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Les profs du collège Lezay-Marnésia enseignent la solidarité par l’exemple

À Strasbourg, un collège de la Meinau se distingue des autres établissements par l’engagement de son corps enseignant. Rencontre avec les profs du Lezay-Marnésia, qui ont placé la solidarité au cœur de leurs priorités.

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Les profs du collège Lezay-Marnésia enseignent la solidarité par l’exemple

Solidaires des surveillants précaires puis des élèves sans-abris, le personnel du collège Lezay-Marnésia à la Meinau se bat sur tous les fronts. Début avril, un tiers du personnel a décidé de reverser une partie de leur prime pour travailler dans un établissement « Réseau d’Éducation prioritaire plus renforcé » (REP+, les ex-ZEP) à leurs collègues surveillants. Ils s’opposaient à la non-considération des pions par cette prime d’environ 1000 euros par an, alors qu’ils partagent le même environnement de travail.

Puis, plus visible, dix profs ont planté leur tente devant le collège pour y passer une nuit fin mai. Un geste de solidarité avec deux de leurs élèves de troisième, des réfugiées kosovares, qui préparaient leur brevet tout en vivant dans la rue. Ce soir-là, elles dormaient sous tente dans un camp de sans-abris de Strasbourg. « Quand on réalise des actions, des collectes d’argent ou des dons de vêtements, l’impulsion vient souvent d’une ou deux personnes. Et le reste des collègues finit par suivre », raconte Agathe Bertrand, professeure d’espagnol.

Les enseignants ont campé devant le collège Lezay-Marnésia au printemps dernier
En mai, les enseignants ont campé devant le collège Lezay-Marnésia en solidarité avec deux jumelles kosovares à la rue (Document remis / Mathieu Béchu-Diaz)

Trois mobilisations depuis fin 2017

À Strasbourg, l’histoire des jumelles de 15 ans n’est pas un fait isolé. Avec la multiplication des camps de migrants, les profs du Lezay-Marnésia, alors réunis au sein du collectif « Un Toit pour nos élèves », se sont déjà mobilisés à trois reprises depuis décembre 2017, avec à chaque fois la même demande : un hébergement en dur et au chaud pour leurs élèves.

« Nous ne sommes pas toujours informés de ce genre de situations. Nous sommes bien entendu au courant que certains élèves, notamment étrangers, vivent de façon très précaire, mais nous ne savons pas toujours qu’ils dorment sous tente. Quand on l’apprend, on se dit : Non c’est pas possible ! »

Agathe Bertrand, professeure d’espagnol

Dans ce cas précis, le corps enseignant a pris connaissance des conditions de vie des deux sœurs à l’occasion d’un conseil de classe en mars, quand fut évoqué la poursuite d’études. Dans ces réunions expérimentales, les élèves sont convoqués lorsque leur cas est évoqué. « L’une d’elle s’est mise à pleurer, se rappelle Loïc Klenklé, professeur de mathématiques. C’est à ce moment-là qu’elle nous a avoué qu’elle et sa famille avaient été déboutés du droit d’asile et qu’ils avaient été expulsés de leur logement. »

S’est ensuivi une cagnotte en ligne pour financer une semaine de location et des courses d’alimentation, avant que plusieurs professeurs n’acceptent, dans l’urgence, d’héberger les filles à tour de rôle. « On ne pouvait pas tolérer que nos élèves dorment sous tente. Il fallait agir, d’où notre nuit dehors en mai », poursuit le prof de math. L’action a en tout cas fait du bruit, puisqu’une solution dans un centre d’hébergement d’urgence a été trouvée deux jours plus tard, comme l’a précisé le collectif dans une publication sur Facebook. Les deux sœurs ont finalement eu leur brevet.

« On n’est pas dans un schéma, où l’on fait nos cours et on se casse »

Couverte par les médias locaux, cette mobilisation des professeurs du Lezay-Marnésia a fait parler en dehors de ses murs. « Nous avons appris lors du conseil d’administration que les parents d’élèves en avaient pas mal discuté entre eux », glisse Agathe Bertrand.

Ilknur Aydin, mère d’un garçon inscrit en classe de 6e et d’une fille en 3e, a découvert l’action de solidarité en faveur des jeunes filles en lisant le journal :

« Tout a été fait de façon discrète et humble. À aucun moment, les professeurs n’ont souhaité se faire de la publicité. C’est une mobilisation qui venait tout droit de leur cœur. Ca n’a fait que confirmer ce qu’on pensait d’eux : à savoir que c’est une équipe pédagogique très bienveillante et engagée dans, mais aussi en dehors du collège. »

Cette parent d’élève élue au conseil d’administration de l’établissement ne tarit pas d’éloges pour qualifier l’engagement du corps enseignant, qui selon elle, contribue à redorer l’image des quartiers.

« Ma fille m’a dit qu’elle était fière d’être élève au collège Lezay-Marnésia, alors même que l’établissement a une mauvaise réputation puisqu’il est classé en REP+ ».

Soudée, motivée, disponible… « Il est clair que nous sommes un groupe qui bouge pour ses élèves et qui réagit vite », commente Loïc Klenklé. Pour sa collègue Agathe Bertrand, les profs de l’établissement ont « peut-être un intérêt plus grand pour les élèves et leur réussite ». Et d’ajouter : « On n’est pas dans un schéma, où l’on fait nos cours et on se casse ».

Loïc Klenklé et Agathe Bertrand sont les président et secrétaire de l’association « Un Toit pour nos élèves » (Photo Rue89 Strasbourg / RD)

« Prêts à agir » pour de futures situations de crise

Depuis juin 2019, cet investissement pour plus de justice sociale s’est traduit par la transformation du collectif « Un Toit pour nos élèves » en association : une façon pour Loïc Klenklé et Agathe Bertrand, respectivement président et secrétaire, d’être mieux structurés pour la prochaine intervention. Car les deux profs ne sont pas dupes. Étant donnée la présence de deux classes UPE2A (Unité pédagogique pour élèves allophones arrivant, c’est-à-dire des personnes qui ne parlent pas français) au sein du collège et le découpage géographique, les adolescents des campements de demandeurs d’asile, comme celui des Canonniers par le passé, seront forcément scolarisés au Lezay-Marnésia.

En ce début d’année 2019/2020, aucun élève du collège n’est concerné, mais un camp s’est formé une nouvelle fois aux Ducs d’Alsace entre Cronenbourg et Hautepierre. Il se peut qu’une nouvelle famille de demandeurs d’asile avec des enfants scolarisés se retrouve à la rue à tout moment.

De plus, l’association sera l’occasion d’étendre le rayon d’action. Une mère angolaise et ses deux enfants, dont l’un d’eux est inscrit à l’école maternelle attenante, rue du Poitou, est en effet menacée d’expulsion. Le président de l’association « Un Toit pour nos élèves » se tient donc prêt à toute éventualité :

« La maîtresse de maternelle du petit est venue nous avertir de la situation difficile que vivait sa famille, à l’occasion d’une collecte de fringues pour les jumelles kosovares. On sait que l’échéance de fin d’hébergement est proche. On surveille ça, on sera prêts à agir ! »

Loïc Klenklé, prof de maths et président de l’association « Un Toit pour nos élèves »


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