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Au procès du traitement de la maladie de Lyme, lumières sur un déni médical

Les témoins en soutien de Viviane Schaller et Bernard Christophe, deux pharmaciens strasbourgeois partisans de méthodes alternatives de détection et de traitement de la maladie de Lyme, ont expliqué au tribunal mardi comment le corps médical était frappé d’immobilisme face à cette maladie. Des témoignages forts mais qui relèvent du débat de santé publique. Poursuivis pour escroquerie et exercice illégal de la pharmacie, les prévenus risquent jusqu’à un an d’emprisonnement avec sursis et 30 000€ d’amende.

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Viviane Schaller (à g.) est apparue combative à l'audience (Photo PF / Rue89 Strasbourg)

Viviane Schaller (à g.) est apparue combative à l'audience (Photo PF / Rue89 Strasbourg)
Viviane Schaller (à g.) est apparue combative à l’audience (Photo PF / Rue89 Strasbourg)

Comme prévu, le tribunal de Strasbourg a servi de caisse de résonance mardi aux victimes de la maladie de Lyme, souvent confrontés à un « déni » de la part du corps médical. Une dizaine de patients et médecins se sont succédé à la barre pour soutenir Viviane Schaller et Bernard Christophe, deux pharmaciens strasbourgeois partisans de méthodes alternatives de détection et de traitement de cette maladie. Ils sont poursuivis pour escroquerie à l’assurance maladie et exercice illégal de la pharmacie (voir nos articles précédents).

Viviane Schaller, 66 ans, a systématiquement pratiqué dans son laboratoire d’analyses de Strasbourg un second test Western-Blot, en complément du test Elisa pour détecter la présence de la borréliose de Lyme chez ses patients, contrairement au protocole officiel qui prévoit qu’un second test ne doit être effectué qu’après un résultat positif ou équivoque du premier. Bernard Christophe, docteur en pharmacie, a commercialisé sans autorisation le Tic Tox, un produit à base d’huiles essentielles que plusieurs victimes de la maladie de Lyme ont jugé efficace pour les soulager.

« Le monde médical est autiste face à la maladie de Lyme »

Après avoir entendu les prévenus (voir notre compte-rendu), le tribunal, présidé par Dominique Lehn, a été impressionné par les déclarations du Pr Christian Perronne, spécialiste des maladies infectieuses à l’hôpital universitaire de Garches (Hauts-de-Seine) et membre du Haut conseil de la santé publique. Selon lui, le monde médical en France est « autiste » quant à la maladie de Lyme :

« Quand j’ai débuté ma carrière, je faisais des recherches sur le Sida et j’ai vu les protocoles évoluer au fil des ans. Sur la maladie de Lyme, rien n’a bougé depuis 30 ans. Les tests sérologiques ont été étalonnés à condition qu’il n’y ait jamais plus de 5% de résultats positifs et ce dogme n’a jamais été remis en cause depuis. Les tests ne sont pas fiables, ils réagissent sur des souches qui sont souvent américaines, rarement des souches locales. La maladie de Lyme est sous-diagnostiquée depuis des dizaines d’années, et les conséquences sont terribles. Pour les patients d’une part, qui sont souvent mal soignés, pour la prise en compte publique de cette maladie, puisque la prévalence dans la population est sous-évaluée, et pour la recherche puisqu’il est impossible de publier ou d’obtenir un financement pour un programme sur la maladie de Lyme. »

Le Pr Perronne a dressé un sombre tableau du « consensus » médical autour de cette maladie, indiquant qu’une sorte d’ »omerta » s’est instituée et que les travaux sur la maladie de Lyme ont bien du mal à être publiés malgré leur sérieux. Outre la prévalence, c’est le caractère chronique de la maladie de Lyme qui n’est pas reconnu par les médecins. Le Pr Perronne a relaté au tribunal, dans une longue et passionnante intervention, comment les bactéries borrelli parviennent à résister aux antibiotiques en s’enkystant dans l’organisme. Il a terminé son intervention en précisant qu’il ne croyait pas à la phytothérapie au début de sa carrière mais qu’aujourd’hui, il constate que les taux de rechute de ses patients sont bien moindres lorsqu’à l’issue d’un traitement antibiotique est associé une phytothérapie.

Des mois de traitements inappropriés pour finir en psychiatrie

Autre témoignage marquant, celui de Judith Albertat, présidente de l’association « Lyme sans frontières » :

« Un enfant de 12 ans est arrivé dans un CHU du nord avec un érythème migrant, pourtant l’un des signes les plus visibles de la maladie de Lyme. Mais les tests sérologiques étaient négatifs. Résultats : les médecins ont exclu la maladie de Lyme comme cause possible de ses troubles. La maladie a progressé, atteignant le système nerveux. L’enfant s’est mis à ne plus pouvoir bouger ses membres, à avoir des problèmes d’audition et de vue. Pour les médecins, qui ne trouvaient aucune cause clinique, il s’agissait de troubles psychologiques. Ils l’ont éloigné de ses parents, provoquant un grave traumatisme. Dès qu’on a appris ça, on a foncé au CHU, ramené l’enfant à Garches chez le Pr Perronne où il reçoit un traitement approprié. Son état a commencé à s’améliorer. »

Les malades cités devant le tribunal et deux autres médecins ont fait état de faits similaires, de traitements impossibles à obtenir car les diagnostics, reposant sur des tests peu fiables, sont impossibles à poser. Pour Hélène Schibler, retraitée qui s’est fait soigner en Allemagne après « 12 ans de déni » en France :

« Viviane Schaller et Bernard Christophe sont des lanceurs d’alerte. Le problème de la méconnaissance de la maladie de Lyme, des tests peu fiables et des conséquences sur les malades doit être réglé par la science et non dans un tribunal. »

« Le tribunal ne se prononce pas sur la maladie de Lyme »

La représentante du Parquet, Lydia Pflug, était bien d’accord avec ce dernier témoignage :

« Le tribunal n’est pas là pour se prononcer sur la prise en compte de la maladie de Lyme en France ou sur la réalité de son caractère chronique. Viviane Schaller a manipulé les tests Elisa pour abaisser le seuil de réactivité, elle le revendique, c’est une infraction. Bernard Christophe a vendu un médicament pour lequel il ne disposait pas d’une autorisation de mise sur le marché, c’est aussi une infraction. Point. »

L’assurance maladie, partie civile, affirme que la pratique systématique d’un second test contrairement aux règles de la procédure officielle par Viviane Schaller a conduit à plus de 200 000€ de remboursements indus. Les deux avocats des prévenus ont plaidé la relaxe. Me Catherine Faivre a indiqué au tribunal que le Tic Tox n’avait jamais été présenté comme un médicament et que Bernard Christophe s’était rapproché du conseil de l’ordre des pharmaciens et de l’Agence de sécurité des médicaments pour savoir ce qu’il convenait de faire. Me Cédric Lutz-Sorg a pointé que Viviane Schaller n’a bénéficié d’aucun gain financier suite à sa spécialisation dans la détection de la maladie de Lyme et qu’elle avait alerté les autorités sanitaires de ses doutes sur la fiabilité du test Elisa.

Le jugement du tribunal a été mis en délibéré au jeudi 13 novembre.

Viviane Schaller : « je suis prête pour continuer la recherche »

Me Catherine Faivre : « pas de conciliation possible »

 


#Bernard Christophe

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