années, et depuis un an, j’ai franchi le cap : je me suis inscrite dans un club. »

Cali est passionnée de football, elle joue en club depuis un an et elle compte bien continuer. (Photo Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg / cc)

Comme Cali, depuis quelques années, de nombreuses filles prennent une licence. Christophe Carbiener, directeur du district d’Alsace de football amateur (ex-LAFA), témoigne :

« La pratique féminine se développe bien en Alsace. Nous organisons plusieurs événements comme la Semaine du football féminin, ou le tournoi « L’Alsace avec les Bleues » pour encourager notre équipe nationale dans la Coupe du Monde. Celle-ci induira probablement un afflux de nouvelles licenciées à la rentrée. Il faudra que nos clubs se préparent à cela et se donnent les moyens de les accueillir : se mettre en capacité d’organiser plus de créneaux d’entrainement, un encadrement supplémentaire et plus de bénévoles. »

La coupe du monde 2019 pourrait pousser de nombreuses nouvelles joueuses à s’inscrire en club en septembre. (Photo Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg / cc)

L’AS Kochersberg a dû prendre des dispositions pour créer la section féminine. En tout, cinq nouvelles équipes nécessitent des encadrants pour les différentes catégories d’âge des U11 (10/11 ans) jusqu’aux U18 (17/18 ans). Le club regroupant plusieurs villages, le terrain de Stutzheim est entièrement dédié aux sections féminines pour les matchs du samedi après-midi.

5 423 licenciées pour 141 clubs avec section féminine

Les joueuses sont sur le point de partir à l’échauffement quand une nouvelle se présente, elle compte s’inscrire au club. Pas étonnant pour les autres filles de l’équipe, les arrivées sont régulières. La section de l’AS Kochersberg s’est créée il y a 7 ans. Depuis la première année, le nombre d’inscrites est passé de 9 à 70.

A ce jour, 5 423 licenciées foulent les terrains alsaciens de football toutes les semaines. En 1998, elles n’étaient même pas mille et en 2015, on n’en comptait que 3 500. Désormais, 141 clubs comptent une section féminine et 58 ont des écoles féminines de football labellisées.

L’AS Kochersberg a vu son nombre de licenciées passer de 9 à 70 en 7 ans. (Photo Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg / cc)

L’ambiance est bonne mais les jeunes filles sont concentrées. Elles s’exercent aux passes appuyées, aux corners, aux frappes. Les respirations sont de plus en plus fortes sous ce soleil de plomb. Patrice Zabera, entraîneur des U15 et responsable de la section féminine depuis son lancement, leur concocte une préparation physique intense :

« Là, on s’entraîne déjà pour la saison qui débutera en septembre. Je leur ai donné du travail pour les vacances d’été : gainage, pompes, footing et un lexique à connaître pour aborder des tactiques plus évoluées. Je suis sûr qu’elles vont y arriver, elles sont motivées. »

Patrice Zabera est responsable de la section féminine de l’AS Kochersberg depuis 7 ans. (Photo Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg / cc)

« Un sport de garçon ? Je ne suis pas d’accord ! »

Les filles qui pratiquent le football sont parfois victimes de discriminations sexistes, notamment à l’école. Tara, qui a commencé il y a quelques mois, n’est pas très inquiète :

« C’est vrai que j’ai eu un peu peur de ça au début. Finalement ça va ! Il y a parfois des moqueries mais comme il y a de plus en plus de filles qui jouent, ça devient normal. »

Même si l’on compte de plus en plus de joueuses, les clichés persistent. (Photo Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg / cc)

Manon est assise sur le banc de touche. Elle regarde ses amies avec envie. Blessée à la cheville, elle est contrainte d’arrêter le foot pour un temps mais elle compte reprendre la saison prochaine :

« J’aime le foot. Je ne sais pas d’où ça vient parce que ce n’est pas du tout le cas de mes parents ni de ma sœur. Je suis toujours très énervée quand on me dit que c’est un sport de garçons. Je ne suis pas d’accord ! En fait on s’en fout complètement non ? Si tu es un garçon et que tu veux faire de la danse, ou que tu es une fille et que tu veux faire du foot, pourquoi se bloquer ? C’est trop dommage que les gens ne fassent pas ce qu’ils veulent à cause des clichés. »

Éviter l’expression « football féminin »

Malgré la progression du nombre de licenciées, l’hégémonie masculine persiste. En Alsace, environ 80 000 garçons sont inscrits dans un club de football amateur. Mélissa Plaza, une ex-joueuse professionnelle et maintenant diplômée d’un doctorat en psychologie du sport, détaillait dans une chronique du Monde parue le 15 juin :

« Il faudrait peut-être commencer par éviter l’expression « football féminin ». Comme s’il fallait nous faire entendre qu’on pratique une sorte de sous-discipline du football alpha, masculodogmatique. Une pratique « moins attractive », « moins spectaculaire » mais avec un certain charme tout de même. Les filles seraient « moins physiques », « plus techniques », « moins truqueuses », « plus modestes »… Un retour incessant aux théories essentialistes qui clivent, catégorisent, dichotomisent tant par sécurité cognitive que morale. »

Les joueuses étaient 12 dans une chaleur étouffante malgré le fait que la saison soit terminée. (Photo Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg / cc)

Sandrine Kistner, encadrante de l’équipe U15 et mère d’une joueuse, pense que les résistances à la pratique du football par les femmes sont encore bien réelles :

« J’ai fait du foot quand j’étais jeune. C’était plus rare à l’époque, les clichés étaient plus marqués et il y avait moins de clubs qui se donnaient les moyens d’accueillir des filles. Mais aujourd’hui, j’ai l’impression que certains parents ne prennent pas si bien que ça le fait que leur fille fasse du foot. Dans leur discours, contrairement aux parents des garçons, on sent bien que les filles ne sont pas toujours encouragées à continuer et à se donner à fond. »

Entre 14 et 17 ans, la progression est souvent impressionnante au football. (Photo Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg / cc)

Vers 16h, l’entrainement est terminé. Après l’étirement, un dernier petit effort pour ranger le matériel et les jeunes joueuses rentrent chez elles en se charriant.

Avant de partir, Sandrine lance :

« On n’a pas encore de gardienne pour l’année prochaine… Faites passer le message ! »

À bonne entendeuse.


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