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Le « Refuge des oublié.es » veut s’ancrer au port

Sous la menace d’une expulsion en décembre, les occupants de cette bâtisse inoccupée du Port tentent de convaincre les autorités de viabiliser ce lieu pour les sans-abris et leurs chiens.

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Le « Refuge des oublié.es » veut s’ancrer au port

Au bord du canal de la Marne au Rhin, la maison du 45 quai Jacoutot prend les rayons du soleil. Dans la cour, un camion du Secours populaire est en cours de déchargement. Ce mercredi d’octobre, l’ambiance est sereine au « Refuge des oublié.es ». Les seize habitants et les dix chiens de cette bâtisse abandonnée du Port autonome de Strasbourg, vaquent à leurs occupations : nettoyage, bricolage, rangement, vaisselle.

Compte à rebours

En cette après-midi d’automne, rien ne laisse penser que le 15 septembre, le tribunal judiciaire de Strasbourg a rendu une décision qui autorise une expulsion à la mi-décembre. Mais cette menace n’entrave pas les projets sur place. Bien au contraire, elle a enclenché une sorte de compte à rebours.

Dans le projet du « Refuge des Oublié.es », un vaste espace extérieur serait en partie réutilisé pour de la permaculture. Le barbecue et le four à tartes flambées ont même été déjà nettoyés (photo JFG / Rue89 Strasbourg).

« Vivre sans se séparer des animaux »

Assise sur une chaise en plastique, devant une table en métal disposée à l’extérieur, Sandrine Ruch résume les échéances à venir :

« Nous devons écrire un projet d’ici la fin d’octobre, qui sera d’abord validé par la mairie, puis soumis au Port autonome, qui ne serait plus fermé à une pérennisation, nous a-t-on dit. Notre projet est d’avoir un lieu où quelques personnes sans-abris, avec leurs chiens, puissent vivre à Strasbourg sans se séparer de leurs animaux. Avec parfois des personnes de passage ou d’autres qui s’établissent plus longtemps. »

La jeune femme de 42 ans, à la rue depuis plus d’un an, est arrivée en mars dernier dans ce bâtiment alors vide, en compagnie de six autres sans-abris. C’était deux semaines après le début du confinement. Plus de six mois ont passé, l’idée du « Refuge des Oublié.es » est née, et aujourd’hui, Sandrine ose même rêver de la suite.

« Il y aurait une partie herborisée, un espace permaculture, un poulailler. De quoi avoir avoir des légumes, des fruits, des œufs dans un espace autogéré. Les installations dans les chambres ou à l’extérieur, là où l’on fait la vaisselle, tout a été fait grâce à de la récupération, notamment avec du bois de palettes, mais nous avons eu aussi des dons d’outils, grâce à des soutiens extérieurs. Donc on aimerait se développer et continuer dans cet esprit. On ferait aussi une journée porte ouverte, avec une démarche artistique. On ne se voit pas comme un squat. »

« Nous ne pouvons accueillir personne de plus »

Quelques règles communes comme le nettoyage ou le respect des locaux devront être écrites dans le document envoyé à la municipalité. Les occupants ont rencontré en septembre Floriane Varieras, l’adjointe en charge du soutien aux personnes vulnérables. La création de places pérennes pour sans-abris fait partie du programme des écologistes, avec un objectif de 500 ouvertures pendant le mandat.

Les occupants sont également ouverts à l’idée d’une aide financière pour effectuer des travaux, notamment pour aménager les combles. « On pourrait alors accueillir jusqu’à 20 personnes », imagine Sandrine Ruch, qui a eu quelques échanges avec des architectes engagés. « Pour l’instant, nous sommes 16, et nous ne pouvons accueillir personne de plus », poursuit la jeune quadragénaire. Les occupants aiment leur cadre de vie actuel, mais ils ne sont pas fermés à l’idée de déménager dans un lieu similaire, avec de l’espace.

Sandrine Ruch, dans le grenier non-habitable, avec vue sur l’Église orthodoxe. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Une maison en bon état

La maison, composée de deux étages et un sous-sol, est située dans les anciens locaux de la gendarmerie fluviale. Dans l’ensemble, les lieux sont en bon état. Mais le jugement a indiqué qu’il n’était pas dans le périmètre du Plan de prévention des risques technologiques (PPRT), argument avancé par le Port en avril dernier, pour couper l’eau et l’électricité au début de l’occupation et demander une évacuation immédiate.

Deux des quatre niveaux sont aujourd’hui occupés par les nouveaux habitants. Les anciens bureaux forment des chambres de près de 20 mètres carrés. Le double vitrage isole du bruit régulier des camions qui se rendent au Port aux pétroles. Plusieurs pièces, notamment les salles de bains ou la cuisine, nécessitent des rénovations plus conséquentes. L’ensemble est rangé et propre, plus soigné que beaucoup de squats. « C’est ce que me disent tous les gens qui passent ici », sourit Sandrine Ruch.

Les anciens bureaux de la gendarmerie fluviale, dont la construction est estimée à 1945, présentent un bon état général. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Les chambres sont vastes et bien aménagées grâce à des produits récupérés. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Les habitants et habitantes viennent de France, de Belgique ou d’Europe de l’Est. L’un d’eux loge dans sa caravane, garée à l’extérieur. Certains racontent un peu leur parcours, d’autres préfèrent ne pas apparaître. Pour l’instant, ils vivent grâce à des dons, « notamment des Vélos du Cœur, de la Tente des Glaneurs ou du SIAO (Service intégré d’accueil et d’orientation, en charge des sans-abris ou mal-logés au niveau national), que l’on complète avec un peu de manche et la récupération d’invendus ». Tous les occupants se déplacent à vélo, garés dans la cour.

Répartir les compétences

Sarouel (surnom) fait visiter sa chambre, très heureux d’avoir pu l’aménager :

« Chacun a des compétences à apporter. Moi, j’aime bien être dans la réflexion et l’organisation du lieu. D’autres, comme Sandrine, vont avoir des contacts, un réseau dans les solidarités locales. D’autres, ce sera plus le bricolage ».

Dans la chambre d’à côté, Gaëtan est justement équipé d’un marteau et de clous. « Lorsque ça souffle, l’air communique entre les pièces », explique ce ressortissant belge, arrivé à Strasbourg il y a six ans. « Une ville sympathique, avec beaucoup de jeunes, qui ne peuvent pas donner beaucoup mais qui sont parfois engagés et solidaires ». Et pour les savoirs qui manquent, il y a aussi les voisins raconte Sandrine : « Un des résidents apprend la permaculture grâce à EurOasis », une association écologiste qui investit, non sans mal, deux hectares de friches un peu plus loin sur le même quai.

Gaëtan est sollicité pour ses compétences en bricolage. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Les habitants apprécient de pouvoir loger avec plusieurs chiens, dans un espace séparé. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Le projet écrit sera soumis à Floriane Varieras, puis à Anne-Marie Jean, autre élue de la majorité écologiste, qui a succédée à Catherine Trautmann en tant que nouvelle présidente du Port autonome le 9 octobre. Une nouvelle équipe qui semble ouverte au projet.

« Nous sommes ouverts, et à la recherche d’une solution. Mais il faut pour cela que nous ayons un interlocuteur comme par exemple une association. Il faut également que des travaux de sécurisation soient effectués et que le plan d’urbanisme soit modifié pour permettre l’habitation des lieux. »

Anne-Marie Jean, présidente du Port autonome et vice-présidente à l’Eurométropole.

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