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Précarité d’étudiants confinés : « Ce qui me fait le plus peur, c’est de mourir de faim »

Problèmes financiers, manque de nourriture, solitude… Pour les étudiants en difficulté, le confinement a souvent aggravé la situation. Quatre jeunes Strasbourgeois précaires racontent leur quotidien.

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Précarité d’étudiants confinés : « Ce qui me fait le plus peur, c’est de mourir de faim »

Depuis le début du confinement, la situation des étudiants se dégrade. Plus de 2500 étudiants auraient perdu leur emploi selon l’Afges, une association étudiante locale. Le 17 avril, le Crous (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires) de Strasbourg dénombrait plus de 1 851 échanges téléphoniques entre étudiants et assistantes sociales du centre depuis le début du confinement. « C’est 3 fois plus qu’au cours de l’année », s’inquiète Sarah Boos, responsable de la communication au Crous de Strasbourg.

Chaque mercredi, de 10h à 18h, plus de 400 étudiants viennent chercher un panier-repas distribué gratuitement par l’Afges au 1 quai du Maire Dietrich à Strasbourg. (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg)

De 120 paniers distribués à 400…

Pour venir en aide à ces étudiants, l’Afges distribue des paniers-repas chaque mercredi au 1 quai du maire Dietrich. « On voit la situation exploser, décrit Jean-Valentin Foury, président de l’Afges, la première semaine de confinement nous avons distribué 120 paniers, après 6 semaines, nous en sommes à plus de 400. » Chaque jour, l’association reçoit plus de 15 mails d’étudiants en grande difficulté contre une dizaine par semaine avant le confinement. « On reçoit beaucoup de témoignages d’étudiants qui n’ont plus de quoi payer leur logement dû à la perte de leur job », explique Jean-Valentin Foury. Rue89 Strasbourg a recueilli les témoignages de quatre étudiants qui survivent grâce aux distributions de l’Afges.

Awa, 24 ans et « la peur de mourir de faim »

« J’ai tout perdu d’un coup », soupire Awa (le prénom a été changé). Cette jeune Sénégalaise de 24 ans est arrivée en France il y a plus de 3 ans. Étudiante en master à l’université de Strasbourg, elle a toujours eu un emploi en parallèle de ses études pour payer son logement : un 18 mètres carré pour 430 euros par mois.

À l’annonce du confinement le 17 mars, son employeur décide de mettre ses salariés au chômage. Mais Awa n’a pas pu bénéficier de l’assurance-chômage qui nécessite d’avoir travaillé « au moins 130 jours ou d’avoir effectué au moins 910 heures de travail au cours des 24 mois précédant la fin du dernier contrat de travail », selon Pôle emploi. « Je me suis retrouvée sans ressources. Depuis avril, je ne peux plus payer mon loyer », déclare-t-elle avant de lâcher :

« Le confinement, c’est la chose la plus dure que j’ai eu à vivre. »

Un morceau d’écharpe pour protection hygiénique

Le fait de se retrouver seule dans 18 m2, avec l’angoisse de finir à la rue est devenu compliqué à gérer : « J’ai la chance d’avoir un bailleur compréhensible mais jusqu’à quand ? » Heureusement pour Awa, en application de l’état d’urgence sanitaire, la trêve hivernale a été prolongée de deux mois. Les locataires sont donc protégés jusqu’au 31 mai et ne peuvent être expulsés.

« Ce qui me fait le plus peur, c’est de mourir de faim », murmure t-elle. « Je ne dirais pas que je vis, je dirais que j’essaye de survivre… », reprend l’étudiante. Depuis le début du mois d’avril, elle ne mange plus qu’un repas par jour. Un repas composé uniquement de riz ou de pâtes. Awa avoue qu’elle n’a même pas pu s’acheter des protections hygiéniques. Elle raconte comment elle a dû s’en fabriquer elle-même à l’aide d’un morceau de son écharpe. 

« On se sent vite désarmés »

À sa situation s’ajoute un sentiment de honte, et la peur de demander de l’aide :

« Je ne me sens pas légitime d’aller dans les associations. Je suis allée une fois aux Restos du coeur, mais je me dis qu’il y a des personnes dans des situations encore bien pire que moi. »

Pour Awa, il y aussi un manque d’accès à l’information : « En tant qu’étudiants étrangers, on est pas assez informé des aides possibles ou des associations actives, on se sent vite désarmés. » Elle explique que les étudiants étrangers arrivés en France sont rarement au courant des démarches administratives, du droit du travail, des associations locales… Les premières ressources des étudiants sont souvent les professeurs ou les mails universitaire. Mais tous les enseignants n’ont pas le temps de faire le point sur les aides extérieures à la faculté. Selon les derniers chiffres publiés par l’université de Strasbourg, 10 874 étudiants de nationalité étrangère étaient inscrits à l’université en 2019, ce qui représente plus de 20% des effectifs.

Ce qui fait tenir Awa, ce sont ses amis et sa famille, avec qui elle discute par vidéoconférence ou par téléphone. Mais le plus dur pour l’étudiante, c’est « de ne pas avoir de visibilité pour la suite, qu’est-ce que je vais devenir après ? » La jeune femme espère que le confinement sera vite levé et qu’elle pourra reprendre rapidement son travail. En attendant, elle a déjà fait le tour des supermarchés pour déposer des CV en tant qu’hôtesse de caisse. 

Marie, 19 ans, « les associations m’ont un peu sauvé la vie »

Marie (le prénom a été changé) a décidé de rester dans son logement à Strasbourg « pour être au calme et passer ses examens dans de bonnes conditions », explique-t-elle. Mais la jeune femme n’avait pas imaginé un confinement si long.  

Ce qui a plongé Marie dans la précarité, c’est le vol de sa carte bancaire le 10 avril. Après s’en être rendu-compte, Marie à découvert qu’elle avait été utilisée pour réaliser plusieurs achats : « J’ai un découvert de 1400 euros sur mon compte. » Avec le confinement, les démarches prennent beaucoup plus de temps. Ainsi, la jeune femme n’a plus aucun moyen de paiement depuis 3 semaines. Elle appelle régulièrement sa banque, mais pour l’instant elle n’a toujours pas pu recevoir sa nouvelle carte, ni se faire rembourser. 

« Ca m’empêche de dormir »

Avant le confinement, Marie était déjà « dans une situation complexe. » Pour son appartement de 20 mètres carré, l’étudiante débourse chaque mois 380 euros. Le montant de sa bourse (254 euros/mois) et les APL (169 euros/mois) lui laissent 43 euros par mois pour vivre une fois son loyer réglé. « Cela ne me permettait pas de manger, ni de payer l’électricité, les frais d’assurance, la wifi, explique-t-elle, donc mon père m’aidait un peu pour pouvoir payer le tram, le train, ou les repas au Restaurant Universitaire. » 

Mais aujourd’hui, à 19 ans, Marie est « obligée d’aller dans les associations. » Chaque mercredi, elle fait la queue pour récupérer un panier-repas et quelques produits d’hygiène distribués chaque semaine par l’Afges. Un panier qui lui tient la semaine, si elle se contraint de manger uniquement « le stricte minimum ». Alors elle réduit la nombre de repas quotidiens :

« Les associations m’ont un peu sauvé la vie, sinon je n’aurais pas mangé depuis 3 semaines ! Je me demande toujours si je vais pouvoir manger la semaine prochaine, si l’association va avoir assez pour tout le monde… Cela me stresse beaucoup, c’est toujours là dans ma tête, et ça m’empêche de dormir. »

Avec un panier-repas, Marie peut espérer tenir une semaine en ne mangeant que le minimum. (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg)

Alors, pour décompresser un peu, Marie raconte qu’elle se met parfois à « danser » dans sa chambre ou à écouter de la musique. Parfois, elle regarde « des vidéos de méditation » pour oublier un peu son quotidien et évacuer le stress.

L’étudiante essaye de se focaliser sur ses examens. N’ayant pas les moyens de s’acheter un ordinateur, elle avait l’habitude de prendre tous ses cours à la main. Pour continuer à suivre les enseignements à distance et passer les examens en ligne, l’université lui a fourni un ordinateur portable. Même si la jeune femme a encore un peu de mal à s’adapter au numérique, elle espère plus que tout réussir son année.

Arthur, 19 ans, et Sophie, 22 ans : « Ce qui nous inquiète, c’est que les dons alimentaire finissent pas s’arrêter »

Comme chaque mercredi, Sophie et Arthur se rendent dans les locaux de l’Afges pour venir récupérer leur panier-repas. Ils y vont en général vers 9h, soit une heure avant l’ouverture, pour avoir une bonne place dans la file d’attente et être sur de pouvoir récupérer un panier-repas : « Ce qui nous inquiète c’est que les dons alimentaires finissent par s’arrêter. »

Sophie et Arthur viennent chaque semaine dans les locaux de l’association étudiante pour récupérer un panier-repas. (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg)

À l’annonce du confinement, ils ont pris la décision de rester à Strasbourg : « Dans le doute, on ne voulait pas prendre le risque de rentrer et de contaminer nos familles. » Originaire de Montpellier, Arthur, 19 ans en licence de géographie, et Sophie 22 ans, en licence de chinois, vivent ici ensemble depuis deux ans dans un « studio de 35 m2, sous les combles, d’environ 20m2 habitable. »

Chaque mois, le couple débourse 480 euros de loyer. Les bourses et les APL leur permettent d’en couvrir les deux tiers. Tout au long de l’année le couple a toujours fait très attention à ses dépenses, et allait parfois « à l’aumônerie catholique derrière la fac, qui permet de manger pour 1 ou 2 euros. » Mais l’arrivée du confinement a tout compliqué.

Plus de job étudiant, plus d’achat en Allemagne

Depuis septembre, Sophie travaillait environ deux à trois heures par semaine à la bibliothèque de la faculté et était payée entre « sept ou huit euros de l’heure. » Cet emploi lui permettais d’assurer une rentrée d’argent d’environ 400 euros à la fin de l’année. Désormais Sophie peut espérer toucher « peut-être 200 ou 280 euros ».

Longue file d’attente pour la distribution alimentaire de l’Afges à Strasbourg.

Pour réduire les dépenses, le couple n’a jamais pris un abonnement aux transports en commun, « beaucoup trop cher » à leurs yeux. Ils faisaient tout à vélo, en particulier les courses. Cela leur permettait de se déplacer loin, et de faire leurs achats « au Lidl en Allemagne ou au Leclerc » avec des prix plus bas. Depuis, les grand magasins sont trop loin pour pouvoir y aller à pied, comme l’explique Arthur :

« On est obligé de faire nos courses dans les petites supérettes de proximité mais les prix sont deux à trois fois plus cher. Avant on arrivait à faire nos courses pour 60 euros par mois pour deux, maintenant c’est devenu impossible. »

Sophie poursuit : « Là, j’ai les tickets de caisse du Monoprix sous la main, on en a eu pour 20 euros pour seulement 7 articles, c’est extrêmement cher ! » Depuis 6 semaines, les deux étudiants s’alimentent presque essentiellement avec les distributions de panier-repas de l’association.

Pour l’étudiante, cette situation affecte son moral :

« Je dors moins bien, psychologiquement c’est dur… Pour les courses par exemple, on n’a pas de projection, on ne peut pas trop faire de projets, on ne peut voir que de semaines en semaines. »

Les deux jeunes étudiants préfèrent rester discret sur leur situation et en parle très peu à leur entourage : « On n’en parle pas du tout à nos parents, on n’a pas envie de les inquiéter encore plus. »


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