

Auchan Illkirch s’est transformé en bazar oriental à l’occasion du Ramadan 2013. (Photo Nathalie Moga/ Rue89 Strasbourg/ CC)
Mardi 9 juillet débutera le mois du Ramadan. Pour les Musulmans, c’est une période de jeûne, mais aussi de retrouvailles et d’augmentation de leurs dépenses. Malgré l’intérêt des grandes enseignes pour attirer le consommateur pratiquant, le nom du Ramadan n’est presque jamais employé sur les supports de communication des chaînes.
Dans les supermarchés de l’agglomération strasbourgeoise, les étals sont prêts, arborant des décors tout droit sortis des Mille et Une Nuits. Dattes, couscoussiers, en passant par des assortiments de pâtisseries orientales et des packs de merguez halal à bas prix, l’offre spécialement destinée à la clientèle qui jeûne est pléthorique.
Mais dans les catalogues, la grande distribution ne parle pas explicitement de Ramadan. Pour Auchan, ce sont les « saveurs orientales » qui sont à l’honneur dans le magazine du 3 au 9 juillet, exactement la même dénomination chez Cora. Chez Lidl, ce sont les « Délices de Méditerranée » qui sont en première page de son prospectus du 3 juillet. En magasin, ces appellations sont également employées sur les têtes de gondoles. Un peu comme si Noël se transformait en « saveurs du Pôle Nord », pour lui enlever son caractère cultuel. Le mot « Ramadan » semble presque tabou.
Alors pourquoi tant de frilosité ? Serait-ce parce que le Ramadan génère une forte demande mais que l’Islam n’est pas vendeur ? Le groupe Carrefour est à ce jour l’un des seuls à écrire explicitement le mot Ramadan sur ses catalogues, ce qu’un élu au conseil municipal de Nîmes, Laurent Burgoa, n’a pas hésité à critiquer de façon violente, sur Facebook, sous couvert d’atteinte à la laïcité.
Lapins pour Pâques, chameaux pour le Ramadan
Loin d’avoir noté ces détails de langage, Fatima, 38 ans, semble apprécier la mise en place d’un carré spécial « saveurs orientales », chez Auchan Illkirch :
« C’est super, parce qu’ils ramènent le Maroc ici. Je ne regarde pas à la dépense vu que pendant le Ramadan on mange beaucoup ! On se fait plaisir. »
Mais Sarah, 29 ans, cliente elle aussi chez Auchan, n’est pas du même avis :
« Au début ça me choquait toute cette décoration orientalisante, maintenant je fais avec. Je sais très bien que tout cela est du marketing et que ce n’est pas fait dans l’intérêt de la communauté musulmane, mais plutôt dans l’objectif d’améliorer les recettes de l’enseigne. »
La décoration orientalisante dont parle Sarah, c’est la mise en place d’un mini marché aux épices et aux fruits secs, à l’entrée du magasin, encadré par d’énormes arcades en carton, mimant l’architecture du Maghreb.
Dans le Nord, chameau en peluche géant et danseuses du ventre
L’animation commerciale est au taquet : les chameaux et les palmiers fleurissent entre deux briques de lait fermenté. Encore plus fort chez Auchan Leers (département du Nord) : un grand chameau en peluche trône en plein milieu d’une allée. De par sa démesure, il est rapidement devenu la star de Twitter. Dans le même magasin, on peut assister à un show de danse orientale, pour le moins cliché, et lui aussi moqué de toutes parts sur le réseau social.
Si toute cette promotion peut amuser, voire laisser indifférent, le blogueur Fateh Kimouche condamne la démarche avec beaucoup de sévérité, sur son site Al-Kanz :
« Je trouve cela insultant. Pour les enseignes de la grande distribution, le Musulman français descend d’Aladin. Il est enfermé dans cet imaginaire qui est loin de la réalité actuelle. Les citoyens musulmans ne sont pas tous d’origine maghrébine : il y a des turcs, des sénégalais, des gens des pays de l’est… Avec Auchan, pas de particularisme, tout est fait pour la majorité.
Ce folklore renvoie systématiquement le Musulman de France à l’ailleurs, à l’étranger. Cette symbolique de supermarché est dérangeante, dans un contexte national déjà difficile pour l’Islam. C’est une double hypocrisie. On tait le mot Ramadan, mais on prend aussi les clients non-musulmans pour des idiots. »
Du pain bénit pour la grande distribution
350 millions d’euros : c’est ce que les Musulmans dépenseraient, selon une étude Solis (PDF) pendant le Ramadan. Avec entre 2 et 4 millions de musulmans en France (Ined) et 70% de pratiquants (selon l’Ifop), le potentiel de consommation est bien là et la grande distribution est dans les starting-blocks pour répondre à cette demande. Surtout que le Ramadan tombe à pic : l’été est un moment où les ventes dégringolent…
Pour Yannick Paltot, chef de secteur chez Auchan Illkirch :
« C’est une chance que cela se déroule en juillet cette année. C’est le début des vacances scolaires et une période de chaleur peu propice à la consommation. Sur le mois du Ramadan, il y a environ huit tonnes de dattes qui sont écoulées. L’événement a ses stands dans le magasin depuis une dizaine d’années. Et son importance a gagné de l’ampleur. C’est incomparable avec les débuts. Nous avons désormais une zone de mise en avant complète ».
L’événement traité en supermarché est donc bien le Ramadan, et non pas une opération « spécial saveurs d’orient » occasionnelle. Quand on demande à Yannick Paltot ce qu’il pense du fait que le mot Ramadan ne soit pas mentionné sur certains catalogues d’Auchan (d’après lui, il en existe deux types : un avec, et un sans la mention Ramadan, tous deux diffusés de façon nationale), ce dernier exprime sa préférence :
« Ça n’engage que moi, mais j’aurai aimé que ce soit écrit tout le temps. Cela offre une meilleure compréhension de l’évènement pour le client. Les gens, de nos jours, s’offusquent pour tout et rien ; personnellement je ne trouve pas cela choquant. Si c’est une atteinte à la laïcité, il faudra alors changer les appellations pour les opérations des fêtes de Noël et pour Pâques. »
La préparation du Ramadan 2013 aurait commencé dès la fin du Ramadan 2012. Comme quoi il fait aujourd’hui partie intégrante du rythme de vie d’un supermarché.
Face à ce jeu de séduction assumé par de rares enseignes, les superettes de quartier peuvent difficilement rivaliser. Suleyman Asan, directeur de Pro-Inter Montagne Verte, magasin spécialisé dans l’alimentation orientale, admet avec pragmatisme que les grandes enseignes lui volent une partie de sa clientèle : « C’est ça le commerce. Si l’on fait moins cher, si l’on est meilleur, le client suit. » Le Ramadan reste néanmoins une période intéressante pour lui, puisque le panier moyen augmente d’environ 30% dans son magasin, cela malgré le fait qu’il n’y ait ni chameaux, ni palmiers, ni danseuses pour alpaguer la clientèle.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : Pâques : Big Bunny is watching you
Je suis en grande parti d'accord avec vous.
Mais vous me faîtes penser à un texte tombé au bac il y a quelques années et qu'un ami m'avait expliqué :
"L'effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l'une a intérêt d'acheter, l'autre a intérêt de vendre, et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels. Mais, si l'esprit de commerce unit les nations, il n'unit pas de même les particuliers. Nous voyons que dans les pays où l'on n'est affecté que de l'esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l'humanité demande, s'y font ou s'y donnent pour de l'argent. L'esprit de commerce produit dans les hommes un certain sentiment de justice exacte, opposé d'un côté au brigandage, et de l'autre à ces vertus morales qui font qu'on ne discute pas toujours ses intérêts avec rigidité, et qu'on peut les négliger pour ceux des autres."
Montesquieu.
Je n'ai pas tout compris, mais en substance l'idée serait : le commerce mène à la paix, mais du commerce en toutes choses peut produire l'effet inverse.
Un bon dimanche à vous, Monsieur Arno !
Je me trouve tout à fait en accord avec vous pour dire que le commerce est autant un bienfait qu'une malédiction, mais je retiens du texte surtout cette idée qu'il ne faut pas faire commerce de tout ( " les plus petites choses, celles que l’humanité demande,") . Si nous prenons des exemples contemporains ce serait par exemple dans le domaine du service et de la politesse que j'indique son chemin à l'étranger sans demander à me faire payer ou plus courant que les enfants rendent des services à leurs parents (balayer le trottoir, aider au ménage) sans forcément vouloir les monnayer.
Et de distinguer "l'esprit de commerce" (justice exacte), "le brigandage" et les "vertus morales". A se demander alors si le petit geste de la bouchère qui offre un morceau de saucisse est déjà dans la vertu morale ou encore dans un esprit de commerce exacte car elle fidélise par ce geste le client et si la charcutière qui coupe au plus juste le saucisson est déjà dans le brigandage ?
Pour le Ramadan comme pour Noël, leur exploitation commerciale est-elle la seule possibilité d'en garder l'esprit vivant ?
Que ce soit l'occasion de se retrouver en famille je n'en doute pas. Et le moyen d'entretenir l'esprit de communauté.
Je connais des familles (nombreuses ou pas) où il a été décidé que l'on ne se ferait plus de cadeaux à Noël. Juste la fête et les messes. Raisons spirituelles et/ou raisons matérielles aussi...
J'en connais d'autres où le sentiment qu'ont les parents de ne pas être à la hauteur de leur rôle ( du coup très mal évalué parce qu'image construite à cet effet) les conduisent à submerger jusqu'à l'endettement, leurs enfants des cadeaux les plus somptueux et les plus inutiles aussi parfois.
Il y a des individus, des familles et des communautés religieuses toutes entières dans la discrétion...
Mais vous donnez la réponse vous-même : " Dans une société occidentale laïque comme l’est la société française c’est fort peu probable."
Car c'est justement parce qu'elle est laïque que la société ((au sens ici d'Etat et de ses institutions à tous les niveaux) ne doit pas organiser la fête, mais l'encadrer au sens où elle donne, justement parce qu'elle est laïque, aux communautés la place, l'occasion et parfois le cadre juridique ( les conditions du sacrifice du mouton par ex.) d'organiser la fête.
Mais il est un fait aussi que la société tant civile qu'institutionnelle tire aussi un profit de ces fêtes à travers les profits commerciaux et les taxes. Ne l'a-t-elle pas toujours fait ?
Le problème est celui de la conscience ou de la confusion dans laquelle se trouve l'individu sur le sens de l'événement qu'il vit.
Happening commercial ou tradition spirituelle ?
En vous souhaitant à nouveau un bon dimanche.
La question de la journée du début du Ramadan en France étant le côté théologique, voire politique de la chose. La question de son exploitation commerciale et de sa présentation "sociale" en étant un autre.
En jeu dans votre article sans doute avant tout la question de l'exploitation commerciale (les marchands du temple...) mais aussi celle de la représentation du religieux dans un Etat laïc en ses fêtes importantes. Toutes questions intéressantes, mais où il faut éviter la polémique.
Pour ce qui est de l'exploitation commerciale, parmi les monothéismes c'est bien entendu le christianisme (le catholicisme plus que le protestantisme) qui tient le pompon.
Au point où le caractère ostentatoire des marchés de Noël fait presque complètement disparaître la spiritualité de la chose.
A l'inverse pour ce qui est de la religion Israélite, on ne saurait d'abord, du moins en ce qui me concerne choisir de fête majeure : Pessah ? Roch Hachana ? Souccot ? Yom Kippour peut-être... La référence à cette dernière fête est explicite dans le Coran....
En tous les cas on ne peut que constater que le pourcentage des membres des différentes religions est plus ou moins proportionnel à la visibilité de celles-ci ? Encore que la religion juive est relativement discrète (1% des français) la catholique relativement ostentatoire (53%) des français. La religion musulmane quant à elle (entre 3 et 7% de français selon les sondages) était restée assez discrète quant aux fêtes elle aussi, entre autres du fait sans doute qu'elle est, comme la religion juive, iconophobe. Tout comme la protestante d'ailleurs dont la réforme se fondait entre autres sur le caractère ostentatoire donc "idolâtre" de la représentation du divin.
Mais il semble bien qu'il ne soit pas question ici de religion, (à la rigueur d'identité) mais de commerce. Or qui y a-t-il de plus idolâtres et de plus iconophiles que les marchands du temple ? Et qui ont trouvé là une nouvelle source de profit.
En ce sens le problème semble moins être celui de l'opportunité de l'inscription du nom de la fête (du point religieux cela me semble même inopportun) que de la concurrence nouvelle que font les grandes surfaces aux magasins spécialisés. C'est une affaire de fric pas de religion.
Et naturellement, la différence vient de ce que les magasins "hallal" sont d'une part plus chers face à la grande distribution et ne ressentent pas (ne ressentaient pas ?) le besoin d'une présentation ostentatoire de la fête.
Quant à la manière dont la chose est présentée dans les magasins de la grande distribution ! Quel niveau de spiritualité et d'intellectualité voulez-vous attribuer à un responsable publicité d'une grande chaîne de distribution ?
Que voulez-vous que soit capable de penser le marchand du temple ?
La seule intelligence que je pourrais lui prêter en proposant un folklore de bas étage et en ne mettant pas le nom "Ramadan" mais "Délices d'orient" est qu'en raflant à l'occasion des clients non musulmans, il y a encore plus de profit.
Et que je sache ( cela concerne les remarques du bloggeur) le Ramadan est celui des musulmans du monde entier. Je ne vois pas en quoi, il faudrait à tous prix pointer la spécificité française puisque la fête en elle-même ne se réfère pas à la culture française mais à la religion. Ainsi au lieu des danseuses du ventre, pourrait-on présenter des danseurs de la lezginka tchétchène
( http://www.youtube.com/watch?v=sdtgrmPjASE ) ou ingouche puisqu'il y a aussi des Tchétchènes et des Ingouches musulmans en France.
Donc à tous les musulmans
رمضان كريم
Ramadan Kareem,
(PS / je sais c'est moins correct que l'autre formule, mais il paraît que les Egyptiens ... ;-) )
Et pour mes amis du Caucase : Хороший рамадан !
Durant la période de ramadan, on dit : "Moubarak ramadan saïd".